BIBO BOURGI EN DANGER DE MORT
LES CONCLUSIONS DES EXPERTS MÉDICAUX MILITENT EN FAVEUR DE SON ÉVACUATION EN FRANCE
'LE PRONOSTIC VITAL DE BIBO BOURGI EST ENGAGÉ''
C’est sans nul doute un long chemin de croix pour Bibo Bourgi afin d’obtenir l’autorisation de sortie du Sénégal pour suivre des traitements médicaux que nécessite son état de santé alarmant, aux dires des experts. Mais la Crei, qui a désigné des experts médicaux ne devrait plus le laisser mourir à petit feu au Sénégal. Les conclusions des médecins Serigne Maguèye Guèye et Ousmane Dièye sont favorables à son évacuation sanitaire dans les plus brefs délais.
Les experts médicaux désignés par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) pour examiner l’état de santé de Bibo Bourgi ont déposé leurs conclusions sur la table du juge Henri Grégoire Diop, président de la Crei le mardi 5 avril 2014. On attend encore dans quel sens les juges de la Crei vont trancher la question de l’évacuation sanitaire en France du prévenu qui garde encore son lit d’hôpital dans une clinique dakaroise.
Seulement, les conclusions auxquelles ont abouti les experts désignés d’office par la Crei ne semblent pas laisser de place à une autre décision que celle de l’autorisation de sortie réclamée par les conseils du prévenu en faveur de leur client.
Les graves pathologies diagnostiquées par les experts de la Crei
Le médecin-Colonel Serigne Maguèye Guèye, urologue et chef du service spécialisé à l’Hôpital général de Grand Yoff (Hoggy) avait été désigné par ordonnance «avant dire droit» du président de la Crei en date du 28 juillet 2014, en même temps que le cardiologue Ousmane Dièye. Une série de six questions leur avait été adressée par la Crei ?
Tendant à savoir si Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi était en danger de mort; s’il avait effective- ment subi une opération à l’Hoggy; opération à l’issue de laquelle il a contracté une bactérie nosocomiale et de quel type; si son état de santé peut être pris en charge au Sénégal; si cet état de santé nécessite une évacuation sanitaire en France et si le prévenu est en état de comparaître devant la Crei avec ou sans assistance médicale.
Compte tenu de l’urgence attachée à leur mission, les deux médecins experts ont examiné le patient les 2 et 3 août 2014 avant de déposer leurs rapports respectifs. Les deux rapports aboutissent à la même conclusion, c’est à dire donnant raison au demandeur quant à la nécessité de le faire évacuer en France dans les plus brefs délais. Serigne Maguèye Guèye confirmera que Bibo Bourgi avait été bel et bien opéré au service urologie de l’Hoggy le 28 juin 2014 et qu’il a attrapé par la suite une bactérie nosocomiale qui continue de résister aux traitements appliqués.
Serigne Maguèye Guèye n’estime pas moins, en réponse à une autre question posée par la Crei, que son service pourrait prendre en charge l’état de santé de Bibo Bourgi. Il écrit dans son rapport : «Au plan strictement urinaire, le seul hôpital au Sénégal qui dispose de l’équipement permettant de réaliser une urétéroscopie-laser est l’Hoggy. Cet hôpital dispose aussi de ressources humaines habituées à cette pratique.
Cependant, le problème de l’opérabilité de M. Ibrahim Aboukhalil se pose dans nos conditions de travail surtout en ce qui concerne son état de santé cardiovasculaire...». L’urologue insiste en précisant «son opération doit se faire dans un environnement opératoire sécurisé avec une surveillance péri-opératoire permettant d’éviter la survenue de toute infection et surtout de faire fasse à tout accident cardio-vasculaire».
Naturellement l’Hoggy ne réunit pas de telles conditions. Les antécédents cardio-vasculaires inquiètent davantage le colonel Guèye qui renvoie les juges aux conclusions du cardiologue. Ce dernier, le Docteur Ousmane Dièye estime de son côté que l’état de santé de Bibo Bourgi ne lui permet pas de comparaître devant la Cour pour faire face à son procès.
Plus grave, le Dr Dièye écrit sans ambages que la situation cli- nique de Bibo Bourgi «peut mettre en jeu son pronostic vital et nécessite une évacuation urgente en France». Le cardiologue craindrait une mort possible à tout moment, par infarctus du myocarde.
De lourds antécédents cardiaques
Bibo Bourgi se fait suivre par le Pr Monsegu en France et au Sénégal par le Docteur Fakher Trigui de la Clinique du Cap à Dakar. Mais de nombreux autres médecins ont eu à se pencher sur son état de santé depuis l’ouverture de la procédure judiciaire devant la Crei. Après son placement sous mandat de dépôt le 17 avril 2013 par la commission d’instruction, il avait rapidement été transféré au pavillon spécial de l’Hôpital Aristide Le Dantec. Son état de santé inquiétait gravement.
Il aura fallu une expertise du Dr Mbaye Paye (le 13 mai 2013) et une contre expertise du Docteur Adama Kane (le 7 juin 2013), tous les deux cardiologues, pour conclure à l’incompatibilité de son état de santé avec le maintien en milieu carcéral. Bibo Bourgi obtiendra alors une mise en liberté provisoire le 18 juin 2013, avec placement sous contrôle judiciaire.
Sa santé devenait de plus en plus déclinante et Bibo Bourgi demandera en vain, à plusieurs reprises, une autorisation de sortie du Sénégal pour suivre des traitements médicaux en France. Le parquet spécial s’était systématiquement opposé à une telle demande jusqu’à l’intervention chirurgicale du 28 juin 2014 à l’Hoggy avec de fâcheuses conséquences post-opératoires.
Le 21 juillet 2014, ses avocats introduisirent une nouvelle demande d’évacuation sanitaire à laquelle le parquet spécial de la Crei ne s’est pas opposée, le 22 juillet 2014, se conformant à une lettre allant dans ce sens du ministre de la Justice, Me Sidiki Kaba, en date du 12 mai 2014. Le président Henri Grégoire Diop va surprendre son monde en désignant des experts médicaux pour examiner à nouveau Bibo Bourgi. Les rap- ports des experts ont abouti à la conclusion d’une évacuation d’urgence en France.
Les craintes d’une soustraction à l’action de la justice
En dépit des conclusions médicales qui sont favorables à son évacuation en France, des voix s’inquiètent au sein de la Crei, du risque de ne plus revoir Bibo Bourgi au Sénégal.
Dans une ordonnance en date du 28 mai 2014, Henri Grégoire Diop et ses assesseurs indiquaient notamment que Bibo Bourgi «est titulaire de deux passeports, sénégalais et français. Il dispose de la double nationalité; que dès lors, il peut se soustraire à l’action de la justice, une fois sur le territoire français; qu’au surplus, il existe un risque de concertation frauduleuse avec son frère qui est également poursuivi dans cette affaire et qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt».
"LES LUNDI DE MADIAMBAL"
BIBO BOURGI A DROIT À LA VIE
Le journal Le Quotidien ne savait sans doute pas si bien dire en titrant la semaine dernière au sujet du procès de Karim Wade et compagnie devant la Cour de répression de l’enrichissement illicte (Crei) : «Bibo, la clef du procès Karim.» Le sort du procès est plus que jamais lié à celui de cet homme d’affaires, ami de Karim Wade. L’accusation soutient que Bibo Bourgi serait l’homme de paille de Karim Wade et que l’essentiel des montages financiers qui auraient induit des enrichissements illégaux au profit du fils du Président Wade porteraient la main de Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi.
C’est dire que le procès se tiendrait difficilement en l’absence de Bibo Bourgi. Or la Crei n’a plus le choix que de laisser le prévenu quitter le Sénégal pour aller suivre un traitement médical qui s’avère «urgent», aux dires des médecins. La Crei avait désigné, le 28 juillet 2014, deux experts, chacun dans sa spécialité, en l’occurrence le médecin Colonel Serigne Maguèye Guèye, urologue, et le Docteur Ousmane Dièye, cardiologue.
Dans deux rapports distincts déposés le 5 août 2014, les experts concluent à l’urgence d’évacuer le patient en France pour y subir les traitements médicaux appropriés (Voir ci-contre). En effet, les experts médicaux ont répondu à toutes les questions posées par la Cour en affirmant en chœur que Bibo Bourgi risque la mort s’il n’est pas pris en charge par des structures de santé appropriées pour le traitement des pathologies diagnostiquées et surtout des complications liées à des tentatives de prise en charge au Sénégal.
Aussi, son état de santé actuel ne lui permettrait point d’assister à un procès. Devant une telle situation, on ne voit pas comment les magistrats de la Crei pourraient continuer à faire la sourde oreille vis-à-vis des demandes incessantes des avocats de Bibo Bourgi de voir leur client évacué en France, d’autant que le Parquet spécial a fini de donner des réquisitions indiquant n’être plus opposé à l’évacuation sanitaire du malade.
Les médecins précisent sans ambages que le «pronostic vital de Bibo Bourgi est engagé». Quelle que soit la gravité des faits à lui reprochés, Bibo Bourgi n’en a pas moins des droits et celui le plus élémentaire de la personne humaine est le droit à la vie. André Malraux disait que «rien ne vaut une vie».
De façon subsidiaire, le prévenu a droit à un procès juste et équitable et pour arriver à cela, il faudrait lui permettre de se défendre des accusations portées contre lui.
Pour ce faire, il a certes besoin de l’assistance de ses conseils, mais surtout d’être en possession de tous ses moyens physiques pour répondre aux rigueurs et exigences d’un procès pénal.
C’est dire que ce fut une énormité quand on avait entendu, sortie de la bouche de plaideurs au cours des premières audiences de ce procès, l’affirmation selon laquelle l’ancien Président égyptien, Hosni Mloubarak, avait comparu devant la justice, couché sur une civière et que pour cette raison, Bibo Bourgi pourrait être amené manu militari à comparaître à son procès.
L’état des droits humains au Sénégal et l’idée d’une bonne distribution de la justice interdiraient une pareille façon de faire. Le prévenu ne pourrait assister à son procès que vivant et bien portant. C’est ce qui rend absurde et stupide la première position des avocats de Karim Wade au sujet de la présence ou non de Bibo Bourgi.
On peut augurer que la démarche procédait d’un simple bluff mais il apparaît scandaleux que les avocats d’un coprévenu se permettent de demander à la justice de faire fi de l’état de santé décrit comme périlleux d’un prévenu et de le faire passer en jugement quoi qu’il pourra lui arriver.
Il est tout aussi sidérant de voir Karim Wade rester de marbre face à cette hérésie de ses propres avocats. Ne serait-ce que pour les relations d’amitié qui l’ont uni avec Bibo Bourgi, il ne devait pas laisser faire une chose qui mettrait en péril la vie de Bibo Bourgi. La lucidité a fini de gagner les avocats de Karim Wade qui se sont rétractés de cette position, mais le mal est déjà fait.
La Crei a traîné les pieds jusqu’à présent pour accéder à la demande de Bibo Bourgi, en ayant certainement à l’esprit la nécessité de sauver le procès. Mais de toute façon, elle n’a plus le choix. La cour sera bien obligée de laisser Bibo Bourgi aller se faire soigner à l’étranger. La poursuite du procès en son absence sera sujette à caution.
Seulement, il n’y aurait pas de péril en la demeure car la procédure judiciaire organise la possibilité de renvoyer à une date pertinente la poursuite d’un procès, le temps que toutes les parties s’organisent, se préparent et mettent toutes leurs chances de leur côté. Il serait logique qu’en décidant d’autoriser l’évacuation sanitaire en France, de Bibo Bourgi, que la Crei renvoie dans la foulée la date des audiences à une date plus ou moins lointaine, le temps de lui permettre de se soigner et de revenir.
Pendant ce temps, que ferait-on de Karim Wade et de Pape Mamadou Pouye, les deux prévenus qui gardent encore prison dans cette affaire ? L’équité aurait voulu qu’ils soient mis en liberté provisoire, quitte à ce qu’ils soient placés sous contrôle judiciaire jusqu’à la reprise du procès. Cela ne préjugerait en rien de l’issue du procès.
Toutefois, on assisterait à une certaine impasse au cas où Bibo Bourgi ne retournerait pas au Sénégal quand son état de santé le lui permettrait. La situation de fugitif du frère de Bibo Bourgi, Karim Bourgi, co-prévenu dans la même affaire, pousserait de nombreuses personnes à être sceptiques quant à un éventuel retour au Sénégal de Bibo Bourgi.
Seulement, au corps défendant de ce dernier, Bibo Bourgi avait la latitude de fuir, comme son frère, avant le début des investigations lancées par le Procureur spécial Alioune Ndao. Il a participé à toutes les phases de l’enquête préliminaire au niveau de la gendarmerie sans avoir cherché à se soustraire à l’action de la justice. Et puis, dans le cadre d’une procédure pénale, même la mort d’un des prévenus n’éteindrait pas l’action publique à l’encontre des prévenus survivants.