CHÂTEAU DE CARTES, BEURRE AU SOLEIL
ACCUSATIONS CONTRE KARIM WADE
C’est ce qu’on appelle une montagne qui accouche d’une souris. Dans ce qu’il est convenu d’appeler l’"affaire Karim Wade", il serait plus juste de parler d’accusations qui fondent comme beurre au soleil.
Une chose est sûre : les accusations triomphales portées, au lendemain de la première mise en demeure, par le Procureur spécial de la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI), M. Alioune Ndao, se sont singulièrement rabougries.
A l’époque, le brave homme avait évalué le montant du patrimoine "volé" par le fils de l’ancien président de la République à près de 700 milliards de francs cfa. Puisqu’on ne prête qu’aux riches, il avait même prétendu que la filiale sénégalaise de la société DPW (Dubaï Port World), valorisée à quelque 325 milliards de francs, appartenait à Karim Wade qui possèderait en outre des aéroports à travers le monde dont celui de Jordanie.
Excusez du peu ! En fait, plus c’est gros et plus c’était sensé passer. A l’époque, nous avions écrit dans ces mêmes colonnes que ces accusations étaient rocambolesques et que nous n’y croyions pas. Puis, comme une baudruche, ces accusations se sont mises à se dégonfler !
Dubaï Port World ? Après une audience accordée par le président de la République, à Paris, aux dirigeants de la holding mère, un communiqué avait été publié disant que, tout compte fait, cette société appartenait bel et bien aux Dubaïotes en question auxquels il fut tout de même demandé d’acquitter un ticket d’entrée resté impayé de 25 milliards francs.
Le chèque signé fut aussitôt brandi comme un trophée de chasse par les croisés de la traque des biens mal acquis. Sur les 700 milliards de francs reprochés à Karim Wade, les 350 milliards, soit la moitié, tombaient aussitôt à l’eau !
Par la suite, après maintes "investigations" et autres commissions rogatoires infructueuses, témoignages à charge bidons et confrontations infructueuses, le Procureur spécial a bien été obligé de corriger sa copie et de revoir à la baisse ses chiffres.
Résultat : dans l’arrêt de renvoi notifié la semaine dernière au prisonnier le plus célèbre de Rebeuss, sur les 800 milliards de francs qui lui étaient reprochés — aux quelque 700 milliards de la première mise en demeure, il fallait en effet ajouter les 99 milliards du compte de Monaco qui lui ont valu la seconde mise en demeure —, le Procureur spécial Alioune Ndao ne poursuit plus M. Karim Wade "que" pour 117 milliards.
Et encore, dans cette somme sont compris les 46 milliards du compte-Arlésienne de Singapour — découvert la veille de la fin de la période d’instruction ! — qui appartiendrait au fils de l’ancien président de la République.
Curieux compte, en réalité, qui n’existerait que dans l’imagination des accusateurs. En tout cas, la société Dubaï Port World (encore elle !) dont on a dit que "Dubaï Ceramic" serait une filiale, a démenti vigoureusement une telle allégation.
De fait, dans l’organigramme de cette holding, qu’il est loisible de consulter sur le Net, ne figure nulle trace de cette société qui aurait procédé à des virements dans le compte attribué à "AHS Guinée Bissau" et dont M. Karim Wade serait le propriétaire.
Pour prouver que leur client ne possède rien dans ce dragon asiatique présenté comme un paradis fiscal, ses avocats ont écrit à la Banque mondiale ainsi qu’aux autorités de ce pays pour leur demander de rapatrier au Sénégal tous fonds découverts dans ce pays et qui appartiendraient à l’ancien ministre des Infrastructures, des Transports aériens, de la Coopération internationale et de l’Energie.
Si on enlève ces 46 milliards, dont tout prouve à l’évidence qu’ils n’existent pas, des 117 milliards pour lesquels le fils de Wade est poursuivi, il resterait 71 milliards. Présentée comme appartenant à Karim — on ne prête qu’aux riches, on vous dit ! — la société AHS est valorisée pour 20 milliards de francs.
Or, au terme de 19 commissions rogatoires envoyées à l’étranger, cela reste à établir. En tout cas, le procureur de Monaco, où ont été découverts des comptes de cette société domiciliée au Luxembourg, a, dans sa réponse aux autorités sénégalaises, dit que les seuls bénéficiaires économiques de AHS, c’est Ibrahim Aboukhalil dit Bibo et son frère Karim.
Surtout que les actes notariés de cette même société établissent bien la propriété de ces frères sur cette société spécialisée dans l’assistance aéroportuaire. Que valent, dans ces conditions, des témoignages arrachés dans les conditions que l’on sait, contre des actes authentiques valant jusqu’à inscription de faux ?
Or, le Parquet s’est basé sur les témoignages de Ely Manel Diop et de la notaire Patricia Lake Diop pour dire qu’AHS appartient à Karim Wade. En soustrayant les 20 milliards représentant la valeur de AHS du patrimoine prêté à Karim Wade, on retombe à 51 milliards.
Desquels il faudra sans doute enlever les 17 milliards de la valorisation de l’ensemble immobilier Eden Rock, également propriété de Bibo Bourbi, ainsi que "Black Pearl Finance", ex-Bmce Capital, société dont Bibo et Karim Aboukhalil possèdent les 40 % du capital, le reste appartenant au milliardaire marocain Othman Bengelloun.
"Black Pearl" est estimée par le Procureur à 9,9 milliards de francs. Le maître des poursuites qui aurait d’ailleurs reconnu que toutes ces sociétés appartiennent à Bibo Bourgi.
Quant au fameux compte de Monaco, dans lequel on disait avoir trouvé 99 milliards, un solde de dix milliards de francs a été retenu en définitive par le chef des poursuites dans sa grande mansuétude. Il reste le terrain de la Corniche dont l’entrepreneur Bara Tall attribue la propriété à Karim.
Or, curieusement, le directeur des Domaines aurait déclaré que le bail au nom de ce dernier aurait été annulé le 06 mars 2013, dont bien avant l’arrestation de Karim qui ne pouvait donc plus, légitimement, en être le propriétaire. Malgré tout, on a mis ce bien immobilier dans son patrimoine.
Enfin une société comme "AN Média", propriétaire de la télévision "Canal Infos News", a été valorisée à un milliard alors que tout le monde sait qu’elle ne valait pas un clou ! Pour dire que les accusations contre M. Karim Wade risquent de s’effondrer comme un château de cartes devant un tribunal et que le fabuleux patrimoine qui lui a été attribué, lui, a toutes les chances de fondre comme beurre au soleil.
De 800 milliards, l’accusé ne devra sans doute avoir à justifier le jour de son procès que quelques petits milliards, et encore… A l’arrivée, il ne restera sans doute plus rien qu’une volonté de faire taire un dangereux rival politique potentiel ou une manifestation d’une justice des vainqueurs, c’est selon…