BANDJIM BANDOUM, EX-DG ADJOINT DE LA DDS, REGRETTE ET DEMANDE PARDON AUX VICTIMES
Audition du témoin clé
Invitant Hissein Habré à prendre ses responsabilités et à parler devant la cour d’assises des Chambres africaines extraordinaires (Cae), Bandjim Bandoum, exdirecteur adjoint de la Dds, est loin d’être fier de ce qu’il a fait lors de son passage dans cette police politique. Il a demandé pardon aux victimes.
Son témoignage devant un Tribunal aura été pour lui une occasion d’expier ses «péchés». Il l’avait promis à son fils, il l’a fait. Bandjim Bandoum a soulagé sa conscience car, dit-il, devant la barre de la cour d’assises des Chambres africaines extraordinaires (Cae) : «Ce que j’ai fait à la Direction de la documentation et de la sécurité a troublé ma conscience.»
Le témoin a ainsi exprimé tous ses regrets pour le rôle qu’il a joué dans cette police politique du régime de l’ex-homme fort de Ndjamena où il a occupé de hautes fonctions entre 1982-1990. «Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait durant cette période», fait-il savoir en répondant aux questions de Me Balal.
Il ajoute : «Je n’ai pas été à la hauteur des valeurs que mes parents m’ont inculquées. Je ne me venge de personne. Si je devais me venger de quelqu’un, ce serait sur ma propre personne. J’ai été un bon gendarme, major de ma promotion.» L’ex-agent de la Dds indique qu’il fait de son mieux pour éduquer ses enfants dans le droit chemin.
Poursuivant son propos, Bandjim Bandoum déclare que ce qui s’est passé au Tchad entre 1982 et 1990 est réel. C’est pour cette raison qu’il estime que le Tchad a besoin de ce procès pour tourner la page. «Je demande à Habré de parler et de prendre ses responsabilités. J’ai pris acte de mes responsabilités et j’ai dit ce que j’ai entendu et vu. Je demande pardon à toutes les victimes. Je suis conscient que le pardon n’est pas suffisant», conclut Bandjim
Bandoum.Bandjim est un refugié qui vit en France. Son témoignage devant la cour d’assises des Chambres africaines extraordinaires n’est pas du goût des autorités du Tchad. Il dit avoir reçu des appels anonymes la veille de son témoignage (les 2 et 3 septembre 2015) pour l’en dissuader.
«Ma famille restée au Tchad est toujours harcelée, mais je l’ai avertie que le chemin allait être difficile. J’ai dû divorcer d’avec ma femme restée au Tchad», se plaint-il devant le président Gberdao Gustave Kam.
ME ABDOU GNINGUE DE LA DÉFENSE À BANDJIM BANDOUM
«Tu ne nous as pas dit toute la vérité»
La défense pense que le témoin Bandjim Bandoum n’a pas dit toute la vérité, notamment le rôle qu’il a joué dans la répression. «Tu es la boîte noire du crash, mais j’ai l’impression que tu ne nous as pas dis toute la vérité», clame Me Abdou Gningue.
Les avocats commis d’office pour la défense de Hissein Habré ont demandé, à la fin de son interrogatoire, que le témoin soit gardé à Dakar aux fins de le confronter avec Mme Ginette Ngarbaye, une victime qui l’a identifié comme son bourreau.
Mais le président de la Cour n’a pas accédé à cette requête. Gberdao Gustave Kam a laissé repartir Bandjim Bandoum. Tout de même, il a fait savoir à ce dernier que si la Cour a besoin de lui pour la suite de l’audience, elle prendra toutes les mesures qui s’imposent pour le faire venir à nouveau à Dakar.
EXÉCUTIONS «SOMMAIRES» À LA DDS
Entre 300 et 400 personnes tuées dans cette structure
La Direction de la documentation et de la sécurité a occasionné entre 300 et 400 morts durant la période 1982-1990. La révélation a été faite par l’ancien agent de cette structure, Bandjim Bandoum, lors de sa déposition devant les Chambres africaines extraordinaires. Saisissant cette opportunité, il a invité Habré à parler au lieu de s’emmurer dans le silence avant de demander pardon au Peuple tchadien pour les actes commis quand il était en service à la Dds.
Les services de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds) étaient un véritable mouroir pendant le règne de Hissein Habré au Tchad. Selon les estimations de Bandjim Bandoum, ancien agent de cette structure, il y a entre 300 et 400 personnes exécutées dans les locaux de la Dds. Les détenus qui étaient amenés à la cellule C de la Dds étaient condamnés à mourir. «Ils ne sortaient pas vivants de la prison», a avoué le témoin qui vit présentement en France comme réfugié politique.
M. Bandoum en veut pour preuve le cas de Rose Lokissim. «Je n’ai pas vu son corps, mais elle n’était pas emprisonnée quand je suis revenu de la mission au sud du pays», a-t-il informé. A en croire le témoin, ces exécutions sommaires étaient l’apanage exclusif de Issa Araway. Ce dernier amenait les détenus, dit-il, dans la brousse où il les fusillait.
Et d’après toujours Bandjim Bandoum, il existe des charniers à tous les lieux où ces exécutions sommaires ont été faites. Le témoin essentiel a aussi souligné n’avoir jamais noté la libération d’un détenu accordée par Saleh Younouss, ancien directeur de la Dds.
D’ailleurs, Bandjim Bandoum reconnaît que les interrogatoires des détenus étaient musclés et l’ordre était donné en ce sens par le directeur de la Dds de l’époque, en l’occurrence Younouss Saleh. Selon toujours le témoin, Saleh Younouss disait que c’était quelque chose d’obligatoire. Et même si le détenu faisait des aveux, l’ancien directeur de la Dds demandait de le pousser à en dire plus. Pour ce qui concerne les prisonniers qui sont morts de maladie, ajoute l’ancien agent de la Dds, c’est le service pénitentiaire qui s’en occupait.
Il reste aussi convaincu que toutes les fiches de renseignements étaient adressées à Habré. M. Bandoum souligne en outre que les procès-verbaux sont clôturés avec des annotations comme E qui signifie «Exécuter», L qui veut dire «Libérer» et V pour «Vu». Ce qui amène M. Bandjim à dire que tout ce qui s’est passé au Tchad durant la période 1982-1990 est réel.
Après tout ce tort commis à l’endroit des Tchadiens, Bandjim Bandoum demande à Hissein Habré de parler : «Le Tchad en a souffert pour qu’on tourne la page», dit-il avant de faire aussi son mea-culpa. «Je demande au Peuple tchadien pardon. Ce pardon n’est pas suffisant», reconnaît-il.