CE QUE JE PENSE DU PROCÈS HABRÉ...
MAHAMATH-SALEH HAROUN

Qu'est-ce que cela fait d'obtenir le prix du jury du festival de Cannes ?
Ce film, “Gris-gris”, a été financé par le Tchad. En 2010, à Cannes, il y avait beaucoup de fierté. Je me souviens qu’un ministre tchadien m’avait dit avoir été félicité, après une réunion. Alors qu'auparavant, il ne l’avait jamais été, pour un discours bien écrit ou bien prononcé.
Il a été félicité, parce que j’avais été primé à Cannes. À ce moment-là, lui-même n’était pas encore au courant de cela. Il était hyper content. Il m’a dit : “C’est incroyable ce que tu nous apportes. Jusque-là, on n’a jamais été félicité pour quelque chose”.
Je pense qu’il y a eu une réelle prise de conscience de l’importance du cinéma. Le Parlement a voté une loi pour soutenir le cinéma. Il faut faire comme au Tchad et faire voter une loi qui consiste à prélever 5 F Cfa sur toutes les communications. Cela peut donner des milliards et on ne le sent pas.
Cela demande une volonté politique qui, je crois, est difficile à réaliser. Mais, je crois que si les Tchadiens l’ont fait, le Sénégal aussi peut le faire. Il faut que les cinéastes sénégalais se mobilisent pour cela. Ce que vous ne savez pas, c’est que le Sénégal a une image. Il est considéré comme un grand pays.
Que pensez-vous du procès de Hissein Habré ?
Il y a des gens qui prétendent avoir été victimes et qui ont porté plainte pour avoir été torturés. La justice a estimé que leurs plaintes étaient recevables et a fait son enquête. On verra bien ce qu’elle décidera. Parce qu’un procès permet à celui qui est accusé de se défendre. Un procès ne signifie pas que condamnation. Il peut y avoir relaxe. Pour moi, logiquement, la personne qui doit être jugée ne doit pas avoir peur, à moins qu’il cache des choses qui ne tournent pas très rond.
Ce qui se passe en Centrafrique, un pays frontalier du Tchad, est déplorable. Qu’en pensez-vous ?
Ce qui se passe en Centrafrique, c’est ce qui se passe au Mali, au Congo, etc. Il n’y a pas d’Etats, on fait face à des territoires. On a un semblant de quelque chose. Ce sont des pays qui n’ont pas d’Etat. Cela veut aussi dire beaucoup de choses. Il y a des pays qui peuvent tomber comme ça. Ce qui pose la question d’une responsabilité structurelle en fait. Vous voyez le cas de la Centrafrique, comme le Mali d’ailleurs, voilà des pays qui connaîtraient pire encore, sans l’aide de la France. Il y a problème.
On n’a pas posé les bases de ce qu’on appelle un Etat. Il suffit d’organiser des élections libres, pour dire qu’on a une démocratie. C’est plus que cela. C’est dur à avaler, mais il faut passer par des étapes, pour asseoir un État. L’irresponsabilité est trop présente. L’irresponsabilité au sens latin du mot et c’est de ne pas pouvoir répondre aux problèmes de son pays. C’est triste. Il y a de quoi se cogner la tête. Cela nous renvoie à des situations et des époques révolues.