BONS BAISERS DE RUSSIE…
POUTINE RATTACHE LA CRIMÉE À SON PAYS
Après la victoire écrasante du "oui" au référendum d’autodétermination de dimanche dernier, le président Vladimir Poutine a signé mardi le décret rattachant la Crimée à son pays, la Fédération de Russie.
Les populations majoritairement russes de cette presqu’ile jusqu’alors ukrainienne se sont en effet prononcées à 97 % en faveur de ce rattachement.
Par cette décision sans équivoque elles se séparent donc de l’Ukraine, pays auquel la Crimée appartenait jusqu’à cette semaine.
Comme les jadis régions autonomes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, enclaves russophones en Géorgie, qui revendiquent elles aussi le rattachement à la mère-patrie russe, les électeurs de Crimée ont décidé de franchir le pas et d’aller se blottir dans les bras de Moscou.
Comme on le devine, la nouvelle de cette "sécession" a mis dans tous leurs états les puissances occidentales, Etats-Unis d’Amérique en tête, qui ont dénoncé une "violation du droit international" et entrepris de mettre en œuvre une batterie de sanctions contre la Russie.
Laquelle, malgré les menaces brandies, a non seulement refusé de faire pression sur les habitants de Crimée pour qu’ils renoncent à organiser leur référendum d’autodétermination, mais encore a décidé de rattacher cette minuscule région de 21.000 kilomètres mètres carrés à son territoire.
Le parlement russe doit d’ailleurs se réunir ce vendredi pour entériner ce rattachement. Et le président Vladimir Poutine, faisant fi des sanctions occidentales, a déclaré dans une allocution solennelle que, de toutes façons, son pays était habitué à vivre avec les privations.
Auparavant, quelques jours plus tôt, son ministre des Affaires étrangères, M. Sergueï Lavrov, avait mis en garde les pays occidentaux contre les conséquences pour leurs économies de sanctions contre la Russie. Laquelle n’est quand même pas le Mali, encore moins la Centrafrique !
D’abord, dans la mondialisation actuelle, toutes les économies sont interdépendantes et ensuite, sanctionner la Russie, ça peut quand même avoir de terribles effets-boomerangs pour les pays occidentaux dont les économies sont particulièrement atones si elles ne sont pas carrément en récession !
Autrement dit, des économies qui dépendent beaucoup des marchés extérieurs —et celui de Russie est l’un des plus importants au monde — pour se réconcilier avec la croissance.
Vous avez dit "violation du droit international" ?
Pour sanctionner Moscou, l’Occident a invoqué une grave "violation du droit international" tandis que les Européens en particulier ont fustigé une violation du principe d’intangibilité des frontières des pays du Vieux continent.
Un principe en vigueur depuis la fin de la seconde guerre mondiale et destiné à éviter les guerres de frontières. Sauf qu’il a déjà été violé à l’occasion de la crise yougoslave, pour la création du Kosovo. Cela dit, quand on entend parler de violation du droit international, on croit rêver.
Est-ce bien l’Occident qui parle de cela ? Sont-ce bien la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en particulier qui dénoncent une violation du droit international ainsi qu’une ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain ?
Comme l’a souligné avec beaucoup de verve — et d’humour —, M. Sergueï Lavrov, la Russie a quand même beaucoup plus de liens historiques avec la Crimée que l’Angleterre avec les Malouines rebaptisées par la perfide Albion Falklands !
Des îles appartenant historiquement à l’Argentine qui a d’ailleurs tenté en 1982 de les reprendre à travers une expédition militaire menée du temps où les généraux étaient au pouvoir dans ce pays. Plus précisément, au moment de la guerre des Malouines, c’est le général Léopoldo Galtiéri qui dirigeait ce pays d’Amérique latine.
Et le Sénégal, bien malgré lui, avait été mêlé involontairement à ce conflit puisque les avions militaires britanniques faisaient escale à l’aéroport de Dakar avant de continuer leur chemin vers l’Argentine.
A l’époque, aucun pays occidental n’avait eu la mauvaise idée de qualifier cette guerre coloniale que menait l’Angleterre à un pays du Tiers monde situé à des milliers de kilomètres des côtes européennes de "violation du droit international".
De même, lorsque le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) avait entrepris de lutter par les armes pour obtenir l’indépendance de la Nouvelle Calédonie, elle aussi située à des milliers de kilomètres de la métropole, la France avait mâté dans le sang cette rébellion.
Eloi Machoro, un des chefs militaires du FLNKS, avait été abattu par les gendarmes du Gign français. Quant à Jean-Marie Tchibaou, le leader politique du même mouvement, il avait été assassiné dans des conditions troubles. La France avait prétendu que c’était une affaire intérieure.
Pour le reste, combien d’expéditions militaires la même France a-t-elle menées en Afrique sous prétexte de défendre ses ressortissants, lesquels constituent une cinquième colonne commode pour justifier toutes sortes d’interventions militaires.
Lorsque la Légion étrangère française avait "sauté" sur Kolwezi, au Zaïre, en mai 1978, en même temps que des paras belges, c’était soi-disant pour sauver des otages occidentaux pris au piège de cette ville minière du Zaïre par des gendarmes katangais.
Le Katanga dont la sécession, en 1960, avait été orchestrée et soutenue militairement par les Etats-Unis, la Belgique et la France en particulier, c’est-à-dire ces pays qui, aujourd’hui, crient au loup soviétique en Crimée. C’est au cours de cette sécession, d’ailleurs, qu’avait été assassiné le grand résistant africain Patrice Lumumba.
L’OTAN aux frontières de la Russie ?
Tout cela pour dire quoi ? Que là où les pays occidentaux prennent prétexte de la vie de leurs ressortissants pour intervenir militairement à des milliers de kilomètres de leurs frontières, ils doivent bien reconnaître le droit de la Russie à se préoccuper du sort de ses ressortissants — ou de populations menacées parce qu’elles sont russophones — vivant dans des pays frontaliers.
Car, par-dessus tout, il s’agit d’une question de sécurité pour la Russie qui ne peut pas se permettre d’avoir un pays pro-occidental susceptible d’adhérer à l’Otan (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) à ses frontières.
Or, c’est manifestement ce qu’envisagent de faire les nouvelles autorités qui se sont emparées du pouvoir à Kiev, la capitale de l’Ukraine, le 22 février dernier en chassant le président légitime, Viktor Ianoukovitch, du pouvoir.
Que ce dernier soit corrompu et autocrate ne change rien à l’affaire puisqu’il avait été élu par les urnes et son mandat devait se terminer dans quelques mois. Seulement voilà, prenant prétexte du faite qu’il a refusé de signer un accord d’association avec l’Union Européenne, des milliers de manifestants ont campé au centre de la capitale ukrainienne depuis le mois de novembre et fait le siège de plusieurs bâtiments publics pendant plusieurs mois pour réclamer la démission du président démocratiquement élu.
Des manifestants dont les dirigeants étaient reçus au grand jour dans les capitales des pays occidentaux où des conseils et aides leur étaient prodigués. Finalement, au terme d’une répression violente qui a fait une centaine de morts au Maïden — leur place forte du centre de Kiev —, ils avaient réussi à faire fuir le président Ianoukovitch.
Parmi les premières mesures prises par le Parlement, outre la destitution de ce dernier, le lancement d’un mandat d’arrêt contre lui, la saisie de ses biens, mais aussi la libération de l’ex-présidente, égérie de la révolution Orange de 2004 et devenue opposante virulente, Mme Ioulia Timochenko.
Surtout, les mêmes députés, décidément provocateurs — et qui étaient pourtant majoritairement du Parti des régions du président Ianoukovitch —, avaient décidé de revenir sur la loi faisant du russe la deuxième langue officielle du pays.
Une menace implicite pour les habitants de Crimée et, surtout, un chiffon rouge brandi devant Moscou. Occupé par les jeux olympiques d’hiver qui se déroulaient dans son pays, à Sotchi, le président russe, M. Vladimir Poutine, ne pouvait pas réagir immédiatement.
Il ne l’a fait que quelques jours plus tard en massant des troupes à la frontière avec la Crimée — où se trouve basée la flotte russe à Sébastopol — et en organisant des manœuvres militaires auxquelles ont pris part 150.000 hommes et des centaines de chars et d’avions.
Après quoi, plutôt que d’envahir militairement la Crimée, il a préféré agir plus intelligemment en poussant les populations à se prononcer à travers un référendum, en faveur d’un rattachement à la Russie.
Du grand art politique ! Car il sait que, si un pays peut choisir ses amis, il ne peut par contre le faire pour ses voisins. Seulement, il peut veiller à ce qu’un régime hostile ne s’installe pasà ses frontières.
Or, non seulement les autorités actuellement au pouvoir à Kiev vont signer un accord d’association avec l’Union Européenne mais encore, elles seraient capables de faire adhérer leur pays à l’Otan. Ce que la Russie ne peut bien évidemment pas accepter. Et M. Vladimir Poutine a bien raison d’avoir mis la main sur la Crimée.
Vladimir Poutine qui n’est pas le pauvre président ivoirien Laurent Gbagbo qui, pour avoir osé contester sa défaite électorale, a vu sa résidence bombardée par l’armée française qui y a ensuite donné l’assaut avant de le livrer à la rébellion des Forces nouvelles.
Après quoi, le président Alassane Dramane Ouattara, l’homme du président français Nicolas Sarkozy, a pu s’installer sur le trône. A l’époque, nul n’avait eu l’impolitesse de dire à la France qu’elle avait violé le droit international puisque, de toutes façons, le droit international, c’est elle.
Elle qui, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, agissant qui plus est dans son pré carré africain, avait le loisir de dicter le contenu des résolutions du même Conseil de sécurité de l’Onu !
M. Vladimir Poutine qui n’est pas non plus le pauvre colonel Mouammar Kadhafi, tué par les forces de l’Otan — mais achevé par les "révolutionnaires" de Syrte — après que la France et la Grande-Bretagne ont détourné une résolution de l’Onu instaurant une zone d’exclusion aérienne au–dessus de la Libye.
Au moment du vote de cette résolution, la Russie s’était abstenue, ce qu’elle a regretté amèrement par la suite au vu du détournement qui avait été fait de cette fameuse résolution. De même, les membres africains non permanents du Conseil à l’époque, le Nigéria et l’Afrique du Sud, s’étaient eux aussi abstenus avant de s’en mordre les doigts.
Pour en revenir à la Crimée, gageons qu’au-delà des gesticulations occidentales et des condamnations verbales, au-delà aussi des menaces de sanctions où tous ces pays auraient à perdre — la France doit livrer deux navires "Mistral" d’un coût de 780 milliards de francs cfa à Moscou ! —, il n’y aura ni opération "Serval", ni opération "Sangaris", encore moins de "Tempête du désert" destinée à punir militairement la Russie pour avoir arraché la Crimée de l’Ukraine ! Ce que cette dernière, du reste, a bien cherché…