CE QUE MAODO A HÉRITÉ DE SON PÈRE …
MAKHARY MBAYE, ENSEIGNANT, CHERCHEUR AU DÉPARTEMENT ARABE (UCAD)
L'un des pères spirituels de la Tidiania au Sénégal, El Hadji Maodo Malick, demeure une icône dont l'engagement et l'abnégation ont beaucoup aidé à l'islamisation des populations sénégalaises qui, jusqu'à l'orée du 19e siècle, étaient dans les ténèbres de l'ignorance. En ce jour consacrant la célébration de la naissance du prophète de l'Islam à Tivaoune comme un peu partout à travers le pays et dans le monde, EnQuête revient sur la vie et l’œuvre de cet érudit, en donnant la parole à Makhary Mbaye, enseignant, chercheur au département Arabe à l'UCAD. Retraçant le parcours atypique du guide des Tidianes, le responsable de la communication des Moustarchidines wal moustarchidati raconte Maodo comme il n'a jamais été raconté au public. Entretien.
Quelles sont les origines de El Hadji Maodo Malick Sy ?
Les origines paysannes les plus proches de El Hadji Malick Sy sont le Jolof pour sa lignée paternelle et le Walo pour sa lignée maternelle. L'origine de sa lignée paternelle s'étend jusqu'à la vallée du fleuve Sénégal par le Fouta Toro en passant par le Bundu où les Sissibés sont majoritaires. Le chef de cette communauté s'appelait Bour Malick et son fils aîné, Malick Sy. Le grand père de El Hadji Malick Sy, Demba Bouna Sy fut installé dans un village du Sine. C'était un agriculteur doublé d'un grand érudit du Coran. Il épousa une femme du nom de Maty Mbacké (c'est là où démarrent les liens de parenté avec Cheikh Ahmadou Bamba).
Il en eut quatre enfants que sont Ahmed Sy, Maty Demba Sy, Batine Demba Sy et Demba Khouradia plus connu sous le nom de Ousmane Sy, le père de El Hadji Malick Sy. À l'époque, le savoir s'acquérait par des déplacements difficiles. Le jeune Ousmane alla donc au Fouta Toro auprès de ses ancêtres, à la rencontre des grands érudits. Au retour de ce périple, il passa dans un grand village appelé Dowfaal (plus connu sous le nom de Gaya) où il fit la connaissance de Alpha Mayoro. Ce dernier lui donna en mariage, Fawade Wélé qui donna naissance à Maodo.
En quelle année cela s'est-il passé ?
C'était en 1855, l'année même où est né El Hadji Malick Sy à Gaya, dans le Walo (région de Saint-Louis), d'un père très dévoué à Allah. Sa mère Fawade Wélé aurait imploré Oumar Foutiyou Tall de prier pour elle afin qu'elle eût un enfant élu de Dieu.
Après ses études et après avoir fait beaucoup de voyages d'études, dans quelle activité El Hadji Malick Sy s'est-il le plus investi ?
Comme il avait senti très tôt la vocation d'enseignant, il va fonder à Saint-Louis une école où l'enseignement du Coran, allait de paire avec l'enseignement des sciences religieuses. Mais l'indifférence des gens et de surcroît les difficultés matérielles l'obligent à retourner à la terre natale. Quand il est allé aux lieux saints de l'Islam, avec toutes les difficultés qu'il a eues au Sénégal, il ne voulait plus rentrer. Il a voulu rester à La Mecque pour vivre auprès du prophète de l'Islam. Mais c'est un savant qui lui dit que sa mission était de retourner au Sénégal pour propager la religion musulmane.
Comment se sont passées cette volonté et cette stratégie de propager l'Islam et la Tidiania au Sénégal ?
D'abord Maodo va privilégier l'enseignement. À l'époque, les gens étaient des illettrés et des analphabètes. La société d'alors était composée de notables qui se contentaient simplement de leurs descendances. Je suis fils de tel ou de tel. Alors Maodo, connaissant leur ignorance des textes du Coran, a préféré instituer les séminaires de Ndiarndé. Avec ces séminaires, El Hadji Malick Sy va former ses premiers “Moukhadams” qu'il va disséminer dans tous les coins et recoins du pays, à travers ce qu'on peut appeler de la décentralisation. Ces derniers auront comme tâche de lutter contre le paganisme et de propager les enseignements de Maodo dans toutes les contrées du pays. C'est pourquoi certains s'amusaient à dire que Maodo avait instruit des Maures, des Wolofs et des Toucouleurs tout en tirant d'embarras ceux qui étaient dans les ténèbres de l'ignorance.
Maintenant, conscient qu'une bonne pratique religieuse ne peut se faire que si l'accent est mis sur la formation, il installa un peu partout des zawiya. Le rôle politique qui était essentiellement dévolu aux quatre communes du Sénégal, Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée lui permit d'asseoir dans ces localités une excellente politique d'orientation islamique. D'ailleurs à Dakar, il construisit sa zawiya près de la cathédrale. Ainsi donc, l'homme que Paul Marty appelait le marabout le plus instruit du Sénégal a contribué à répandre l'Islam en installant ses étudiants dans des localités assez éloignées de Tivaouane. Il faut aussi savoir que Maodo faisait la différence par sa philosophie.
Qu'est ce qui sous-tend cette philosophie de Maodo ?
À cette époque, il y avait ce qu'on appelait la mystification religieuse. Alors il a opposé à ce phénomène une philosophie de démystification religieuse. C'est un aspect essentiel de sa pensée qui est lu dans son œuvre qui s'appelle Kifaayatou Raaghibiin. Il condamnait ce qu'on appelle le maraboutisme. Selon Maodo, certains marabouts ternissent l'image de ce que doit être la vraie religion, en l'utilisant pour satisfaire des intérêts propres. Pour Maodo, la valeur d'un marabout tient plus à son quotient intellectuel et spirituel qu'au nombre de ses adeptes.
Quel genre de relations Maodo entretenait-il avec l'autorité coloniale ?
Dans son ouvrage appelé Kifaaya, Maodo donnait des conseils nécessaires à une cohabitation avec les autorités coloniales. C'est cela qui fonde sa stratégie. Pour lui, une entente avec les autorités coloniales étaient nécessaires surtout pour accomplir aisément ses devoirs religieux. Dans une lettre qu'il a adressée en 1972 à ses adeptes “Moukhadams”, il met en relief le caractère protecteur de l'État français en ces termes: “Conformez-vous aux désirs de l'État français car Dieu le très haut a accordé aux français la victoire et le privilège. Il les a choisis pour protéger nos biens et nos personnes”. C'était une stratégie pour mener à bien sa mission. Dans la même lettre, il parlait de la stabilité sociale en disant: “Ne vous tourmentez pas à cause de ce que les français vous prennent. La richesse n'est, pour tout esprit saint, qu'une contribution”.
C'est à partir de ce moment que les gens ont accepté à payer l’impôt aux français. Si nous utilisons notre intelligence, nous pouvons faire en sorte que les français portent assistance à notre religion et à nous- mêmes. Une telle preuve de loyauté, venant d'une personnalité religieuse jouissant d'un grand respect et d'une grande influence au sein de la population, pouvait être exploitée par l'administration coloniale. Ainsi, ils ont su que Maodo était un allié de taille. Même en implantant l'école occidentale, comme El Hadji Malick a une influence notoire sur les masses, les français ont fait de telle sorte qu'il adhère à cette idée, pour arriver à leurs fins. Quand ils sont venus lui demander d'inscrire un de ses fils à l'école française, il leur a donné Serigne Babacar Sy tout en précisant qu'il les avait déjà devancé sur sa formation. C'est pour cette raison que Serigne Babacar Sy parlait bien le français et à Saint Louis, il servait même d'interprète.