"AU SÉNÉGAL, LES HOMMES POLITIQUES S’IMAGINENT QUE LES LOIS NE S’APPLIQUENT PAS À EUX"
FATOU KINÉ CAMARA, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION DES FEMMES JURISTES DU SÉNÉGAL (AJS)
Loi à part entière de la République depuis son vote par l’Assemblée nationale, la parité a toutes les peines du monde à être appliquée au Sénégal. Rejetée à Touba lors de la constitution des listes aux élections municipales et départementales du 29 juin dernier, elle s’est rappelée au bon souvenir des politiques avec la constitution des exécutifs municipaux. A Médina Gounass, Mermoz-Sacré cœur ou Yeumbeul Sud, la Cour d’appel de Dakar vient d’annuler l’élection des conseils municipaux pour non respect de ladite loi. Une situation à laquelle réagit Fatou Kiné Camara, de l’Association des juristes du Sénégal (AJS) qui a apporté un encadrement juridique aux citoyens à l’origine de la plainte.
Des bureaux de conseils municipaux ont été cassés suite à une plainte déposée par des citoyens que vous soutenez. Pourquoi vous avez décidé de soutenir cette bataille pour le respect de la parité ?
Comme vous le dites, ce sont des citoyens sénégalais qui, pour le respect de la loi, ont déposé des requêtes dans les mairies où ils ont constaté que la parité n’a pas été respectée dans la formation des bureaux municipaux. Et nous AJS, nous avons encadré. Nous avons été convaincus du fait que c’était nécessaire de le faire parce qu’il y avait des personnes qui étaient découragées. Nous avons offert une assistance juridique gratuite. Un avocat pour lequel personne ne va payer.
Vous étiez en alerte ?
Nous sommes de la société civile, et de manière générale, la société civile a un rôle de veille et d’alerte. Depuis 1974 que l’Association des femmes juristes a été mise sur pied, nous sommes là pour veiller à la promotion des droits de la personne humaine, notamment les droits des femmes et des enfants. Donc nous ne pouvons pas ne pas accompagner ce mouvement, ce plaidoyer pour le respect de la parité. On ne peut pas faire voter la loi sur la parité, prendre un décret d’application sur la parité et ne pas appliquer la loi. C’est une loi de la République, elle doit être appliquée (...) Au Sénégal, les hommes politiques s’imaginent que les lois ne s’appliquent pas à eux.
Pour vous, c’est une question de principe.
Bien sûr, mais pas seulement. C’est d’abord une question de citoyenneté. Notre avocat, Me Abou Abdoul Daff à qui je rends hommage parce qu’il a fait une superbe plaidoirie, a commencé ainsi en substance : “je ne suis pas féministe, je ne suis pas sexiste non plus, je suis légaliste. Dans un Etat de droit, les lois et règlements de l’Etat doivent être respectés par tous. Il a dit : messieurs les juges, messieurs et mesdames de l’Assemblée générale, je vous demande de faire respecter la loi et rien d’autre.”
Y a-t-il d’autres cas que vous ciblez ?
Non ! Le problème qui se pose c’est que le délai est très court pour déposer une requête. C’est juste cinq jours. Ici les personnes n’ont pas le réflexe de saisir la justice à temps quand on bafoue leurs droits. Quand ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient faire un recours, le délai était passé. Mais nous sommes en train de réfléchir à des moyens de saisir la justice quand même. Donc nous ne nous sommes pas déclarés vaincus. D’abord nous allons demander de manière gracieuse au ministre des Collectivités locales de faire respecter la parité partout, de dire que là où les bureaux ne sont pas paritaires, il faut reprendre l’élection. Cela ne demande pas un centime de plus, il suffit juste de parler aux gens en leur disant que les femmes doivent représentées à égalité avec les hommes. Nous vous demandons de reprendre les votes. Cela d’autant que la cour d’appel de Dakar a dit qu’on ne reprend pas le vote des maires. L’élection des maires est valable, c’est l’élection des adjoints qu’il faut reprendre.
Comment respecter la parité dans un bureau où le maire n’a droit qu’à trois adjoints ?
Excellente question ! Alors je vais vous dire : c’est là que vous allez voir qu’il n’y a pas de discrimination par ce que ce sont des candidatures individuelles. On laisse toutes les personnes qui le veulent hommes et femmes se présenter au poste de maire. Donc élection libre pour le poste de maire. Si c’est un homme qui est élu, on opte pour que le poste de premier adjoint se dispute entre des candidatures féminines. Et une fois que cette première adjointe est élue, on opte pour des candidatures masculines concernant le poste de deuxième adjoint. Une fois que le candidat est élu, on fait en sorte que le poste de troisième adjoint soit réservé à une femme. Dans ce cas, il n’y a aucun sexe qui est exclu et au bout du compte, les deux sexes sont représentés à égalité. De manière alternée, on demande à chaque sexe d’attendre ton tour. Mais pour la première élection qui est celle du maire, on laisse hommes et femmes se présenter. Si c’est une femme qui est élue, on dit que le premier adjoint va être un homme...
On s’interroge encore sur le cas de Touba. C’est un cas perdu là.
Pour le cas de Touba, la loi a été très claire, c’était pour les listes de candidatures. Les seuls qui étaient habilités à faire un recours, c’étaient la CEDA et les représentants des partis politiques qui avaient déposé une liste. Là, nous ne pouvions rien faire. Ce que nous avions fait, et c’est vérifiable, c’était publier un communiqué avec le Conseil sénégalais des femmes pour demander que les représentants de l’Etat appliquent la loi.
Quelle suite comptez-vous donner à cette bataille ?
On ira jusqu’au bout ! Nous voulons que tout le monde comprenne que nous ne sommes pas dans le cadre d’un conflit. On est juste dans une requête qui est très raisonnable et citoyenne. C’est juste que des conventions ayant été signées auprès des Nations Unies et de l’Union africaine, la constitution du Sénégal a été modifiée pour permettre qu’une loi vienne favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives, avec une loi et un décret d’application. Tout ce travail qui a pris des années, nous ne le laisserons pas se perdre. Légalement, toute l’armature juridique est de notre coté. Tout ce qu’on demande aux autorités, c’est de faire appliquer la loi. C’est tout.