Bibo allume sa bougie - «Je ne suis le prête-nom de personne»
BIENS MAL ACQUIS - Révélations d’un ami de Karim Wade
On ne sait pas si c’est une stratégie concertée entre Karim Wade et Bibo Bourgi pour donner l’impression que le feu prend entre les deux amis dont les destins sont liés dans l’enquête sur les Biens mal acquis, ouverte par la Cour de répression de l’enrichissement illicite. En tout cas, devant les enquêteurs, Ibrahima Khalil Bourgi dit Bibo ne s’est pas montré tendre avec le fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade. Bibo Bourgi qui a cherché à se défendre revendique avec acharnement la propriété exclusive de toutes les parts de capital de sociétés inscrites à son nom.
Ibrahima Khalil Bourgi dit «Bibo» ne décolère pas. Cet homme d’affaires, ami proche de Karim Wade a été entendu pas moins de douze fois par les enquêteurs de la Section de recherches de la gendarmerie nationale. Ses présumées relations d’affaires avec le fils de l’ancien Président, Abdoulaye Wade, lui valent cette assiduité chez les pandores de Colobane.
Il transparaît dans ses déclarations faites devant les enquêteurs, que l’homme est désabusé et semble même vouloir se poser en victime. «Je n’ai commis aucune infraction sinon que d’avoir été l’ami d’un homme qui a joué et qui a perdu. Dans cette affaire, j’ai le plus à perdre, j’ai tout à perdre. Je suis persécuté. Je souffre. Le nom et la bonne réputation de ma famille sont en train d’être éclaboussés par cette affaire». A en croire Bibo Bourgi, il ne porte aucune part dans aucune société pour le compte de Karim Wade. «J’ai souscrit des actions nominatives pour mon propre compte. Si je cherchais à dissimuler des actions, celles-ci auraient été au porteur. Karim Wade ne m’a pas non plus aidé pour mettre en place mon business. Karim ne m’a pas aidé et n’aidera personne. Je ne suis le prête-nom de personne !», tranche-t-il. L’homme a voulu se montrer amer et courroucé contre son pote, ancien super-ministre du régime libéral. «Karim Wade se fout éperdument que mes biens soient confisqués. Il n’aurait rien à perdre. C’est mon patrimoine personnel qui est en jeu dans cette histoire». Bibo Bourgi ravale ce qui peut être perçu comme une colère noire contre son ami Karim Wade. Il avait, un moment, songé à se révolter face aux enquêteurs en refusant de tenir à leur disposition des états financiers des filiales de Ahs à l’étranger. Il ne résistera pas trop longtemps, il cédera aux injonctions des hommes du Commandant Cheikh Sarr qui, pourtant, se sont montrés très corrects avec lui.
Le chiffre d’affaires de Ahs
Il dira aux enquêteurs que les sociétés en question ne ramassent pas de l’argent comme on voudrait le faire croire. «C’est comme si ce serait un ogre qui crache du cash. Comment peut-on croire par exemple que Ahs nous (sic) rapporterait quelque 150 millions de francs par jour. C’est n’importe quoi !». Bibo Bourgi affirme que le chiffre d’affaires de Ahs Dakar, réalisé sur les quatre dernières années ne dépasse pas 4,2 milliards de francs Cfa par an. Aussi, Ahs Dakar a perdu régulièrement de l’argent jusqu’en 2007. Donc, depuis sa création, cette entreprise n’a pas distribué de dividendes aux actionnaires. «Je n’invente rien, les états financiers sont certifiés et déposés aux impôts». Les autres filiales de Ahs ne se porteraient pas mieux, Ahs-Bissau a été fermé ainsi que Ahs Niamey. On se fait des idées sur Ahs Jordanie, or cette entreprise ne réalise qu’un chiffre d’affaires annuel de 3 millions de dollars (1,5 milliard de francs Cfa)». Bibo Bourgi doute que ses interlocuteurs le croient mais ajoute : «Qu’on me croit ou pas, les états financiers sont là et sont certifiés». Et puis, s’empresse-t-il de dire : «J’ai pris des risques en cherchant à étendre cette société à travers le continent. J’aurais pu me limiter à Dakar et peut-être gagner de l’argent. Dans cette affaire, c’est peut-être l’Etat qui a gagné de l’argent et les travailleurs qui ont perçu des salaires, mais les actionnaires de Ahs n’ont rien gagné avec ça». Pourtant, on lira plus tard dans la presse l’évaluation que le Parquet spécial de la Crei fait du patrimoine des différentes entités Ahs. Comment peut-on évaluer Ahs Dakar à 45 milliards de francs et à 7 milliards de francs Cfa Ahs Bissau aujourd’hui fermé et qui avait un chiffre d’affaires annuel de 70 millions de francs Cfa ? C’est comme si les enquêteurs auraient simplement cumulé les chiffres d’affaires réalisés depuis la création de la société. A propos de la cession du patrimoine de l’ex-Air Afrique, Bibo Bourgi déclare dans l’enquête que Ahs n’avait bénéficié d’aucune faveur. Au contraire, le syndic avait tenu à n’affecter les différents lots qu’au mieux disant.
Bibo Bourgi en voudrait aussi beaucoup à Elimanel Diop, ancien dirigeant des Ahs Dakar qui a fait des déclarations compromettantes pour les deux amis Bibo et Karim. «Il est inacceptable qu’on prenne pour argent comptant de simples déclarations sans aucune preuve». Il insiste «J’ai un nom, une famille qui a une histoire et une réputation dans ce pays. Je suis petit fils de Abdou Karim Bourgi. Le nom de ma famille ne doit pas être éclaboussé à cause de mes activités. Ma famille est dans les affaires au Sénégal depuis 1936. Je ne veux pas être celui par qui l’opprobre va arriver».
Quand les enquêteurs cherchent à savoir les motivations de Bibo Bourgi pour ouvrir des sociétés off-shore notamment au Luxembourg, au Panama et aux Iles vierges Britanniques, la réponse de l’homme d’affaires est toute simple : «Il est une pratique courante pour les holdings de créer des sociétés off-shore afin d’optimiser les investissements. C’est aussi pour des convenances familiales». A la question de savoir pourquoi il fait souvent recours à ses employés pour porter des actions, Bibo Bourgi explique que «nous sommes dans un pays où tout le monde vous épie».
Le montage de Eden Rock
Bibo Bourgi a aussi cherché à s’expliquer sur le montage de l’immeuble Eden Rock, un complexe d’appartements de très haut standing vendus à plus de 650 millions de francs Cfa l’unité. «Ma famille investit dans l’immobilier depuis plusieurs décennies. Déjà, sur le même site, nous possédions deux grandes villas. Je n’ai fait qu’acquérir un terrain de Abdou Mody Ndiaye. Si on veut m’accuser d’avoir enrichi ce monsieur, je n’y suis pour rien. C’était un bien immobilier qui était vendu et je l’ai acheté. Pour les autres espaces que j’ai achetés par la suite sur le même site, je dois dire que je les ai achetés à un prix trois fois supérieur au barème de prix fixé par l’Etat. J’ai donc élaboré un projet immobilier qui n’est pas mon premier projet. Ma famille travaille dans ce secteur», explique-t-il. Bibo Bourgi n’est pas non plus étonné par le fait que des sociétés de droit panaméen qui sont inscrites à son nom aient acheté plusieurs appartements sur le site d’Eden Rock. Pour lui, «c’est un moyen de valoriser ses actifs et chaque transaction est enregistrée aux impôts et nous payons les taxes. C’est l’Etat en quelque sorte qui y gagne».