C'EST DU PLATINI !

Comme César devant le Rubicon, il a dû se dire alea jacta est. Le sort en est jeté. Comme le futur empereur romain, alors général des troupes en Gaule, Platini s'est décidé. Le temps n'est plus aux craintes et aux incertitudes, encore moins au confort des intérêts acquis à l'Uefa. Il se veut désormais président de la Fifa.
Avant-hier, la France ne bruissait que de la décision "platinienne". Il faut la prendre au sérieux et en mesurer la portée pour le continent africain.
Dans les médias français, il n'y a pas plus beau, plus grand et plus fort comme candidat. C'était la rengaine du mercredi. Le Libérien Musa Bility devenait une farce. Le Prince Ali du Qatar, une anecdote. A Maradona, on a fait un procès mafieux. C'est le début de la grande offensive dans laquelle les thuriféraires de Platini vont chercher à regarder le monde de haut. On a entendu Jacques Vendroux, c'était comme pour annoncer la naissance du divin enfant.
L'annonce de Platini n'est donc pas une tentative d'échappée en solitaire. On la sentait venir. Désormais, c'est le peuple bleu-blanc-rouge qui sonne le rassemblement derrière la destinée d'un homme. Ce n'est plus "Platoche", mais le troisième Français à vouloir s'asseoir sur le trône du monde, après Robert Guérin (1904-1906) et Jules Rimet (1920-1954).
Ce pays le mérite bien. Les Anglais ont inventé le foot, c'est à l'ombre de la Tour Eiffel qu'on lui a donné sens par la compétition. En France est née la Coupe du monde. Là aussi a été enfantée la Coupe d'Europe des clubs champions (devenue la Ligue des champions). Et c'est encore le pays du Ballon d'Or. Il ne reste plus qu'un retour à la gouvernance du football mondial pour que tout le foot se mette à genoux sur les bords de la Seine.
Cette candidature, on l'a senti venir dès l'annonce de la démission de Blatter, début juin dernier. Le "roi" n'était pas encore enterré que la France apprêtait le sien. Pour le football africain, pour le Sud en général, une élection de Platini ne sonne pas des lendemains meilleurs. Pour lui, l'Afrique s'arrête aux portes du désert. On se rappelle ses sous-entendus à propos d'Ebola. La réplique cinglante du Comité exécutif de la Caf l'avait poussé à jouer les vierges effarouchées. Mais les phrases et attitudes de mauvais goût à l'endroit du continent ont jalonné sa carrière de footballeur et de dirigeant.
S'étant bien pesé au moment de lancer sa candidature mercredi, Platini n'a pas fait avec l'Afrique. L'Europe le soutient (probablement en partie), idem pour l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale et l'Asie. Le Monde a fait le décompte et cela lui assure 140 fédérations sur les 209 qui émargent à la Fifa. Et les 2/3 pour passer au premier tour.
Mais il n'est pas sûr que Platini soit en odeur de sainteté du côté de l'Europe de l'Est où Blatter a ses bastions, pour faire le plein des 54 voix européennes. On le verra donc sans doute en Afrique. Il viendra "serrer des mains".
Les alliés seront recherchés dans le pré-carré africain de la France. Là où ils opèrent, les "sorciers blancs" pourront préparer le terrain. Mais ce sera surtout une question diplomatique, une question de réseaux, de gentilles pressions étatiques qui vont influer sur des fédérations perfusées.
Il est dommage que l'Afrique n'ait pas une candidature de poids à proposer. Musa Bility n'en est pas une. Issa Hayatou l'aurait-il voulu, il souffre des mêmes carences que Blatter, planant sur une Caf qu'il dirige et manipule depuis 1988.
Manquer de candidat ne signifie pas manquer de perspective pour laisser à d'autres le soin de déterminer son destin. Les 54 voix africaines peuvent valoir peanuts. Il ne s'agit pas de les offrir à des marchands de vent, mais d'en arracher ce qui peut faire avancer le football africain.
Aussi "pourri" qu'il ait pu être, Blatter n'était pas pour rien "l'ami des Africains". Les programmes de soutien au football sur le continent sont palpables dans les subventions, visibles dans les réalisations, comptables dans les places acquises au Mondial.
C'est un moment où l'Afrique doit jouer serré. Si Platini avance désormais à visage ouvert, c'est avec la certitude d'un élu du prochain Congrès. La peur de l'échec l'a toujours poussé à faire profil bas. Certain de ne pouvoir ébranler Blatter, il a attendu que le système de ce dernier explose par dégénérescence interne.
Le risque est donc là de voir le football mondial reposer entre les "mains de l'Uefa". C'est la puissance mondiale sur le terrain, elle va désormais y ajouter les coulisses. Au regard de ce que représente le football à travers le monde, ce serait une erreur que de le gouverner dans une perspective eurocentrique, pour ignorer l'immense potentiel qui, jusqu'en Océanie, joue et s'amuse.