AVOCAT DES CAUSES DÉJÀ PERDUES...
Dans la croyance populaire, le travail d’avocat consiste à transformer un mensonge en une vérité, à essayer de défendre l’indéfendable. Toutefois, aussi controversée qu’elle soit, la profession d’avocat suscite beaucoup l’admiration des jeunes.
« La cour doit faire une œuvre de récupération de tout membre de la société égaré, en lui faisant une application de la loi qui comporte une forte main tendue pour une dernière chance. Ecouter l’avocat général et accorder une suite favorable à sa demande serait pour votre cour une forme d’aveuglement à laquelle je sais que vous n’allez pas vous livrer ». Ainsi plaidait maître Iba Mar Diop lors du procès d’assises d’Alboury Lô et de son supposé complice Briand Kalunga.
Le brillant avocat cherchait ainsi à éviter à son client la peine de mort en vigueur à l’époque au Sénégal. Ces faits qui se sont déroulés en 1992 sont rapportés par Me Alassane Cissé dans son livre « Les Sanguinaires ».
L’avocat général d’alors François Diouf avait requis la peine capitale contre Alboury Lô à la suite de terribles révélations que celui-ci venait de faire à la barre, plongeant ainsi toute la salle dans un silence de cimetière. Alboury Lô avait fait le récit sanglant d’une série de meurtres qu’il avait perpétrés en compagnie de Jonathan Bédimo de Dakar à Bakau en Gambie.
Son avocat, Me Diop, savait que ce témoignage désastreux que venait de faire son client le menait droit au peloton d’exécution. L’expert essayait alors d’atténuer la lourde sentence qui l’attendait en évoquant la morale.
« Si vous lui laissez la vie sauve, quelle que soit la durée de la peine à laquelle vous aller le condamner, son remord sera éternel. C’est déjà une condamnation », avait encore désespérément tenté de convaincre l’expérimenté avocat. Malgré sa brillante plaidoirie, Alboury Lô a été reconnu coupable des faits qu’il a lui-même avoué et condamné à la peine de mort.
Si maître Iba Mar Diop n’a pu tirer d’affaire son client, son confrère Me Cheikhou Amadou Diop, lui, a réussi à obtenir le nonlieu pour Antoine Fatoundé avant même l’ouverture du procès. Ce dernier était poursuivi avec Briand Kalunga, acquitté aussi, pour complicité.
« Maître Cheikhou Amadou Diop se montra particulièrement actif. L’avocat multiplie les procédures et met en place des recours systématiques contre toutes les décisions qui sont défavorables à son client. Les pièces du dossier révèlent que sa stratégie qui a, intelligemment évolué, va se révéler payante », a écrit Me Alassane Cissé dans son livre.
En 2008, c’est avec la même détermination que les avocats de la bande à Ino ont défendu leurs clients pour éviter que le glaive de la justice ne s’abatte sur eux. Ils se sont presque tous attaqués à la procédure et aux réquisitoires du parquet, avant de plaider l’acquittement. Pourtant de lourdes charges pesaient sur leurs clients.
Ino et sa bande étaient poursuivis pour, entres autres délits, association de malfaiteurs, vols commis la nuit en réunion avec effraction, usage d’armes, de véhicules et de violences, de menaces et voies de fait, etc. Leurs agissements criminels étaient devenus un secret de polichinelle de Dakar à Banjul.
Djiby Ba, l’un des accusés, avait même confirmé à la barre avoir participé, avec six autres membres de la bande dont Ino, Alex, Mamadou Sané dit Fily, à des cambriolages de stations services. Me Amadou Aly Kane, avocat de Banda Dabo, membre de la bande accusé de 28 agressions et quatre viols, a essayé de démonter pièce par pièce l’accusation contre son client, avant de dire que celui-ci s’est repenti et de demander la relaxe.
Les exemples sont nombreux. Des avocats se constituent ou sont constitués dans des dossiers où la culpabilité de leur client est presque certaine. Beaucoup de gens pensent également qu’il est des prévenus ou des accusés qui ne méritent pas d’être défendus.
« Les avocats sont presque indispensables dans la société. On se rend compte de leur utilité lorsqu’on est dans une situation difficile. Moi, j’en sais quelque chose. Mais parfois dans certains dossiers on se demande comment on peut défendre de telles personnes. Tellement les faits pour lesquels elles sont poursuivies sont ahurissants qu’elles ne méritent pas d’être défendues », a estimé Mamadou Sow, un ouvrier trouvé dans un chantier à Dakar.
« Le métier d’avocat me passionne beaucoup. Ils sont éloquents et il paraît que la profession paie bien. Mais moi, lorsque je serais avocat, je choisirais les causes que je vais défendre. Je ne vais pas me constituer pour un violeur, un voleur, une lesbienne, un criminel, etc. », a énuméré cette étudiante en Droit qui a requis l’anonymat.
Bassirou Ndiaye, lui, interroge le Droit islamique. A l’en croire, si l’on s’appuie sur la « charia », un homme qui tue un autre doit être tué. « Il n’y a pas à chercher de midi à quatorze heures, les textes du Droit islamique sont clairs. Et aucun avocat ne peut le défendre. Mais malheureusement « la charia » n’est pas en vigueur au Sénégal qui est un pays laïque », a regretté M. Ndiaye.
Ousmane Ndiaye, lui, sort du lot. Selon cet étudiant tous ceux qui disent qu’il y a certaines causes qui ne méritent pas défense ou sont indéfendables n’ont jamais été dans une telle situation. « Quand on a un frère, un oncle ou n’importe quel membre de notre famille qui commet une infraction, quelle que soit la gravité, la première chose à laquelle on pense, c’est d’aller chercher un avocat pour l’assister. Qu’il soit de bonne ou de mauvaise moralité, on l’assiste parce qu’il est membre de la société », a soutenu Ousmane.
Il ajoute, en outre, que généralement ce sont les avocats qui sont au côté des opprimés. « La société est égoïste, mais nous devons respect et considération aux robes noires », pense Ousmane Ndiaye.