CES EMINENCES QUI PASSENT A VIDE
On peut se demander pourquoi Dakar attire tant. En ce début d’année 2014, Kasparov a fait sa petite ronde et George Weah vient de faire ses bagages. Ni l’ancien champion du monde de jeux d’échecs, ni l’unique Ballon d’Or que compte le football africain, ne sont venus camouflés derrière des lunettes pare-brise pour des vacances incognito. Leurs convois étaient officiels, leur volonté de séduire en bandoulière. Le premier cherche à promouvoir le jeu le plus abouti en matière d’expression intellectuelle, notamment dans les écoles sénégalaises. Le second est venu sous les dehors d’un marchand de «griffe», lancé dans une opération de séduction de marque, Weah Sport en l’occurrence.
C’est énorme comme hôtes de marque, mais ce n’est pas le must. Sauf que tout ceux-là qui passent, les sus cités comme d’autres, repartent en laissant une frustrante impression de vide.
Rappelez-vous qu’en juin dernier, Messi était là pour une balade express entre Dakar et Saly. Sous moustiquaire imprégnée, il était ambassadeur de la lutte contre le paludisme. Pour l’avenir, vous avez sans doute coché quelque part qu’une pluie d’étoiles s’abattra sur Dakar en août prochain. Les douze monstres de la Nba qui représenteront les Etats-Unis au Championnat du monde-2014, passeront par Dakar, sur la route de l’Espagne.
Dans aucun domaine d’activité, qu’il soit politique, économique, diplomatique, etc., on ne peut revendiquer une telle excellence en termes de plateau sous le ciel dakarois. C’est comme si Poutine, Bill Gates, le pape et Ban Ki-moon se succédaient sous les accolades bourrues du président de la République.
Dommage que sous ce ciel, le soleil des sports soit si froid, si pâle et si terne que rien de brillant ne peut y jouir d’une réelle splendeur.
Leurs grandeurs sérénissimes qui passent par Dakar opèrent un tour de passe-passe et s’en vont. Ils hantent les couloirs climatisés plus que les terrains de jeu, frayent avec des officiels plus qu’avec des sportifs et échangent des cartes de visite plus qu’ils ne signent des autographes. Mais il faut bien remplir les agendas et on fait avec ce qu’on peut.
Le temps n’est plus où le Sénégal du sport avait une hospitalité 3 étoiles qui pouvait offrir un honnête confort à des hôtes tarifés 5 étoiles.
Quand les basketteurs américains seront à Dakar, le 27 août prochain, ce sera pour faire le «pèlerinage» à Gorée et rempliront le reste avec un «clinic». On aurait rêvé d’un match de préparation avec les «Lions» qui vont les côtoyer au Championnat du monde, qu’on ne saurait où l’organiser.
Qui oserait pousser Carmelo Anthony, Chris Paul ou encore Kevin Durant sur le terrain de Marius Ndiaye ? La honte…
Sur ce terrain, a pourtant évolué l’équipe de France (avec Apollo Faye dans ses rangs) à la fin des années 1970. Les Harlem Globe Trotters y ont également déployé leur éblouissante féérie.
Aujourd’hui, le poulailler qu’il est devenu est à cacher à certains yeux. Pour l’honneur national.
La délégation américaine attendue en août est forte de cent personnes. On n’ose imaginer l’expertise qui risque de passer en coup de vent. A tout le moins, ils feront le bonheur des marchands de souvenir du côté du village artisanal. Rien d’autre. Dans leur avion spécial, les Américains auraient pu faire Washington - Madrid les doigts dans le nez. S’ils font un crochet à Dakar, c’est sans doute pour un besoin d’évasion. On aurait pu le rendre autrement plus utile pour le basket sénégalais. Quel pied cela aurait été pour le public, pour les «Lions», de leur arracher un petit échauffement amical…
Le fait est que la destination (sportive) Sénégal a fait faillite. Faute de réceptifs sportifs dignes de ce nom, faute également d’hôtes sachant se tenir dignement à la table des grands, on se contente de voir ces derniers passer en agitant leurs mouchoirs blancs.
Quand Pelé est venu à Dakar en 1967, dans le cadre d’une tournée africaine avec le Santos Fc, ce fut pour jouer contre la sélection du Cap-Vert. Pas pour des mondanités. A Demba Diop, on a vu passer des formations de haute stature comme Nantes (contre le Jaraaf) ou Monaco (contre la Ja). Des équipes des pays de l’Est y ont également laissé des traces, tout comme Botafogo du Brésil. On ne risquait pas le ridicule.
Dakar aurait pu être un hub sportif de premier choix – cela a déjà été dit ici. Un site stratégique pour préparer les meetings d’été quand le froid plombe l’Europe. Avec un climat idéal, une distance géographique acceptable, une large ouverture aérienne sur le monde et ce qu’il faut pour remplir un dépliant touristique de rêve, le cadre est parfait. Mais on n’accueille pas des abeilles avec de la bouse de vache. Dans les stades pourris qu’on a, il n’y a pas idée à promener certaines éminences sportives.
Le recul est énorme pour le sport sénégalais. Ces faits paraissent anecdotiques, mais ils éclairent le niveau de détresse actuel. Ainsi disparaît-on peu à peu jusqu’à tomber dans le néant, avant de s’en rendre compte. Avant de découvrir qu’on a un nom, mais plus d’identité.