"Ce que m’a dit Serigne Mansour Sy Borom Dara JI"
AUTOUR DU DAMIER AVEC CHEIKH SECK, ARTISTE COMEDIEN, PRODUCTEUR

Il fait partie des Thiéssois qui ont contribué à hisser le théâtre sénégalais à un bon niveau. Cet art étant inné en lui, Baye Cheikh ou Cheikh Seck, le porte dans son cœur. Quand il parle du théâtre, son visage traduit tout son amour pour le 4e art. Enseignant de profession, Cheikh Seck a révélé bon nombre de jeunes comédiens au public. Et même si certains ne lui sont pas reconnaissants, il ne s’en fait pas. Cela a été une fierté pour lui d’aider ces jeunes. Aujourd’hui, détaché au centre culturel régional de Thiès, il revient avec nous sur sa carrière, sa relation avec son frère Omar Seck, journaliste à la Rts, mais aussi son grand ami et père, le défunt khalife général des Tidianes, Serigne Mansour Sy Borom Daradji. Cheikh Seck, comme vous ne l’avez jamais découvert autour de ce damier…
Grand-Place : Les gens ne vous connaissent qu’à travers le petit écran. Qui est véritablement Cheikh Seck ?
Cheikh SECK : Je suis natif de Thiès et enseignant de profession depuis 1980. J’ai enseigné pendant plus de quinze ans à l’école Takhi Kaw de Thiès. Elle porte aujourd’hui le nom d’El hadji Moung Ndiaye Thiaw, un ancien imam du quartier de Takhi Kaw. Et c’est dans cette même école que j’ai fait mon cours d’initiation (Ci) jusqu’au Cm2. J’y suis revenu pour enseigner pendant une quinzaine d’années.
Qu’est-ce que cela vous a fait de revenir dans cette école ?
C’était émouvant. Surtout que j’ai hérité une salle de classe où j’ai fait mon cours préparatoire. J’ai repéré l’emplacement de ma table de cours préparatoire. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est que j’ai passé mon Cap dans la même salle où j’ai fait mon CM1. Après cette école, j’ai été affecté à la bibliothèque régionale de Thiès pendant deux ans avant d’être affecté au lycée Malick Sy comme surveillant.
Vous avez donc commencé à travailler très jeune ?
Oui, très tôt. En 1981 déjà, et je devais avoir 23 ans. Du lycée Malick Sy, le ministre de la Culture d’alors, Mamadou Bousso Lèye, a jugé utile que je me rapproche de son ministère. C’est par la suite que j’ai été muté au centre culturel régional de Thiès, où je suis toujours en poste.
Vous avez arrêté d’enseigner ?
Ah, bien sûr !
Et ça ne vous manque pas les salles de classes ?
Non parce que je suis toujours entouré de foules. Et c’est ce qui m’a fait entrer dans l’enseignement. J’aimais toujours me mettre devant les gens. Pour moi, les élèves de ma classe étaient mes spectateurs (rires).
Quel genre d’enfant étiez-vous ?
Toujours un animateur ! Autour du thé ou en discussion avec mes amis, je donnais des blagues. Et les gens me voyaient d’ailleurs comme un comédien. C’est ce qui m’a poursuivi dans ma carrière d’enseignant. J’aimais égayer les gens. Et comme tout enfant, j’ai intégré l’équipe de foot du quartier, et je participais aussi aux soirées d’intimité qui commençaient à 18 h, pour finir à 23 h. Après le déjeuner, nous accueillions des amis dans la maison familiale où l’on se marrait bien.
La comédie est innée en moi, je n’ai fréquenté aucune école d’art dramatique. Je suis issu du théâtre populaire et cela je le dois à Sadara Mbaye (comédien décédé il y a quelques années et qui a tenu le rôle du député dans Guelwaar de Sembène, Ndlr), un surveillant au collège où j’ai fait ma sixième. J’en profite d’ailleurs pour lui rendre un vibrant hommage. C’est dans ce collège que j’ai tâté pour la première fois, le théâtre.
Que peut-on retenir de votre enfance ? Etiez-vous turbulent ?
Nous n’étions pas très libres à cause de l’éducation reçue de notre papa. Il était d’une rigueur extraordinaire.
«Beaucoup de comédiens forcent la chose »
Malgré cette rigueur, vous êtes parvenu à faire le théâtre ?
Mais oui ! Il était rigoureux dans notre éducation, mais avait une certaine ouverture. Je n’étais pas un enfant terrible, mais un gamin qui a grandi auprès de ses parents, au daara. J’étais partagé entre l’apprentissage du Coran et l’école. Si je n’étais pas à l’école, je partais chercher de l’herbe pour les moutons et les chevaux de mon père. On n’avait pas de temps perdu.
Avez-vous toujours grandi dans le cocon familial ou êtes-vous sorti un moment pour aller quelque part ?
J’ai toujours vécu avec mes parents dans la maison familiale.
Et quand êtes-vous entré dans le théâtre ?
C’était vers les années 1974-75 alors que je faisais la sixième au collège Ousmane Ngom, ancien maire de Thiès. J’y ai trouvé un enseignant très culturel, Sadara Mbaye. Et avec lui, nous avons créé une troupe théâtrale. J’ai joué ma première pièce à la maison des jeunes de Thiès, l’actuel Cdeps. La pièce s’intitulait Tête fêlée et était très comique. C’est là que tout a commencé, car après le Bfem, je suis allé à De Lafosse pour y faire la comptabilité. Là aussi, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le théâtre. De là, j’ai atterri au centre de formation professionnelle des enseignants à la Médina où, j’ai créé une troupe avec les enseignants et les stagiaires. Toute ma vie rime avec théâtre.
Qui était votre idole ?
Babou Faye (défunt comédien de la troupe de théâtre populaire Daaray Kocc de Dakar, Ndlr). Il était naturel quand il joue au théâtre, ce qui est très difficile aujourd’hui. Beaucoup de comédiens forcent la chose. Ils font tout pour faire rire alors que ce n’est pas cela le théâtre. Le rire est le propre de l’homme, il est en lui. Il ne faut pas forcer les choses. J’avais envie de voir jouer Babou Faye, malheureusement, il est parti très tôt.
Comment est née la troupe Janxèen de Thiès ?
Cette question me va droit au cœur, car j’ai créé de toutes pièces de Janxèen Production. C’est après que j’ai joué Walou wa alakhira, une adaptation du roman Le revenant d’Aminata Sow Fall produit par la Rts et qui avait sélectionné des comédiens comme Seune, Khady de Daaray Kocc, Blanc Blanc.
Et comment avez-vous été coopté par la Rts ?
C’est par le biais de mon frère Oumar Seck. Amadou Fall, un réalisateur de la Rts, voulait quelqu’un qui n’était pas bien connu du public au rôle principal. C’est ainsi qu’il est entré dans le bureau de mon frère avec beaucoup de paperasse entre les mains. Quand il l’a interpellé, Amadou Fall lui a confié qu’il a fait un film, mais qu’il lui manque le personnage principal. Omar Seck lui a dit qu’il a un frère à Thiès, qui est très intéressé par le théâtre. C’est par la suite qu’on m’appelé au téléphone pour que je vienne à Dakar. Et j’ai même dépassé Amadou Fall à la porte sans le connaître.
Après un entretien dans son bureau, j’ai décroché le rôle principal dans la pièce. Il m’a envoyé le scénario quelque temps après. C’est comme ça que j’ai interprété le rôle de Baakar. Durant ce tournage, j’ai fait intégrer des comédiens qui sont devenus des talents dans le théâtre sénégalais aujourd’hui.
Comme qui par exemple ?
Sanekh Mame Cheikhou Guèye, Cheikh Ndiaye, Ousmane Kane, Ngoury, et Moussa Seck. Ces gens-là, je les ai intégrés dans le tournage de Walou wa alakhira, car ils ne faisaient pas partie du groupe sélectionné. Le réalisateur Amadou Fall voulait des jeunes dynamiques et moi, je connaissais le talent de ces derniers. Ils étaient à Thiès et inconnus du public. En ce moment, il n’existait pas de troupe théâtrale à Thiès. Ni Janxèen, encore moins Soleil Levant.
C’est lors de ce tournage que vous avez prédit à Sanekh un avenir dans le théâtre ?
Non. C’est bien avant parce que je savais qu’il était un talent. C’est par la suite que j’ai écrit un scénario que j’ai remis à Amadou Fall. Mais, je suis revenu à Thiès, où j’ai fait du porte-à-porte pour dénicher les comédiens pour qu’ils participent à mon projet. C’est après que j’ai écrit des scénarios et formé une troupe. Dieu merci, les Serigne Ngagne, Ndèye Sine Sall, sont tous nés des flancs de la troupe. Ils sont certes venus après, mais nous étions au moins quinze personnes à quitter Thiès pour venir jouer à Dakar.
Combien de pièces théâtrales avez-vous réalisées avec Janxèen ?
Beaucoup. Je ne me souviens plus. Mais, cela fait plus d’une vingtaine, voire une trentaine.
Vous connaissiez en Sanekh un grand talent, est-ce le cas jusqu’à présent ?
Il n’a même pas montré ce dont il est capable.
Et pourtant, certains le critiquent ?
C’est parce qu’il a sa personnalité qui lui est propre.
Pensez-vous que le théâtre populaire peut s'accomoder de cette audace qu’affiche Sanekh dans ses pièces ?
Il n’est donné à personne de dire des choses qui peuvent déranger dans le théâtre et qui ont pour objectif d’informer, d’éduquer et d’épanouir. Mais, Mame Cheikhou alias Sanekh a du talent, son feeling à lui, et je l’admire.
Vous lui avez fait comprendre qu’il faut arrêter de dire de gros mots sur scène ?
Il m’écoute et a du respect pour moi. Et à chaque fois qu’on parle de lui dans la presse, il suffit que je lui demande d’arrêter, pour qu’il s’exécute. Pour moi, c’est l’euphorie de sa jeunesse, mais ça n’enlève en rien son talent de bon comédien.
«Mon frère Omar Seck de la Rts a aussi des airs de comédien»
Vous vous êtes battu pour faire connaître des talents de Thiès, ont-ils été reconnaissants envers vous ?
Certains le sont, d’autres pas. C’est regrettable, mais ce n’est pas l’essentiel pour moi. Et je n’ai aucune animosité envers eux, car je les considère tous comme mes frères. Peut-être que nous n’avons pas les mêmes idées, les mêmes ambitions, mais c’est ça la vie. Et si c’était à refaire, je le ferai. Je travaille actuellement avec des comédiens que j’ai intégrés dans un label, Janxèen Média Prod, que j’ai créé. C’est une maison de production que j’ai créée et je suis en train de faire la promotion de ces jeunes, car je n’ai plus rien à prouver dans le théâtre. Ils ont produit récemment Boul ko lal, boul ko diégué qui a eu, récemment, un grand succès sur une chaîne de télévision.
Quelles sont vos relations avec votre frère Oumar Seck, journaliste à la Rts ?
Il est mon frère aîné. Il m’a beaucoup soutenu parce que, tout de même, c’est un cadre de la Rts. Il nous appuie dans ce que nous faisons, en nous mettant sur la bonne voie. Si aujourd’hui, nous sommes connus, c’est grâce à la Rts, et Oumar y a joué un rôle important. Je me souviens, quand on venait à la Rts pour faire capter les images, Omar descendait de son bureau pour venir nous dire bonjour dans le studio, et nous encourager. J’ai grandi à son ombre et il m’a inculqué certaines valeurs.
Il vous a donc facilité l’ouverture des portes de la Rts ?
Ce n’est pas parce qu’il a joué un rôle de facilitateur. La Rts nous a tendu la main, parce que nous avons montré de quoi nous sommes capables. Ils nous ont vus jouer notre première pièce dans laquelle ils ont vu une autre forme de communiquer avec Moussa Seck.
Donc être le frère d’Oumar Seck n’a rien à voir avec votre intégration à la Rts ?
Non, pas du tout. Il se réjouissait de nous voir à la Rts pour des productions. Les autorités des lieux nous donnaient une certaine considération, car nous avons un frère qui a une forte personnalité au sein de la boîte et, de surcroit, il faisait bien son travail.
Quel genre d’enfant était Omar Seck ? Etait-il têtu ?
(Rires) Il a fait du théâtre. C’est quelqu’un qui aimait découvrir les choses. Il a grandi avec le journalisme car, c’est un métier qu’il aimait beaucoup. On l’entendait parler français dans sa chambre, et quand il y avait des cérémonies, il s’amusait à interroger les gens. Et en ce moment, il était encore élève. Quand il y avait des soirées dansantes, c’est Omar qui assurait l’animation avec le magnétophone de mon frère Alassane.
Comment vivez-vous ce contraste ? Lui avec son air sérieux de journaliste et vous avec votre humour de comédien ?
Mais, Omar Seck a des airs de comédien. Il a la capacité de vous faire rire en un temps record. C’est inné dans notre famille. Il n’est pas timide, mais a une forte personnalité due à son travail. Quand il vient à la maison les week-ends, on se marre à gogo.
«Si je ne peux pas trouver mieux qu’elle, je vais mourir monogame»
Est-ce que vos deux familles se fréquentent ?
Ah oui, nous sommes unis et indivisibles. Mon père avait trois épouses, mais il était impossible de savoir qui est la maman de tel enfant.
Allez-vous être polygame comme votre papa ?
Ah, mais oui ! La polygamie est un mal nécessaire. J’ai une épouse et peut-être que la deuxième va suivre. Je n’ai pas signé pour la monogamie. Si, je veux, je peux ne pas en avoir aussi. Mais, je suis un polygame.
Comment avez-vous connu votre épouse ?
Elle était venue à la maison accompagnée de sa sœur. Elle était très belle ! Je l’ai approché pour l’inviter au cinéma. Ma femme, je ne l’ai pas courtisée, on s’est marié trois mois après notre rencontre. Je savais qu’il ne fallait pas attendre, que c’était la bonne graine. Et je ne le regrette pas aujourd’hui. Elle a reçu une bonne éducation. Elle m’a aidé dans le cadre de mon boulot, m’a soutenu jusqu’à ce qu’on ait notre maison. Je lui dois beaucoup, vraiment. Si je ne peux pas trouver mieux qu’elle, je vais mourir monogame.
Est-ce que ce n’est pas déjà acquis ?
Non. Non, on ne sait jamais, il ne faut jamais dire jamais dans la vie.
Et que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez peur de votre épouse ?
C’est parce qu’ils me connaissent mal. Aucun homme n’a peur de sa femme, on la respecte. On doit être des complices. Dire qu’on a peur de sa femme est juste une manière de parler. Si, aujourd’hui, je tombe sur une femme que je veux épouser, je le ferai.
Serigne Mansour me disait : «Hé toi, je t’ai vu avec un grand thiaya ! Thiey, Cheikh, il faut cesser de danser. Et occupe-toi de mes dahira»
Quelles étaient vos relations avec le défunt Serigne Mansour Sy Borom Daradji ?
C’était mon ami, mon marabout. Serigne Mansour m’avait donné une faveur. Je pouvais le voir quand je le souhaitais. Il me faisait souvent des cadeaux soit en espèces ou me donnait du ciment quand je construisais ma maison. Il me disait : «Cheikh vient, ta maison ne sera jamais terminée parce que tout ce que je donne comme argent, tu le bouffes, mais là, je vais te donner 4 tonnes de ciment». Il était un père, un ami. Il avait le sens de l’humour et il arrivait qu’on partage son dîner. Et, je vous dis, on ne s’ennuyait pas avec lui.
«El Hadji Mbaye Dondé Mbaye, le grand chanteur de Serigne Ababacar Sy, fut le mari de ma mère»
Racontez-nous une anecdote qui vous a marqué ?
Un jour, je suis allé voir Serigne Mansour, ici, à Dakar. Il a dit à son beuk nèeg (chambellan) de me dire de l’attendre. Ce que j’ai fait jusqu’après minuit. Quand il m’a reçu seul dans sa chambre, il a demandé si j’allais rentrer à Thiès cette nuit-là. Quand je lui ai répondu par l’affirmative, il m’a dit : «Je vais te chercher une femme toute suite». Je lui ai dit : «Mais papa, ma maison n’est pas terminée». Il m’a dit : «Donc à la place d’une femme, c’est des tonnes de ciment qu’il te faut.»
Et ce jour-là, il m’a offert deux tonnes de ciment. Et je sais que si je n’avais pas dit non, il allait me donner une épouse, car il commençait déjà à y réfléchir.
Alliez-vous l’accepter ?
Oui, bien sûr que j’allais l’accepter.
Comment vous êtes-vous connus ?
Tivaouane est ma cité religieuse. C’est là-bas que je me ressource, religieusement. En plus de cela, El Hadji Mbaye Dondé Mbaye, le grand chanteur de Serigne Ababacar Sy, fut le mari de ma mère. Doudou Kende Mbaye, son fils, et actuel chanteur, a vécu avec nous à la maison pendant quinze ans. Donc, ce vieux (El hadji Mbaye Dondé Mbaye, Ndlr) nous a enrôlés, Doudou Kende et moi, dans le Coskas (Comité de soutien à l’action du khalife Abacar Sy, Ndlr). Ce sont les gens qui portent les tenues vertes lors du Gamou. Ils sont dans le comité d’organisation au service de Khalifa Ababacar Sy.
Donc vous avez porté cet uniforme vert ?
Je suis membre et président du comité d’organisation du Mausolée de Serigne Ababacar Sy depuis presque quinze ans. Je ne reste pas une semaine sans aller une ou deux fois à Tivaouane. Nous allions avec le dahira lui rendre visite à Tivaouane pour lui apporter son sukaru koor. Abdoul Aziz Sy Al amine est aussi mon papa. Il est au courant des activités que je mène au sein du dahira tout en sachant que je suis dans la comédie. Il sait que le théâtre ne me quitte pas. Ensuite, Pape Malick Sy, le frère cadet de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, mon marabout qui m’a donné le wird le même jour que Doudou Kende Mbaye. Pape Malick Sy, son frère, est un grand ami à moi, il m’appelle deux fois par semaine pour me témoigner sa sympathie.
Serigne Mansour Sy Borom Dara Ji suivait-il vos productions ?
Ah oui, il nous suivait très bien. À son décès, alors que je sortais juste du mausolée où j’ai été me recueillir, j’ai rencontré un journaliste de la Rts qui m’a interviewé. Je lui ai dit qu’on a perdu un maître, un homme généreux de son enseignement, mais aussi de ce que Dieu lui avait donné comme Cfa. Il donnait beaucoup. Ironie du sort, ce jour-là, le boubou que je portais m’avait été offert par le défunt Khalife. C’est un joli boubou que je garde jalousement dans mon armoire. Un jour, il m’a dit : «Hé toi, j’ai regardé une de tes pièces, je t’ai vu avec un grand thiaya. Cey Cheikh, il faut cesser de danser et occupe-toi de mes dahiras.» On se marrait beaucoup avec lui. Je lui disais : «Mais, Papa, c’est toi qui a prié pour moi, on ne me connaissait pas, mais grâce vos bénédictions, je suis devenu célèbre». Il me dit «ah oui, tu as raison, j’ai prié pour toi.»
Comment avez-vous appris son décès ?
Ça a été très dur (il se répète). Serigne Mansour était un animateur hors pair, un pédagogue extraordinaire, un critique humble. Et il était accessible. Nous, on ne pouvait pas être indifférents au décès de Serigne Mansour Sy. On l’a pleuré et nous continuerons toujours de le pleurer. Mais à la place des pleurs, nous continuerons aussi à prier pour le repos de son âme. C’est une perte pour le Sénégal, car c’était un enseignant hors pair.
Est-ce qu’il vous critiquait ?
Il me disait tout le temps de faire attention, car le théâtre que nous faisons est une école. Il nous demandait de faire attention et surtout de faire en sorte que tout ce que nous allons dire, recoupe la vertu. «C’est bon ce que vous faites, mais il faut le surveiller, car c’est une école». Il nous le disait chaque fois. Et je retiens bien cette leçon de lui.
Est-ce que vous parveniez à le faire rire ?
Oui. D’ailleurs, je vais vous raconter une anecdote. J’avais joué une pièce produite par la Rts. Dans cette pièce, j’avais trompé ma femme en lui disant que je allais aux chants religieux, jang ya. Mais au lieu d’y aller, je suis parti rendre visite à ma copine avec qui je suis allé au resto. En sortant de la maison, j’étais habillé en boubou traditionnel. Ma femme me surprendra au resto, mais cette fois avec ma copine et en tenue moderne. En la voyant, dans le resto où elle aussi est venue acheter un sandwich, je suis rentré sous la table, mais elle est venue m’y trouver pour me demander si je ne devais pas me rendre aux chants religieux. Je lui ai répondu que jang ya, dañu ko renvoyé, (les chants religieux ont été renvoyés).
La pièce a été diffusée à quelques jours du Gamou. D’ailleurs, nous étions à la fin du Bourde. Quand les enfants m’ont vu au moment où on raccompagnait le marabout dans sa maison, ils ont commencé à crier «Baye Cheikh ! Baye Cheikh ! jang yi dañu ko renvoyé, jang yi dañu ko renvoyé !». Ce que Serigne Mansour a entendu. À deux jours du Gamou, il entend parler d’un report. Alors il demande, «c’est quel Gamou qu’on a reporté ?». On lui expliqua alors que c’était une pièce de théâtre que j’ai jouée. Il m’a dit, «hé toi, soonnal nga ñu torop waay ! (Tu nous a trop fatigués)» Et quand je lui ai raconté la pièce, il s’est marré.
En dehors du théâtre, vous chantez aussi ?
Oui, il m’arrive de chanter, mais je n’envisage pas y faire carrière. J’ai sorti un single parce que je l’ai senti. Je me suis battu pour le réaliser. Je suis allé voir Laye Diagne, un musicien de Coumba Gawlo Seck. C’est lui qui a arrangé les textes de Pitakh mi, le titre de mon single. C’est ce dernier qui a produit le son, et moi les paroles. Le scénario que j’ai écrit sous forme de pièce théâtrale a pour objectif d’éduquer et d’informer les gens. Le clip du single est très éducatif, car il porte sur l’infanticide.
Peut-on s’attendre à écouter un album de vous un jour ?
Non, mon objectif n’est pas de faire un album. Dans cinq ans, si j’ai l’inspiration de faire un autre single, je le ferai, mais pas un album. Je ne chante pas bien moi.
Avez-vous un musicien préféré ?
Youssou Ndour. C’est un modèle et je le lui ai dit, car nous avons des relations très amicales avec lui. Il m’appelait pour m’inviter au Thiossane. Son parcours, sa réussite, il les a obtenus par la foi. Du Miami (boîte de nuit dakaroise où Youssou Ndour a fait ses premiers pas, Ndlr), jusqu’à son poste de ministre, il a tout obtenu grâce à la foi. Aujourd’hui, il n’a plus rien à prouver dans la musique. Et si son pays a besoin de lui pour être derrière un bureau, c’est tant mieux, car c’est une autre étape de sa vie.