AVIS D’INEXPERT : Informer avec responsabilité
Les journalistes professionnels sont avertis depuis l’avènement des réseaux sociaux et du webjournalisme : ils n’ont plus le monopole de la diffusion de l’information.
«La confortable situation des médias et des journalistes, en position de monopole de l'information dans la société, prend fin», ai-je lu sur la page d’une jeune journaliste issue du Cesti (l’institut de journalisme de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar), citant Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde diplomatique. «Trop de journalistes professionnels se prenaient pour une élite, pensant détenir le pouvoir exclusif d'imposer et de contrôler les débats. Ce péché d'orgueil leur faisait croire qu'ils avaient pour toujours un lectorat passif et captif. Mais ce temps où ils avaient seuls le droit de choisir et de publier les informations, est fini. La toile les dépouille de leur identité de "prêtres séculiers".»
Information, mais laquelle ? Toute la question est là. Le journalisme a – par éthique et par déontologie – devoir et métier de collecter l’information, de la vérifier auprès de sources fiables et, au besoin, de la recouper – auprès de sources fiables aussi - et de la diffuser.
Un webjournaliste peut, pour autant de raisons qu’il y a de journalistes de ce type nouveau - ne pas être tenu, voire ignorer, ces précautions professionnelles qui, pourtant, devraient – doivent - être ce que le stratège militaire français, le colonel David Galula, appela «la boussole conceptuelle».
Le boom des technologies de l’information a fait qu’aujourd’hui de n’importe quel coin du monde, de n’importe quelle adresse de ce qu’on surnomme «le 6e continente» - virtuel celui-là, qu’est l’internet d’avoir son site et de diffuser n’importe quelle information – même si elle relève de la propagande, de la fausseté et de la manipulation. L’internet, disions-nous à un certain Abdoulaye Seck, alors patron de la toute première société de télétravail au Sénégal, vers la fin des années 90, est un «gigantesque Pak Lambaye».
Lors de la table ronde organisée par la Convention des jeunes reporters du Sénégal à l’occasion de la Journée de la liberté de la presse, le 3 mai dernier, le directeur de publication de Waa Sports, Tidiane Kassé conseillait : «Méfions-nous des informations des réseaux sociaux». «Ce sont les professionnels de l’information qui constituent le danger à cause de leur manque de rigueur et de professionnalisme dans le traitement de l’information, au point d’ouvrir la porte de la profession aux journalistes dits «citoyens». Le blogueurs les webjournalistes et autres…»
Le vrai journaliste se préoccupe d’informer avec responsabilité, le concept que, de plus en plus, nombre de professionnels préfèrent à cet idéal appelé objectivité. On peut détenir une information vraie, vérifiée, mais avoir la responsabilité de ne pas la publier à cause de l’impact ou des conséquences néfastes qu’elle pourrait avoir.
En 1998, quand les batailles de l’opération Gabou faisaient rage à Bissau, un confrère me demanda s’il est responsable ce comportement d’une radio sénégalaise qui annonça qu’un bateau remplie de munitions faisait cap vers la Guinée-Bissau ! Terrible ! Tout comme récemment, un quotidien dakarois fit un reportage sur un hôtel de Dakar où logeraient des pilotes de guerre français intervenant dans la guerre contre les djihadistes au Mali.
Vraie ou fausse, cette information est de nature à faire fuir la potentielle clientèle de ce réceptif hôtelier qui ne serait plus à l’abri d’un attentat de représailles des Mujao et consorts.
Oui, il faut certes informer avec objectivité, mais surtout avec responsabilité. Sont-ce tous les weblogueurs qui peuvent se conformer à cette vertu ? Pas si sûr. Ce n’est pas que je défende ma paroisse – ma corporation – mais, le journaliste conscient et fier de sa profession ne se laissera pas aller à diffuser n’importe quoi pour n’importe quoi et – disons-le - pour n’importe qui. Twitter a joué un grand rôle dans les émeutes post-électoraux en Iran, en 2009. Il a permis de diffuser en temps réel l’image d’un manifestant présumé tué par les forces de l’ordre. Mais, l’authenticité des circonstances et des causes de la mort de cette personne restaient à authentifier comme étant liées aux manifestations. Ce Twitter qui l’a annoncé n’a pas la même force et la même crédibilité qu’une information donnée par Reuters (agence de presse britannique). Ce n’est pas le même symbole. Et c’est une raison de plus pour remettre en selle le journaliste comme l’acteur clé dans la circulation de l’information.
L’information via les réseaux n’est pas des plus fiables dans l’absolu. Son utilisation, sa publication doit être sujette à caution, à précautions… «Cette information ne doit être qu’une piste pour le journaliste, car il y a beaucoup de raisons pour nous, de nous méfier de ces informations», renchérit Tidiane Kassé.
Faisons du journalisme, mais méditons beaucoup sur ces vérités –qu’impliquent ces nouveaux médias - qui doivent être autant de viatiques.