BONHEUR DU PETIT MATIN
C'est comme si le temps avait suspendu son vol pour attendre voir les "Lionceaux" marcher sur les points laissés en suspens en 2002. Il y a treize ans, si Diouf et sa bande avaient disposé de la Turquie, cela aurait été pour affronter le Brésil

Seigneurs, à vous les honneurs ! On n'en prend peut-être pas assez conscience, mais ce que les "Lionceaux" sont en train de réaliser est simplement fabuleux. Toucher le toit du monde à 18 ans, c'est comme aligner mille pétards dans la gueule, se shooter à volonté, se saouler à mort. Ils ont choisi de le faire en toute lucidité.
Les yeux ouverts pour savourer le bonheur de transporter tout un peuple au paradis. Gambader ainsi sur les pelouses néo-zélandaises, pour transférer les ondes de bonheur par delà les mers et les océans, par-dessus les collines et les montagnes, et venir faire chavirer les cœurs des Sénégalais, dans de petits matins où tous les doutes les envahissent, est d'un bonheur fou.
Merci de faire chanter de si bon matin un peuple qui se découvre des valeurs insoupçonnées…
A regarder jouer cette équipe nationale junior, on a du mal à s'imaginer la petite bande que les Portugais avaient assommée. Mon Dieu... Que de progrès en trois matches. Portés par l'audace, mus par la volonté, pleins de détermination, les voilà qui sont en train de faire l'histoire. Il y a deux semaines, peu sacrifiaient leur sommeil pour deux heures d'incertitudes. Dimanche matin, ils étaient sans doute plus nombreux à chanter avec eux devant des Ouzbeks marris et décontenancés. Mercredi matin, face aux Brésiliens, on ne doute pas d'être une dizaine de millions de Sénégalais, yeux ouverts devant le petit écran, pleins d'espoirs.
Une folle espérance habite ce peuple. Elle se heurte à la grandeur du Brésil, mais jamais on aura autant loué la noble incertitude du sport.
Depuis hier matin, c'est comme si le temps avait suspendu son vol pour attendre voir les "Lionceaux" marcher sur les points laissés en suspens en 2002. Il y a treize ans, si Diouf et sa bande avaient disposé de la Turquie, comme les juniors l'on fait de l'Ouzbékistan, cela aurait été pour affronter le Brésil.
Le Brésil… Jouer contre la Selecao ne tient pas seulement du défi. C'est un bonheur dans lequel tous les coups sont permis. Une victoire est un acquis suprême, une défaite est une probabilité qui n'enlève rien dans la grandeur qu'on peut afficher. Allez y petits ! Que rien ne vienne entacher votre bonheur et vos espoirs. Ici, vous êtes déjà des héros.
Tomber devant le Brésil n'est pas une atteinte au mérite. On sait désormais qu'on tient une équipe nationale juniors sortie de nulle part. Une équipe qui, entre le Championnat d'Afrique des nations de mars dernier et ce Mondial, a fait exploser un extraordinaire potentiel dormant dans le sable et la rocaille des petits terrains de rue. Qu'importe si elle a fleuri dans l'Hexagone ou ailleurs, ces racines sont d'ici.
On l'a clamé plus d'une fois dans ces colonnes : les petites catégories africaines valent les meilleures au monde. La certitude est dans les titres mondiaux remportés par le Nigéria et le Ghana en cadets et juniors. Elle réside aussi dans le fait qu'en phase de maturation, avant que la professionnalisation à outrance ne fasse la différence chez les séniors, tous les enfants de la planète ont des rapports de progression équivalents avec le ballon. Il s'agit juste de les travailler dans des cadres formels de progression.
Au niveau où les "Lionceaux" ont porté le football sénégalais, on garde l'essentiel à l'esprit : il faut investir dans les petites catégories. Suspendus entre ciel et terre, les juniors flottent au-dessus un vide sidérant. Ils viennent de nulle part, ne sortent d'aucun processus endogène de progression organisée et maitrisée, n'offrent aucune lecture linéaire et méthodique de la structuration du football sénégalais. Ce qui leur arrive est comme un hasard. Il serait bon d'en faire le début d'une construction intelligente.
Il paraît que les "Lions" ont dominé le Burundi (3-1) sans art ni manière. Qu'ils ont été poussifs et quelconques. Qu'ils ont versé dans l'à peu près du jeu long et d'une organisation déficiente. Pour ne pas avoir vu le match, on se satisfera donc du résultat. En se disant juste que vouloir jouer devant une équipe qui refuse de se livrer est la pire des choses. C'est l'unique danger à rencontrer les petites équipes. Arc-boutés derrière à fermer le jeu, à s'investir peu et à tenter les gros coups, ils vous imposent des matches à jouer avec intelligence. Elargir le jeu et chercher les faiblesses (quand on ne le connaît pas), éviter les travers de la précipitation et construire le déséquilibre est la seule solution.
Les "Lions" ont pu être laborieux, mais ce ne fut pas comme Albanie-France. Ce match de trop que les "Bleus" ont perdu samedi à Ankara (1-0), avec des joueurs ayant sans doute l'esprit en vacances. On mesure donc ce qu'il y a de positif à avoir vu le sélectionneur national réunir les "Lions" en regroupement depuis le début du mois, à ne pas les laisser se disperser après la fin de saison et les focaliser sur le match de samedi.
Les limites de l'équipe nationale exposées samedi devraient cependant éclairer sur une évidence : cette équipe est à ranger au niveau qui est sien. Celui d'une valeur intermédiaire en Afrique. Si la faiblesse du Burundi ne l'a pas amenée à se surdimensionner, c'est qu'elle a des limites qui empêchent de pavoiser et à se voir plus grand qu'on est. Une petite équipe a beau vous amener à déjouer, elle ne peut vous porter à descendre à un niveau tel que les questions vous envahissent.