AUCUNE TRACE DE KARIM WADE
L'expert-comptable Oumar Samb et le notaire Tamaro Seydi estiment que le nom de l'ancien ministre ne figure pas dans leurs registres
Oumar Samb et Tamaro Seydi, les deux témoins passés hier devant la CREI, ont donné un nombre incroyable d’informations concernant les sociétés visées dans l’ordonnance de renvoi aux diverses parties du procès… Les témoins sont néanmoins catégoriques sur le fait que Karim Wade n’apparaît nulle part dans leurs dossiers.
Revenu à la barre hier, Oumar Samb, expert-comptable du cabinet FIDEKA et commissaire aux comptes des sociétés AHS, ABS SA, Hardstand et autres, a conclu son audition, en apportant des précisions sur certains points du dossier Karim Wade et coïnculpés.
Des registres d’actions passés au crible
Concernant la société ABS SA, le témoin a déclaré qu’à sa connaissance, dans le capital de ABS SA, il n’y a pas d’actionnaire qui soit une personne morale et donc que ABS Corp, structure partenaire, n’est pas dans le capital de ladite société. Il a rappelé que les actionnaires en question sont, d’après ses registres, Ibrahima Aboukhalil dit "Bibo" Bourgi et son frère Karim Aboukhalil (pour respectivement 24 498 et 22 501 actions) et Birame Ndiaye (pour 1 action) : "À aucun moment, je n’ai retrouvé, directement ou indirectement, Karim Wade dans le registre de ABS SA", a précisé le notaire sur une question de Me Amadou Sall.
Le Parquet Spécial, prenant la parole quelque temps après, est revenu sur la question d’ABS, en apprenant au témoin qu’à l’instruction, Alioune Samba Diassé avait expliqué que Véronique Manga et Fatou Babou portaient toutes deux des actions pour son compte et pour celui de Wolfgang Raul, cela avant de lui demander ce qu’il en pense, au vu de son registre d’actionnaire…
Le témoin a répondu que les allégations de Ndiassé n’ont, pour lui, pas de valeur, car il se base uniquement sur des documents écrits. Donc, en ce qui le concerne, les dames en question "ne peuvent pas être des prête-noms", puisque d’après le registre des actionnaires d’ABS SA, le dénommé Wolfgang "n’existe pas".
Ces précisions faites, le Substitut du procureur a enchaîné sur ce qu’il appelle le "côté face" de ladite structure. Selon Antoine Diome, ABS Corp a été créée aux Îles Vierges Britanniques par Bibo Bourgi. Ensuite, il a partagé ses actions à hauteur de la moitié entre Ndiassé et lui-même, en contrepartie de la cession de l’exclusivité Cobus à ABS Corp ABS Corp.
Pour étayer ses propos, le représentant du Ministère public a rappelé que Ndiassé a déclaré avoir eu par devers lui les documents afférents à cet accord pour ensuite les perdre dans les inondations de l’aéroport, sans que Bibo ne lui en redonne des copies, malgré les nombreuses demandes qu’il aurait adressées en ce sens, en tant qu’actionnaire. Interrogé sur ces faits présumés, le témoin s’est cantonné à ses propos antérieurs et déclaré ne rien connaître de ce qu’a dit le substitut du Procureur.
C’est ainsi qu’Alioune Samba Diassé a été appelé à la barre pour la confrontation. Le coïnculpé de Karim a consacré son temps de parole à se plaindre de l’administrateur provisoire désigné par la justice pour ABS SA. Ce dernier aurait suspendu son salaire, avant de s’attribuer une rémunération mensuelle de 5,5 millions Fcfa. De plus, ledit administrateur serait, selon Ndiassé, au courant de pannes et de manque de pièces de rechange dans le parc de bus, sans poser d’actions pour y remédier.
Pas vu, Pas entendu
Interrogé également au sujet d’AHS, le témoin Oumar Samb a affirmé que la société n’enregistre aucune participation des autres AHS de la sous-région (Bénin, etc.) dans son capital qui, au titre nominal (c’est-à-dire en actions) serait de 760 millions. Il a ajouté, comme pour ABS, n’avoir trouvé aucune trace de la participation de Karim Wade dans la société suscitée. Disant cela, Me Aly Fall, de la Partie Civile, lui a demandé des éclaircissements sur des prestations inscrites dans les rapports financiers de AHS en 2010 qui auraient fait l’objet de mentions du commissaire aux comptes quant à leur "irrégularité". Le témoin a répondu que le problème en question avait été réglé une fois que les montants correspondants avaient été déplacés vers le bon compte, après qu’on lui a fourni les justificatifs nécessaires, à savoir les contrats et factures lui permettant d’arriver à contacter ledit fournisseur…
Cette version des faits a été confortée par Mamadou Pouye qui, lors de sa confrontation avec Oumar Samb, a fait ressortir le fait que dans les comptes de AHS, l’erreur en question n’était pas "une dissimulation de trésorerie" mais bien une erreur concernant le compte à créditer.
S’agissant de Menzies Sa (qui est actionnaire d’AHS), Mamadou Pouye a souligné avec le témoin qu’il ne s’agissait pas d’une "volonté de dissimuler" le nom des "vrais actionnaires" (à savoir les frères Bourgi et lui), en faisant souscrire ladite société au capital de AHS, mais juste d’une modalité (licite) d’enregistrement. "Pour moi, il s’agit de deux sociétés différentes (NDLR : même si l’une est actionnaire dans l’autre)", a affirmé quant à lui le témoin. Le coïnculpé de Karim Wade a ensuite souligné, sous le contrôle dudit commissaire aux comptes, qu’AHS n’a jamais bénéficié de subvention de l’État, car étant privé, mais "contribuait grandement", au contraire, en termes d’impôts et de taxes versés avec régularité.
Black Pearl Finance
Sur le point Black Pearl Finance, le témoin a commencé par dresser la liste des actionnaires de ladite société qui sont Hicham El Arami (1 action), Decros SA (31998 actions), Khalil Chiat (1 action) et Met Invest (21 299 actions). Par rapport à la valeur de Black Pearl Finance visée dans l’arrêt de renvoi (1, 8 milliard), Me Seydou Diagne a demandé au témoin le montant du capital de la société. "533 millions Fcfa", a répondu le témoin, avant de s’interroger avec lui sur la question de savoir s’il est possible que ladite société ait une telle valeur, alors que le dossier fait état de documents stipulant qu’elle était en faillite et/ou en cessation de paiement… Le témoin a répondu par la négative.
Sur Hardstand, le témoin a attesté que 20 sur les 24 appartements d’Eden Rock ont été vendus et sont donc "sortis de son patrimoine", en contrepartie d’apports en trésorerie… À la question d’une implication quelconque de Karim Wade dans ce processus (ou ailleurs dans la société), il a répondu par la négative. Ainsi, Me Moustapha Ndoye a demandé au témoin, si dans le cas des sociétés où est représenté son client (Mamadou Pouye), il a réussi à faire un quelconque lien rattachant ce dernier à Karim Wade. Le témoin a encore répondu par la négative.
Considérations théoriques
En sa qualité d’expert en droit des sociétés, la Cour lui a ensuite demandé les raisons pouvant pousser à ouvrir une société offshore : "À mon avis, c’est soit de la dissimulation, soit une question de fiscalité", a-t-il répondu. Vint le tour de Karim Wade de faire face au témoin. Il avait une foule de questions à lui poser. La première, assez basique, a été de savoir s’il "l’avait jamais vu, au Sénégal ou en France"… Ce à quoi le témoin a répondu "non". Ensuite, il s’est agi de savoir si Oumar Samb a jamais eu la présomption d’un moindre flux financier, dans toutes les sociétés où il a mandat, ayant trait à lui… Une deuxième négative. Le fils Wade a alors enchaîné sur la notion de "poids financier", en demandant au témoin si elle lui était familière. "Non, on n’en parle pas pour déterminer la valeur d’une entreprise", telle a été sa réponse.
Tamaro Superstar
Née en 1969 à Dakar, la Notaire Tamaro Seydi a été le dernier témoin à être entendu par la CREI hier. La dame a notamment déclaré être une camarade de collège de Karim Meïssa Wade. Ce dernier est ensuite devenu son "voisin" à l’immeuble Tamaro. Idem pour Mamadou Pouye. Concernant "Bibo" Bourgi, le témoin a déclaré que les parents de l’homme d’affaires étaient des amis de sa famille. Donc, qu’elle a déjà eu à lui rendre visite, lors notamment de funérailles chez lui à l’immeuble ABM. Cela dit, Tamaro Seydi a ajouté, concernant les trois inculpés, que c’est seulement à l’occasion qu’elle les croisait dans divers lieux de Dakar ou d’ailleurs, sans jamais entretenir de contacts soutenus avec eux.
Concernant maintenant les sociétés qu’elle a eu à constituer et qui sont visées par l’arrêt de renvoi de la CREI, Tamaro Seydi a donné un certain nombre d’éclaircissements à la fois à la Cour et au Parquet spécial. Par rapport à Daport Sa, la dame a confirmé avoir constitué ladite société dans son étude, sur demande de la dame Coumba Diagne, après une prise de contact initiée par cette dernière et pour le compte d’une société dénommée Afriport (et faisant dans les services aéroportuaires) qui a donné mandat à cette dernière au Sénégal. La notaire a confirmé que le siège social de Daport est à son étude, et que les procès-verbaux de constitution et différents documents en règle lui ont bien été fournis. Elle a précisé par ailleurs que le capital initial est de 60 millions de F CFA. Que l’actionnariat est constitué d’Afriport, à hauteur de 99% et des poussières, et de différentes personnes physiques qui constituent le conseil d’administration de Daport, pour environ 1%.
Sur le fait (soulevé par le Parquet) que la dame s’appellerait "Ndiaye" et non "Diagne", comme on l’a d’ailleurs appris au témoin à l’instruction, Tamaro Seydi a déclaré que lesdites mentions, si elles existent effectivement, auraient été faites sous seing privé et qu’elle n’a pas jugé nécessaire de modifier ses actes, puisqu’à l’époque, d’amples justificatifs lui avaient été remises et que "de ce qu’elle en sache", ni le mandant, ni la dame ne lui ont fait de réclamation en ce sens. Concernant ensuite les supposées allégations de la dame Diagne qui nie lui avoir fourni les documents qu’elle a ajoutés à son fonds de dossier à l’instruction, le témoin a maintenu sa déclaration, en disant que ce n’est pas elle qui est allée les chercher (NDLR : les documents) et que, que ce soit la dame elle-même ou quelqu’un d’autre qui les ait déposés, c’est bel et bien le demandeur qui les a fait parvenir à son étude…
Tamaro Seydi a fini par préciser, à propos de Daport, que bien que le siège social statutaire de la société soit son étude, comme ce serait de "pratique courante" dans le cas de nombreuses sociétés, aucun acte, ni aucune réunion n’a été tenue dans ses locaux.
Camaraderie présidentielle
Concernant DP World, le témoin a confirmé avoir eu ladite société pour client et avoir fait appel à Karim Wade pour qu’en "tant que camarade et, incidemment, fils du Président alors en exercice" il lui obtienne un rendez-vous avec les dirigeants, lorsqu’elle a eu vent de la volonté de DP World de quitter son étude à l’occasion d’une possible augmentation de capital (qui, elle précise, n’a pas eu lieu)… Au sujet de BMCE (Black Pearl Finance), elle a confirmé avoir réalisé une augmentation de capital, en 2003, suite à la demande d’un certain Pierre Michot, le faisant passer de 320 millions à 532 millions. Quant à AIBD SA, la notaire a confirmé avoir été approchée par Serge Yannick Nana (BMCE) et autres, sans plus de précisions.
Sur une question du Parquet, Tamaro Seydi a souligné n’avoir à sa connaissance jamais assisté, ni Karim Wade, ni Mamadou Pouye dans une quelconque création de société. Pour "Bibo", elle a déclaré ne pas être sûre de l’avoir fait ou pas parce qu’ayant déjà travaillé avec la société Bourgi Consorts, dans le cadre de dossiers comprenant la participation de sociétés anonymes immobilières (SAI), entre 2006 et 2007. Elle a déclaré enfin "n’être au courant de rien" à propos des comptes de la Julius Baar à Monaco imputés par le Parquet Spécial à Ibrahim Aboukhalil, Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye, quant aux sociétés Fraport et General air Services.