BRÉSIL: LES MANIFESTATIONS S'ENFERRENT DANS LA VIOLENCE
Six blessés dont un grave: encore une fois, des scènes de violence ont émaillé une manifestation, jeudi soir à Rio, et interrogent sur la capacité des forces de l'ordre à contenir les débordements à quatre mois de la Coupe du monde au Brésil (12 juin-13 juillet).
Le géant continental (200 millions d'habitants environ) avait déjà été secoué lors de la Coupe des Confédérations en juin dernier par d'immenses manifestations contre la hausse des prix des transports, la corruption en politique, les investissements publics pour les événements sportifs (Coupe des Confédérations 2013, Mondial-2014 et JO-2016), et pour de meilleurs services publics (santé, éducation).
Ces mouvements débouchaient souvent sur des violences. De nombreuses manifestations corporatistes, à l'ampleur beaucoup plus limitée mais aux affrontements radicalisés par les anarchistes du Black Block, se sont produites les mois suivants.
Depuis novembre, Rio vivait une accalmie.
Mais jeudi après-midi, à l'appel du mouvement "Passe Livre", plus d'un millier de manifestants contre une nouvelle hausse du prix du ticket de bus ont investi la gare "Central do Brasil", la principale de Rio, d'abord dans un climat festif, puis de plus en plus tendu. Cette gare sera très fréquentée lors du Mondial, dans une ville qui accueillera sept rencontres, dont la finale.
Le but de la manifestation n'était guère connu: il s'agissait en fait de "libérer" la gare. En début de soirée, les voyageurs prenaient effectivement le train gratuitement sous les vivats des derniers manifestants, quelques dizaines, et l'oeil goguenard de la police militaire (PM).
Le calme était revenu après la tempête: pendant plusieurs heures, la gare et ses abords avaient d'abord été le théâtre de combats, entre les projectiles des manifestants et la réponse sans retenue des forces de l'ordre.
La charge est souvent brutale: les policiers militaires matraquent à tout-va, les manifestants vindicatifs comme les pacifiques, ou encore de simples badauds se trouvant sur leur passage.
"Cercle vicieux"
Des groupes s'agglutinent dans les anfractuosités de la gare, comme cette entrée de restaurant à la grille fermée. Tout à coup, deux femmes s'écrient: "Il vient de frapper un mec qui ne faisait rien!" Les larmes perlent, sous l'effet conjugué de la terreur et des gaz lacrymogènes.
"J'en ai vu un s'en prendre à un type qui brandissait une pancarte sans rien faire d'autre, j'ai vu une femme se faire tabasser contre un tourniquet", a témoigné à l'AFP Natacha de Pina, une jeune employée de banque, devant les tourniquets défoncés.
Il y a au total six blessés, deux policiers et quatre civils, dont un cameraman de la chaîne de télévision brésilienne Bandeirantes qui se trouvait vendredi dans un état "très grave" après avoir été touché à la tête. Des photos et vidéos montrent le moment où Santiago Andrade est touché à la tête dans un nuage de flammes.
Si un reporter de la chaîne Globo News assurait que l'explosif a été lancé par la police, la PM assurait qu'il l'a été par un manifestant. Un expert consulté par le site G1 a estimé qu'il s'agissait d'un explosif de type artisanal.
La PM, elle, avait projeté une grenade provoquant une forte détonation, assortie de feux d'artifice dans le hall de la gare pour l'évacuer, a observé un journaliste de l'AFP, également témoin de coups de matraques portés à l'aveuglette.
Les méthodes de la PM, héritées de la dictature (1964-1985), sont régulièrement décriées au Brésil. "La police militaire n'est pas préparée, j'espère qu'elle sera mieux entraînée d'ici au Mondial", confie à l'AFP Alba Zaluar, spécialisée dans les violences à l'Université de l'Etat de Rio de Janeiro (UERJ).
Mais le professeur déplore également "le comportement infantile et irresponsable" des manifestants, qui "n'aide pas les mouvements sociaux et complique la vie des gens qui rentrent du travail".
"On entre dans un cercle vicieux extrêmement nuisible au développement d'une culture civique et démocratique, avec la police et ces groupes de manifestants qui agissent violemment", avance auprès de l'AFP José Augusto Rodrigues, du Laboratoire de la violence de l'UERJ.
"Cette expression violente est maintenant enracinée dans les manifestations, et la seule chose rationnelle à faire est d'avoir une police plus qualifiée pour gérer ce genre d'incidents".