AUX GRANDS MAUX, LES GRANDS REMÈDES
Le cinéma sénégalais au bloc opératoire de Khouribga
Le cinéma sénégalais moribond a eu à son chevet plusieurs professionnels du secteur pour le remettre d’aplomb à travers de fructueuses réflexions et contributions. C’était lors du premier débat de nuit. Un rendez-vous quotidien institué par le Festival de cinéma de Khouribga et qui débute toujours à minuit, heure locale.
Il est minuit 47 minutes. La projection devait commencer depuis 00 heure, pour finir par le «débat de nuit’». Ce retard n’empêche pas la délégation sénégalaise de se mobiliser pour aller au chevet de son «cinéma malade». Le décor est campé avec la projection du film Crépuscule de Mamadou Ndiaye. Il annonce les couleurs. «Le cinéma sénégalais est malade. Il est même moribond».
Durant 62 minutes, le réalisateur Mamadou Ndiaye fait visionner le bilan du cinéma du Sénégal. L’œuvre revient longuement sur l’âge d’or du 7e art et son déclin constaté aujourd’hui. Un diagnostic sans appel est fait dans cette production par les cinéastes sénégalais sur ce qu’est devenu aujourd’hui le 7e art. Tous les interviewés, notamment Momar Thiam, Khady Sylla, Amadou Thior, Yves Badara Diagne, Ben Diogaye Bèye, Ibrahima Khalilou de Image et vie, Mansour Sora Wade, Cheikh Ngaïdo Ba, Angèle Diabang, Abdoul Aziz Cissé, pour ne citer que ceux-là, sont unanimes dans leur constat.
«L’âge d’or du cinéma sénégalais est derrière nous. On garde en tête des grands noms du 7e art, de Paulin Samanou Vieyra à Momar Thiam ou Ousmane Sembène. Ils ont représenté la richesse et la force passée du pays en la matière.»
Mais la situation actuelle des jeunes réalisateurs est plus compliquée : manque cruel de financements, difficultés liées à la production, mais aussi problèmes de distribution et de diffusion. «Un vrai parcours du combattant, si bien que la nouvelle génération baigne dans une ambiance crépusculaire, moment crucial qui suit le coucher du soleil, mais précède aussi son lever...» Il faut faire quelque chose d’urgence.
A Khouribga, le public a suivi avec intérêt ce documentaire qui restera la mémoire du 7e art sénégalais. Et lorsque sonnaient presque 2h 15 du matin et que prenait fin la séance de visionnage, les cinéphiles ont applaudi à tout rompre pour saluer le travail offert par Mamadou Ndiaye.
Une grande prise de conscience des professionnels, pour dire que l’heure de la guérison a sonné ! Tout portait à le croire. En témoignent les débats qui ont suivi quelques heures plus tard dans la même salle, afin de trouver la thérapie. Le critique marocain, Youssef Ait Hammou ne cachait pas sa satisfaction.
Il a affirmé que «c’est un bijou qui a été présenté, parce que la réalisation d’un film africain reste un grand miracle qu’il faut saluer». Relevant la notion de patrimonialisation du cinéma africain qui ressort de ce documentaire, il a estimé que ce même travail devrait être fait dans tous les pays africains. D’autant plus que «ce n’est pas seulement le cinéma sénégalais qui est malade».
Le Professeur Maguèye Kassé, qui a suivi la séance avec grand intérêt, a vu en cette production «une alerte et un cri du cœur». Et pour faire son diagnostic, il a indiqué que «le cinéma sénégalais est malade de son cadre institutionnel».
Il a noté par ailleurs : «Le mérite de ce documentaire est qu’il nous présente une mémoire sélective qui nous permet d’avoir de nombreux éléments d’appréciation du cinéma. C’est une mise en perspective pour trouver les bons remèdes», en signalant que lesdits remèdes seront valables pour les «autres cinémas malades ou moribonds».
Les bons diagnostics
«L’action de l’Etat semble donc être le premier traitement qu’il faut pour le moribond», dicte le réalisateur Mamadou Ndiaye qui tente également de convaincre à l’idée qu’«il faudrait aussi un cadre académique adéquat pour la formation». Là-dessus, son aîné Mansour Sora Wade est parfaitement du même avis. Il regrette à ce propos la non-réalisation du projet de construction du Centre panafricain de cinéma qui devait être érigé au Technopôle par le Président Wade. L’auteur de l’œuvre Le prix du pardon n’a pas manqué de mettre le doigt sur les tares du secteur, lançant un appel pour «un intérêt commun».
Le journaliste, critique d’art, Baba Diop, lui, a signalé qu’un bon diagnostic est désormais fait et que les bons remèdes sont en train d’être trouvés. «Il y a de l’espoir» a-t-il dit, caressant ainsi dans le sens du poil Hugues Diaz, directeur de la Cinématographie, qui était ainsi en phase avec lui.
Pour M. Diaz, «les maux du 7 art sénégalais ont été un mal nécessaire. Nous avons noté une autosuffisance qui a fait que les choses piétinaient». Mais aujourd’hui, «les choses évoluent positivement et significativement», a-t-il relevé, précisant que l’environnement juridique et règlementaire a changé avec l’application des textes.
Pour preuve, insiste Hugues Diaz, «le Fonds d’aide à la promotion du cinéma (Fopica) est désormais une réalité. Les autorisations de tournage sont effectives, le registre public de la cinématographique est disponible depuis 2014 et l’on a lancé les cartes professionnelles du secteur». Il ne reste, informe-til, que le problème de la billetterie nationale.
L’heure de la guérison
Il faut signaler qu’en plus de ces avancées des autorités dans le secteur du cinéma, Hugues Diaz explique que des réflexions sont en cours pour matérialiser l’ouverture ou la création de salles de cinéma. «De 2013 à 2014, il y a eu des salles qui ont été rénovées ou équipées», a-t-il rappelé, affirmant qu’il faudrait tout de même trouver un meilleur modèle.
Le directeur de la Cinématographie souhaite la réalisation de coproductions avec d’autres pays, ou encore la recherche de fonds privés en plus du Fopica, afin de se mettre au diapason de la transition du tout-numérique.
Il ne cache pas son optimisme. «Notre cinéma malade reçoit de bonnes injections et sa guérison est imminente. Nous nous inscrivons dans un horizon quinquennal et nous sommes convaincus qu’il y a de l’espoir» a-t-il conclu.
Malgré son état de convalescent le cinéma sénégalais envié
Le diagnostic du cinéma sénégalais est fait sans appel et les remèdes semblent tout trouvés. Et ce secteur malade, selon les avis des uns et des autres, est en voie de guérison. Néanmoins, il reste parmi les cinémas les plus enviés et appréciés de la sous-région. La cinéaste camerounaise, Marie Noel Liba, ne s’en cache pas. «La maladie du Sénégal est celle du Cameroun aussi, et de tous les pays africains. Mais ce qui est heureux, c’est que le Sénégal et surtout le film Crépuscule ont voulu nous montrer que rien ne peut se faire sans les aînés.»
Elle a relevé : «Les anciens sont importants pour la relance du cinéma dans nos pays. Et il ne faut pas que les jeunes les évitent, et eux non plus ne doivent pas abandonner les jeunes.» Mme Liba a cité un dicton africain qui affirme que «le tam-tam ne peut pas se mettre à battre tout seul».
Et par conséquent, elle salue les efforts du Sénégal, souhaitant que la direction de la Cinématographie, en collaboration avec le ministère de la Culture, poursuive sur sa belle lancée.
PRIX MOHAMED BASTAOUI DE LA MEILLEURE INTERPRÉTATION MASCULINE
Khouribga immortalise son fils bien-aimé
Pour magnifier sa contribution à la valorisation de l’image du cinéma et de l’acteur marocain, la Fondation du festival du cinéma africain de Khouribga baptise le prix de la meilleure interprétation masculine, «Prix Mohamed Bastaoui».
Par cet acte symbolique, renseigne le Bulletin du festival, la Ffcak contribue, comme c’était le cas auparavant avec Mohamed Bastaoui est un Khouribgui qui a su, informe-t-on, subjuguer les Marocains de tous âges et mériter l’estime des professionnels du cinéma, au point de devenir l’acteur fétiche pour maints cinéastes tels que Kamal Kamal et Daoud Oulad Sayed.
LE MANDAT DE SEMBÈNE PROJETÉ DANS UNE SALLE VIDE
«C’est un crime», s’écrie Nour-Eddine Sail
Lorsque le film Le mandat de Ousmane Sembene avait été projeté à l’ouverture du festival, les participants ont noté à l’unanimité que la salle était quasivide. «A peine une dizaine de personnes», a relevé un cinéphile.
Et ce constat amer n’a pas été du goût de bien de festivaliers qui l’ont souligné lors des débats. «C’est inimaginable de voir projeter un film de Sembène dans une salle vide. Même si on l’a déjà vu, il faut absolument le revoir. Je ne m’explique pas ce que j’ai vu à la soirée d’ouverture», s’est désolé le directeur du plus vieux festival de cinéma du continent, les Journées cinématographiques de Carthage.
Comme lui, beaucoup de cinéastes se sont mordus les doigts face à ce ratage. D’ailleurs M. Sail, président de la Fondation du festival et ancien directeur général du Centre cinématographique marocain (Ccm), a sur un ton humoristique affirmé que «c’est un crime de sortir de salle quand on projette une œuvre de Sembène». A bon entendeur, salut !