BIBO ET MAMADOU POUYE POUR LA RELAXE
ENRICHISSEMENT ILLICITE
La journée d’hier était vraisemblablement l’avant-dernière du procès d’enrichissement illicite. Les deux derniers intéressés, prévenus-avocats, se sont défendus becs et ongles en optant pour une ligne solidaire : écarter Karim Wade de la propriété des sociétés incriminées. La séance s’est achevée sur des observations soulevées de part et d’autre. La clôture des débats et le délibéré fixés au 23 mars prochain.
"Surréaliste", "absurde", "invraisemblable", "inexacte", "fantasmes", "affabulations"… Le champ lexical de la plaidoirie d’Ibrahim Aboukhalil dit Bibo était celui de la dénégation formelle, hier. Pis, le prévenu a même évoqué un acharnement de l’accusation, "malgré la légèreté des charges retenues contre lui".
Poursuivi pour complicité d’enrichissement illicite, il ne s’est pas privé de déconstruire une à une les fondements de l’accusation. "Il s’agit sans doute d’un truisme, mais Karim Wade n’est pas le propriétaire des actions détenus par Karim Aboukhalil, Mamadou Pouye et moi-même. Le ministère public a échafaudé une théorie selon laquelle nous ne sommes pas les détenteurs de nos propres sociétés. Nous ne serions que des prête-noms, des laquais voués à créé des sociétés off-shores pour camoufler la présence de Karim", a-t-il déclaré.
Le noyau dur des prévenus, sans avocats, ne s’est pas présenté en victimes expiatoires. Ibrahim Aboukhalil a dit payer son "délit d’amitié avec Karim Wade". Il a été renforcé dans ses convictions par Mamadou Pouye. "Est-ce que l’amitié est un agissement illégal ?" Les deux plaideurs de circonstance ont estimé qu’on veut leur faire un procès d’intention. "Un esprit de revanche drapé dans le manteau de la reddition des comptes", a dit Pouye.
A preuve, le décalage entre les sommes mirifiques annoncées par la poursuite et la réalité des faits. Des tergiversations de l’information qu’Ibrahim Aboukhalil a mises sur le compte d’une volonté de l’atteindre. Les "99 milliards de tous les fantasmes" de Monaco ont été réduits à la portion congrue par Bibo. "Un nouveau rapport a évalué le solde créditeur à 10 milliards, au lieu de 99. Une lecture attentive et sereine des soldes figurant sur les relevés bancaires transmis par les autorités monégasques aurait permis de constater que la somme totale des avoirs sur ces comptes est de 6 milliards", a déclaré le prévenu.
Rejetant toutes les accusations en procédant par déduction, il est arrivé à la conclusion que les preuves impliquant le fils de l’ancien président de la République ne tiennent pas. "En l’absence totale du moindre flux financier, le parquet spécial a cru pouvoir contourner l’obligation de la matérialisation de l’infraction, en tentant d’impliquer Karim Wade dans le processus de création de Ahs", a-t-il ajouté.
"Les 18 milliards d’Ahs sont faux"
Ainsi, Mamadou Pouye a demandé à être relaxé "purement et simplement". Optant pour une approche démonstrative, il s’est attaqué aux carences de l’accusation. Comme son associé en affaires et coïnculpé, il a dégrossi les montants avancés par la poursuite. Selon lui, l’accusation est allée vite en besogne. A titre d’exemple : "des 694 milliards annoncés, 467 se trouvaient au Sénégal, selon le procès-verbal de synthèse de la gendarmerie", a-t-il dit, avant d’ajouter :
"670 des 694 milliards, dans la mise en demeure, incluaient la notion de poids financier. Mais est-ce que quelqu’un sait ce qu’est le poids financier dans la salle ? Le concept n’existe pas, donc ces milliards n’existent pas. C’est le premier scandale de cette affaire, compte tenu de la publicité qu’on lui a faite", s’est-il défendu.
Dans le cas spécifique de Ahs, l’idée-force qu’il a défendue est que la poursuite a réajusté le dossier d’accusation à chaque fois qu’elle était dans une impasse. Non seulement la société de Handling a été surévaluée, mais les conclusions du rapport de l’expert ne concernent pas la période visée par la traque des biens mal acquis.
"On a déterminé le niveau d’enrichissement illicite, en faisant une évaluation future, pour la période 2014-2021. Sur les 117 milliards, les 18 concernant Ahs sont faux, car ils concernent un enrichissement futur et hypothétique. D’ailleurs, la durée de la licence de Ahs s’arrête à 2017", a analysé Mamadou Pouye. Le prévenu s’est indigné que cette société soit inscrite toujours dans le patrimoine de Karim Wade, alors que le trio d’actionnaires est composé de lui-même, Ibrahim Aboukhalil et Karim Aboukhalil.
Les conclusions polluent l’atmosphère
À la fin des plaidoiries, les observations soulevées par les différentes parties se sont passées dans de vives controverses. Pour cette avant-dernière, personne ne voulait céder un pouce de terrain à la partie adverse. La partie civile et le parquet spécial n’ont pas accepté la main invisible des avocats ‘boycotteurs’ des prévenus dans leurs conclusions (notes de plaidoiries).
"Elles sont préparées par les avocats et signées par Ibrahim Aboukhalil. Seulement, la plupart de ces éléments n’ont pas été discutés à la barre", a lancé Me Yérim Thiam. Une remarque partagée par le substitut du procureur spécial. "Nous demandons à la cour d’écarter les conclusions, car les contenus n’ont pas été discutés à la barre ", a renchéri Antoine Diome, citant le code de procédure pénale, en son article 46.
Il s’est heurté à Me Borso Pouye. "On ne peut pas se fonder sur les dispositions de cet article pour écarter les conclusions", a-t-elle déclaré. Même si Henri Grégoire Diop a avoué "que les preuves non discutées à la barre ne peuvent en aucune façon être prises en considération", il a finalement accepté les notes de plaidoiries de la défense.
Eli Manel Diop encore
Dans la pléthore de témoignages à charge, les deux prévenus s’en sont pris aux dépositions contradictoires d’Eli Manel Diop, ex-directeur général d’Ahs Sénégal. Ce dernier, loué par le procureur spécial dans son réquisitoire, est réapparu dans les plaidoiries de la défense, après celles d’avant-hier. Ibrahim Aboukhalil a soutenu que les preuves testimoniales sont faibles à cause des dépositions versatiles du témoin.
"La volonté d’adaptation permanente de son discours est tellement grossière que l’on peine à comprendre comment ses déclarations peuvent constituer la clé de voûte des charges retenues", s’est-il indigné. Le prévenu a même livré la teneur d’un message que le témoin lui a envoyé, après le début du procès qui disait : "Pour sauver un arbre, il faut quelquefois couper une branche. Dans ce cas, c’est celle des anciens ministres". Il a décrié l’absence de la moindre preuve matérielle issue des déclarations du témoin, alors qu’il a occupé le poste de directeur général pendant 5 ans.
Ibrahim Aboukhalil dit Bibo : "Rendez-moi aux miens !"
"Depuis 2 ans 2 mois 28 jours, je fais l’objet d’une procédure qui m’a amené à être taraudé par une question. Celle du pourquoi. Je suis coupable de deux délits : le premier est d’appartenir à une famille connue, mon nom est IA, ce n’est pas Bibo Bourgi. Bourgi est le patronyme de ma défunte mère. Ma réussite, je ne la dois à personne. Votre verdict ne doit pas me spolier de ce que ma famille et moi-même avons acquis à la sueur de notre front. Mes sociétés ont été constituées dans la plus grande transparence. La présente procédure aura des conséquences plus lourdes pour nous autres présumés complices, que pour Karim Wade. Votre décision sera déterminante, en l’absence de toute possibilité d’appel. Dans l’Ancien Testament, il est dit : "Justice vous poursuivrez". Dans le Saint Coran : "Prenez garde de l’injustice, l’injustice vous mènera aux ténèbres au jour du jugement." La justice est un idéal difficile à atteindre. Je vous en supplie M. le président, faites en sorte de vous en approcher le plus possible. Je demande tout simplement que justice soit rendue. Rendez-moi aux miens, rendez-moi à ma famille. Quelle que soit la décision que vous prendrez, elle ne mérite pas de prendre une vie. C’est une relaxe que je vous demande."
CLAP DE FIN
23 mars 2015, jour de vérité
Enfin, on connaît la date de l’épilogue de cette saga judiciaire. Le lundi 23 mars 2015 est déjà entré dans les annales de la justice sénégalaise. C’est à cette date que les différents prévenus dans le procès pour enrichissement illicite seront fixés sur leur sort. Après avoir prononcé la clôture des débats hier, le président de la cour Henri Grégoire Diop a donc mis l’affaire en délibéré pour la fin mars. Après s’être assuré que toutes les conclusions (notes de plaidoiries) étaient déposées et les observations faites, l’audience a été suspendue et le verdict attendu.
Karim Wade est accusé d’enrichissement illicite et corruption et risque 7 ans de prison et 250 milliards d’amendes. Tous les autres prévenus, dont Mamadou Pouye, Ibrahim Aboukhalil, Karim Aboukhalil, Alioune Samba Diassé, Mbaye Ndiaye, Pierre Agbobga… sont accusés de complicité d’enrichissement illicite et encourent des peines de 4 à 10 ans et une sanction financière similaire.