AUTOPSIE D’UN GRAND ORAL
Ce serait un mauvais procès fait au Président que de lui reprocher d’avoir bien organisé sa sortie à Kaffrine avec ses spin doctors. On peut noter cependant trois dérapages dans sa prestation
Dans la tradition démocratique, les rencontres entre le président de la République et la presse font partie de ce qu’il est convenu d’appeler, le calendrier républicain. Que le président Macky Sall y sacrifie, est assurément, une bonne chose. Et jeudi dernier à Kaffrine (autre bon symbole), il s’y est pris globalement de bonne manière, en réussissant, sur la forme et le fond, son grand oral.
Ses réponses étaient nettes, documentées (sur les questions économiques, l’agriculture, l’énergie, notamment). L’argumentaire, assez didactique, ne souffrait pas d’un déficit de pertinence. Souvent accusé non sans raison d’autoritarisme, le Président a livré un message sérieux, souvent grave (sur l’enseignement). Il a su aussi humaniser et même dramatiser son discours dans le volet social de sa politique (bourses de solidarité et sa fortune personnelle).
Peu convaincant sur la réduction du mandat, le Président a trop hésité sur les dates et la forme de la consultation, pour rallier les opinions sur une question aussi essentielle.
A t-il convaincu ? En l’absence de mesures de l’état de l’opinion, le sentiment semble plutôt mitigé. Il est vrai que la surliquidité des finances de l’État, répétée à suffisance par le Président Sall, va susciter beaucoup de réactions à retardement. Les Sénégalais et les travailleurs du public, comprendraient mal, qu’on leur imposât la diète, alors que la cagnotte est pleine à craquer.
La gestion de cette annonce sera probablement difficile, car elle sera sortie à la moindre incartade pour justifier des revendications sociales ou même le règlement total de la dette intérieure, que les entreprises réclament à cor et à cri. Et trivialement se demanderaient-ils, pourquoi lancer des appels de fonds et des emprunts obligataires, alors qu’une grosse manne financière est en souffrance dans les caisses qu’on croyait jusqu’ici vides. A l’heure où les Sénégalais sont d’un état d’impécuniosité incroyablement sévère.
Il faut bien le reconnaître, les questions triées dans le tas, manquaient de piquant et d’agressivité. Et le format même de l’entretien (cinq heures d’entretien, des questions groupées par média) ne permettait pas un échange direct avec des relances spontanées et instantanées. Il est dommage qu’on ait eu, par moment, le sentiment de supporter une longue tirade présidentielle, dont les réponses occultaient des centres d’intérêt soulevés par les journalistes.
Les journalistes du service public ont tiré leur épingle du jeu. Un peu mieux que nos confrères du privé (en dehors d’El Hadji Assane Guèye), servant souvent des questions trop convenues (questions-boulevard) qui donnaient au Président l’occasion de dérouler, sans grande peine, un message global apparemment bien préparé.
Ce serait un mauvais procès fait au Président que de lui reprocher d’avoir bien organisé cette sortie avec ses spin doctors. Il a répondu aux questions avec ses atouts (connaissance des dossiers, bonne expression en français et en wolof), aux questions qui lui ont été posées, en tirant tous les profits d’un format totalement à son avantage. On peut noter cependant trois dérapages dans la prestation du Président.
Premièrement, la caution donnée à la transhumance était vraiment mal venue. Le parallèle fait avec le marché du travail où la compétence est mise à contribution, avec la pratique amorale de la transhumance, est tout simplement affligeant. La transhumance est une déviance, une forme d’opportunisme qui offre aux hommes politiques qui s’y adonnent, une scandaleuse flexibilité dans la recherche de leur intérêt propre, personnel et égoïste.
En Côte d’Ivoire, on les appelle de façon plus explicite encore, «les brouteurs». L’allégorie n’est pas si scandaleuse. Elle décrit une attitude et un comportement, qui fait que l’homme, animal social, a, quand son intérêt l’aveugle, tendance à retrouver des réflexes instinctifs.
Deuxièmement, la remarque désobligeante faite aux communicateurs, accusés entre les lignes, d’incompétence. Il est une règle essentielle dans le management, qui veut qu’un leader ne dévalorise pas publiquement ses collaborateurs. Même si, à la lumière de l’expérience de Kaffrrine, il apparaît que la jeune équipe de communication du Président a encore du chemin à faire. En déclarant, publiquement que l’APR et le président de la République «ne savent pas communiquer», le Président l’affaiblit moralement.
Seulement, il est un principe majeur, également en ce domaine, la communication n’est pas l’action. Elle la valorise, certes. Mais, c’est l’action qui donne du contenu à la communication, bien pensée et bien articulée. Surtout bien dosée. Aussi, les sorties présidentielles sont tellement nombreuses et si abondamment couvertes par les médias publics, qu’elles finissent par créer l’overdose.
Troisièmement, l’évocation de la région de Fatick comme «sa région» a quelque chose de trop exclusif et régionaliste, alors que le Président est censé appartenir au Sénégal, dès l’instant qu’il a la charge suprême. Cette déclaration peut déclencher un sentiment de frustration dans les autres terroirs et créer un complexe de supériorité chez les Fatickois.
Faute d’y avoir été invité à donner son sentiment, le président de la République n’a pas parlé de sujets essentiels, comme le tourisme, la pêche, l’affaire Pétrotim-Accelor Mital, l’affaire Africa Energy, les réformes institutionnelles et la CNRI, le marché de réfection du siège du gouvernement, les difficultés du secteur public et parapublic, autant de préoccupations qui n’ont pas suscité la curiosité des journalistes de D-Media, du GFM et de la RTS. Victimes de leur culture provincialiste, les journalistes choisis, ont aussi oublié l’actualité internationale et surtout régionale et africaine.
Personne n’ose croire à une mise en scène, ou à un arrangement, ces groupes comportant en leur sein, des journalistes talentueux et professionnels. Mais, il est tout de même curieux que des professionnels aussi émérites et aguerris comme ceux des Groupes Sud, Wal fadjri, GMC et des autres organes, comme Le Soleil, aient été écartés, pour un argument spécieux d’audience ou autres arguties.
La Présidence a parfaitement le droit de mener sa communication comme elle l’entend. Mais les médias et tous les médias ont un égal droit à l’accès aux sources. Certains d’entre eux et non des moindres en ont été simplement privés.