CES MAIRES QUI CRIENT AU COMPLOT
Certains édiles considèrent que les missions de l’IGE qui s’intéressent à leur gestion viseraient des opposants politiques. Même si c’était le cas, de quoi devrait-on avoir peur si tant qu’on a effectué une gestion vertueuse ?
Dans son édition des 21 et 22 mars 2015, Le Quotidien révélait que le président de la République avait donné des instructions à l’Inspection générale d’Etat (Ige) afin de procéder au contrôle tous azimuts des collectivités locales et de certaines grandes administrations publiques. L’information n’avait suscité aucune vague, tant cette démarche apparaît on ne peut plus noble et juste dans la politique de reddition des comptes.
D’ailleurs, dans une chronique en date du 23 mars 2015, nous nous en félicitions, considérant notamment que cela devrait constituer la preuve que la traque des biens mal acquis ne devrait pas se limiter au seul cas de Karim Wade et consorts. Nous préconisions que l’on prenne «Macky Sall au mot» dans le cadre de cette politique, lui qui n’a cessé d’affirmer que la traque des biens mal acquis sera conduite de façon inexorable et de manière impartiale.
Aussi, la mise en place d’un organisme indépendant, doté de tous les pouvoirs d’investigation et de mise en œuvre de l’action publique que constitue l’Office national anti-corruption (Ofnac) constituerait une garantie supplémentaire de la volonté du chef de l’Etat d’élever les standards de bonne gouvernance publique.
L’Ofnac a été institué par la seule volonté et l’initiative exclusive du Président Macky Sall qui s’est évertué à y installer des personnalités dont le parcours n’autoriserait aucune compromission en faveur de son propre camp politique. De même, les missions de l’Ige avaient à examiner les gestions des dirigeants publics sans distinction de leur appartenance politique. Mieux, l’Ige avait commencé par fouiller la propre gestion de Macky Sall à la mairie de Fatick.
Le plus intéressant dans la démarche apparaissait comme le fait que le chef de l’Etat ait lancé les missions de contrôle pour examiner des gestions en cours. Nous écrivions «qu’il est heureux que les outils et mécanismes de contrôle se mettent en place pour qu’on n’ait plus à attendre la fin d‘un régime politique pour fouiller dans sa gestion avec tous les risques de déperdition des preuves et toutes les connotations subjectives qui feraient croire à une justice des vainqueurs, une justice de règlement de comptes politiques ou ne je ne sais encore».
Seulement, ces dernières semaines, des cris d’orfraie ont été entendus venant de la part de certains maires qui considéreraient que ces missions de l’Inspection générale d’Etat seraient destinées à chercher des poux dans la tête d’opposants politiques. Même si c’était le cas, de quoi devrait-on avoir peur si tant qu’on a effectué une gestion vertueuse des ressources publiques ?
Cette attitude rappelle une boutade du candidat Idrissa Seck à la Présidentielle de 2012, quand il réclamait des comptes de la gestion de fonds que le gouvernement de Taïwan avait mis à la disposition du Sénégal et que le Président Wade avait fait dépenser de manière discrétionnaire, mais opaque. Le candidat Macky Sall, qui était le chef du gouvernement au moment de cette affaire de fonds taïwanais, s’était empressé de répondre à Idrissa Seck, soutenant n’avoir volé aucun franc.
Alors, Idrissa Seck le tourna en dérision en répliquant : «C‘est quoi cette histoire ? Que je demande où est passé la chose qui était là et que subitement quelqu’un se lève pour dire que je ne l’ai pas volée.» La reddition des comptes préconisée va s’imposer à tout le monde et l’Etat doit être soutenu dans une telle démarche. Il est de notoriété publique que les collectivités locales constituent de véritables mangeoires pour les élites politiques.
Un inspecteur du Trésor, fort de son expérience de trésorier payeur, nous confiait que c’est dans la gestion des collectivités locales que l’on enregistre le plus de malversations. En France par exemple, en 2014, Transparency international recensait que les maires étaient les plus épinglés en matière de corruption, de prise illégale d’intérêts, d’abus de bien social. Il suffit de mesurer combien les déboires de Jacques Chirac à la mairie de Paris, avec des dépenses de bouche exagérées et les problèmes de financements occultes de son parti le Rpr par le biais d’emplois fictifs, avaient pesé sur la vie politique de l’ancien Président français et d’un de ses Premiers ministres, Alain Juppé.
Les déconvenues judiciaires du couple Tibéri à cette même mairie de Paris ou des époux Balkany à la mairie de Levallois-Perret, ou de nombreux édiles de gauche à Evry, Strasbourg, entre autres, renseignent sur les indélicatesses des maires.
Au Sénégal, les médias évoquent de nombreux scandales avec les ressources publiques dans les collectivités locales, notamment en matière foncière. Les récents déboires judiciaires de Mbaye Dione à Ngoundiane, ou les récurrentes accusations portées contre la gestion de Idrissa Seck par le truchement de son délégataire de pouvoirs Yankhoba Diattara, ainsi que les nombreux cas d’arrestations de maires dans la banlieue de Dakar ou à Ouakam, exigeraient que l’Etat cherche à y voir de plus près dans la gestion des collectivités locales. Les problèmes du ramassage des ordures et les conditions de passation des marchés de voiries publiques suscitent souvent des interrogations.
Les nombreux cas d’arrestations de maires dans la banlieue de Dakar pour des problèmes liés aux affaires foncières, la gestion nébuleuse de la mairie de Kaolack avec Mariama Sarr et son époux, en charge de la Commission foncière, les ressources de la coopération décentralisée qui font grincer des dents et les distributions controversées des secours sociaux méritent que l’Etat cherche à savoir.
Les missions de contrôle de l’Inspection générale d’Etat ne sont donc pas dirigées contre Macky Sall (Fatick) ou Aliou Sall (Guédiawaye) ou Abdoulaye Baldé (Ziguinchor) ou Khalifa Sall (Dakar) ou Cheikh Bamba Dièye (Saint-Louis) ou Idrissa SeckYankhoba Diattara (Thiès) ou Mariama Sarr (Kaolack) ou Aïssata Tall Sall (Podor) ou Abdoulaye Wilane.
Quand on prend la responsabilité de gérer les affaires publiques, on doit accepter de bon gré de rendre compte de sa gestion et d’en assumer toutes les conséquences. Ce n’est pas parce qu’on est de l’opposition ou qu’on soit du parti au pouvoir qu’on ne doive pas être soumis aux mêmes règles de contrôle.
Des missions sont en cours, ayons la patience d’attendre qu’elles arrivent à terme et que de manière transparente et contradictoire, les responsabilités et autres imputations soient précisées pour qu’on puisse savoir si tout cela a été effectué avec le fair-play, l’équité et le respect des règles. Les citoyens ne doivent a priori donner un quitus ou accabler personne.