CES VOITURES DE LUXE MALADES QUE L’ON ÉVACUE À L’ÉTRANGER
DÉPANNAGE AUTOMOBILE
Jusqu’à une époque récente, les évacuations sanitaires ou médicales ne concernaient que les personnes malades envoyées à l’étranger. Eh bien, mondialisation et sophistication obligent, désormais, dans notre pays, on évacue aussi de plus en plus… des voitures de luxe électroniquement malades ! Ne riez pas. En effet, certains de nos compatriotes, farfelus ou amoureux de voitures de luxe, se payent la folie — ou le luxe, c’est selon — de faire évacuer leurs bolides « malades » en France, aux Usa ou en Allemagne. Qu’est-ce qui justifie ces évacuations à l’étranger de ces véhicules aux caprices multiples sur les plans électronique ou mécanique ? Les concessionnaires et mécaniciens sénégalais ont-ils atteint leurs limites face à certains types de véhicules ? « Le Témoin » a enquêté…
Entre évacuer à l’étranger pour sauver un parent mourant et évacuer pour réparer un bolide fumant, nous connaissons déjà certains richissimes sénégalais qui ont eu à choisir le bolide ou la voiture de luxe. Et tant pis pour le parent à l’article de la mort… Ce choix douloureux, pour ne pas dire cornélien, n’est sans doute pas synonyme d’un manque de considération vis-à-vis du parent malade. Hélas, dans bien des cas, la décision est influencée par le lien affectif ou amoureux qui lie l’homme à sa voiture de luxe. A l’image d’un « toubab » à son chien ou d’un berger peulh à son troupeau. Que ne paieraient en effet nos parents peulhs pour sauver une vache malade ? De fait, on comprend aisément l’affection et l’amour que l’homme porte à son bolide de luxe. Et ce bien que, sous beaucoup d’aspects, certaines dépenses ressemblent à du farfelu.
Certes, nous sommes dans une époque où l'industrie automobile a effectué une seconde révolution. A cet effet, les voitures sont devenues plus « intelligentes » et vont même pouvoir être conduites sans chauffeur dans quelques années. Evidemment, qui dit plus « intelligentes », dit aussi plus coûteuses du fait des nouvelles technologies et de l’électronique dont elles sont bourrées. Dans cette révolution technologique, les constructeurs cherchent à faire des économies en réduisant le temps de développement des modèles et la quantité de consommation en carburant. Malheureusement, la complexité de ces nouvelles technologies entraîne certains modèles dans une spirale infernale de pannes électroniques ou techniques que les concessionnaires sénégalais ou les mécaniciens de rue ont le plus souvent bien du mal à réparer.
Au cours de nos investigations, nous avons rencontré des concessionnaires et garagistes qui ont pris plaisir à nous lister quelques modèles de luxe mécaniquement solides, technologiquement futuristes même mais électroniquement fragiles. Et, par conséquent, difficiles à réparer sous nos cieux ! Il s’agit des marques et modèles suivants : BMW S 1, BMW X5, Audi A5, Mercedes Slk, Porsche Cayenne, Audi A4, BMW 3335, Jaguar, Toyota V8, Maybach, Lexus Is et autres. A ce niveau, ouvrons une parenthèse pour dire que le Sénégal compte une poignée d'experts automobiles et de concessionnaires agréés comme « Carrefour-Automobiles », « Cfao-Sénégal », « Africaine de l’Automobile », « Sénégalaise de l’Automobile », « Matforce », « Seas Mercedes », « Espace Auto », « Sera » etc. Pour la réparation, l’entretien et la maintenance de ces marques de voitures rutilantes, Dieu sait que nos experts, mécaniciens et concessionnaires produisent, parfois, des miracles techniques ou électroniques.
Seulement voilà, dans l’existence ou la vie de ces voitures de prestige, il y a des pannes récurrentes (essentiellement électroniques) où l’expertise locale atteint ses limites ou ses compétences. Et la plupart des pannes, nous signale-t-on, se trouvent apparemment au niveau du système électronique de ces bolides : des lumières qui se rallument toutes seules, un voyant « système anti pollution » qui ne s’éteint jamais, des disques feins ou des moteurs qui sifflent sans arrêt, des portières qui se déverrouillent sans action, un moteur qui s’auto-accélère à fond, etc... Sans oublier d’autres pannes d’ordre mécanique comme les boîtes de vitesse coincées, des craquements de direction etc. Nombreux sont des propriétaires confrontés à ces problèmes qu’aucun garagiste ou concessionnaire de la place n’arrive à réparer.
Face à ce genre de pannes embêtantes, « Le Témoin » n’aurait jamais imaginé que certains propriétaires, ne sachant plus à quel… mécanicien se vouer, font évacuer leur véhicule « malade » à l’étranger. Et surtout quand ces voitures haut de gamme coûtent entre 50 millions et 150 millions fcfa pièce. Avouez qu’à ce prix, il y a de quoi, effectivement, se soucier de l’état de « santé » de ces chères (dans tous les sens du mot) voitures de luxe. Aussi bien au port de Dakar qu’au niveau des concessionnaires de la place, transitaires et experts nous renseignent que les Usa et l’Allemagne sont les destinations privilégiées en matière d’évacuations automobiles dans notre pays.
On nous donne l’exemple de cette « Lexus » appartenant à un ancien ministre de la République. Au niveau de cette « Lexus » d’une valeur de 75 millions fcfa, nous explique un mécanicien, un bruit insolite voire un sifflement aigu et intermittent provenait du moteur. Inutile de vous raconter que la « Lexus » importée des Usa a fait le tour de tous les concessionnaires et garagistes réputés de Dakar. Aucun spécialiste ou généraliste n’a réussi à connaitre l’origine de cette panne affaiblissant la puissance du moteur, encore moins la localiser. Mieux, toutes les valises de diagnostic multi-marques permettant de détecter la moindre panne qui s’étaient ruées vers la « Lexus » se sont finalement repliées, faute de solution !
A l’image d’une « personne » ou d’un malade désespéré et ruiné par les charlatans de l’automobile et leurs solutions abracadabrantesques, la « Lexus » a fini par être évacuée en Allemagne. A en croire M. Cheikh Loum Pouye, Dg de Finkone-Transit, il est fréquent de voir certains propriétaires, désespérés, faire évacuer leur voiture de luxe à l’étranger pour les besoins d’une réparation. « C’est comme pour toute autre marchandise ! Seulement, ce genre d’ ‘’évacuation automobile’’, comme vous l’appelez, se fait sous le régime dit de l’« Exportation temporaire avec réserve de retour ». Au départ du port de Dakar comme au retour, la voiture fait l’objet d’une visite technique au niveau de la douane. Parce qu’une fois retournée à Dakar, l’ « évacuée » ne paie que des droits et taxes calculés sur le coût des réparations ou des frais de pièces de rechange. Le tout sur la base d’une facture délivrée par le concessionnaire ou garagiste étranger » nous explique M. Pouye, expert en transit/manutention.
Outre cette « Lexus », on nous révèle également l’évacuation de cette capricieuse « BMW x 5 » dotée d’une boite à vitesse à gestion électronique. A en croire A. Nd, un réputé mécanicien ayant pignon sur la Vdn à Dakar, un mystérieux dysfonctionnement de la boite de vitesse a paralysé tout le système électronique de la voiture. « Et comme le propriétaire ne fait pas confiance à l’expertise locale qui tardait à dépanner sa voiture de luxe, il a préféré l’évacuer tout récemment en Allemagne » nous a expliqué le mécano tout en précisant que la plupart des voitures évacuées et sauvées à l’étranger ne sont pas des modèles commercialisés au Sénégal.
Ces modèles non-commercialisés expliquant l’absence d’un service-après-vente, cette fameuse « Mercedes » en est une preuve ! Appartenant à une fille d’un défunt célèbre milliardaire sénégalais, cette « Merco » de luxe a été « hospitalisée » dans toutes les « cliniques » automobiles de Dakar. Hélas ! Son état de santé électronique se dégradait de jour en jour. Après avoir pompé financièrement la propriétaire, les « médecins » de la voiture de luxe avaient fini par décréter leur incompétence avant de conseiller à la bonne dame de faire évacuer sa coquette Mercedes aux Usa. « D’ailleurs, c’est ma société qui avait exporté cette « Mercedes » aux Usa pour réparation. Je peux même vous dire qu’elle est de retour au port de Dakar. Et elle est en très bon état ! » nous confirme M. Abdou Diop, Dg de Transséne, une société de Transit de la place (Lire entretien ci-contre).
Mais à chacun ses hôpitaux miracles ! Ainsi, au moment où les Usa, l’Allemagne ou la France sont les principales destinations pour voitures de luxe gravement « malades », Dakar demeure le « Val-de-Grâce » automobile des pays de la sous-région. Car il est ressort de notre enquête que la plupart des voitures de luxe et autres 4x4 haut de gamme accidentées ou tombées en panne en Mauritanie ou en Guinée-Bissau sont expédiées à Dakar pour réparation. Dans le peloton de tête de ces « évacuateurs », on trouve surtout les Bissau-guinéens dont certains fortunés font remorquer leurs véhicules jusqu’à Ziguinchor avant de l’embarquer dans un bateau pour Dakar. Le coût du fret ? 120.000 fcfa, nous dit-on. Avec l’argent de la drogue dont leur pays est une plaque tournante, nous révèle-t-on, les Bissau-guinéens achètent sur place ou importent les plus belles voitures 4x4 de luxe.
Ce qui explique les nombreux modèles de BMW, Mercedes, Toyota, Audi etc. que l’on ne trouve nulle par ailleurs en Afrique qu’à Bissau. Donc, quand ces véhicules très coûteux tombent en panne, leurs propriétaires ne lésinent pas sur les moyens pour les faire évacuer à Dakar. Des propriétaires qui croient à l’expertise sénégalaise aussi bien en matière de tôlerie qu’en électronique. Même pour l’entretien et la maintenance de la voiture de fonction présidentielle, la Guinée-Bissau choisit Dakar. Non seulement pour des raisons de compétence de la main d’œuvre, dit-on, mais aussi pour d’évidentes raisons sécurité. Comme l’avion de commandement sénégalais vis-à-vis de la France !
Entre une « BMW » fumante et un « demi-frère » mourant, certains Africains n’hésitent pas à « soigner » leur carrosse à l’expertise internationale. Qui a dit qu’une voiture de luxe n’est pas une charmante seconde « épouse » dont il faut bien prendre soin ?