VIDEOCHÂTEAU ROUGE, L’ÉQUIVALENT D’UN VOYAGE EN AFRIQUE
LA PRESENCE AFRICAINE VUE PAR LES FRANÇAIS

Si les quartiers de la Goutte d’Or et de Château rouge sont de hauts lieux de la présence africaine en France, les Français y sont « naturellement » plus nombreux. Parmi eux, Julie et Quentin, un jeune couple qui a vécu et fréquenté les rues, marchés, terrasses de café du quartier africain. Ils nous livrent leur regard sur la présence sénégalaise et africaine.
« Je me rappelle le premier jour où, venant de province (en région, ndlr), j’ai aménagé dans une cité universitaire du 18ème arrondissement de Paris, se souvient Julie, désormais employée par le ministère de l’Education nationale français.
En récupérant des clés d’appartement, j’ai découvert le Paris de la « Goutte d’or » avec un métissage très marquant. Il y avait pas mal de gens qui parlaient différentes langues qui m’étaient totalement étrangères ».
Quentin, son compagnon, archiviste de son état, évoque une « espèce de bordel, plutôt positif, permanent du marché de « Château rouge » » comme premier souvenir qui lui vient à l’esprit.
« De toutes les façons, c’est un quartier chaotique, il y a tout le temps des gens sur les trottoirs jusqu’à une heure tardive. C’est vraiment ce mouvement qu’évoque, pour moi, Château rouge. C’est un bordel que j’aime bien ».
Le couple y a vécu plusieurs années : 5 pour Julie, 4 pour Quentin, avant de déménager à Montreuil, dans le sud de Paris. « Pendant que j’y habitais, j’aimais bien cette foule permanente, fait remarquer Julie. Mais maintenant que je n’y habite plus, ça me dérange de voir autant de foule. Il y avait plein de choses qui m’étaient étrangères comme la nourriture africaine. J’y ai pris des goûts et des habitudes ».
La question légitime de savoir si cette proximité a fait tomber des pré- jugés sur les étrangers comme peuvent en véhiculer beaucoup de sociétés se pose.
« C’est toujours difficile de savoir quelles sont les idées reçues qu’on peut avoir sur telle ou telle communauté, débute Julie. De toutes les façons, ce que j’ai expérimenté, personnellement, s’est révélé juste ».
Private joke qui déclenche des éclats de rires. En clair, avant que le couple ne se forme, Julie sous-entend- en rigolant - avoir eu des expériences avec des Africains du quartier.
Le temps semble s’être arrêté sous le regard complice de son compagnon, tout aussi goguenard et second degré sur les blagues sexuelles. C’est cela aussi Château rouge, c’est le sentiment de voyager dans un autre pays tout en restant à Paris.
D’ailleurs, le quartier attire de plus en plus de touristes en mal d’Afrique en miniature. Ainsi Julie assimile son premier jour au marché de Château rouge comme « l’impression de (se) retrouver dans un autre pays, enfin dans plein de pays en même temps, de voyager ».
Quentin poursuit en susurrant son sentiment « d’être invité, d’être à l’étranger, d’être un peu en voyage. Le quartier, il a cet esprit. On a l’impression d’être un peu en Afrique ».
« C’est une impression puisque nous n’avons jamais été en Afrique, corrige Julie, adepte du contre-pied. Et c’est la population d’origine africaine qui donne cette impression. Cela colle avec ce qu’on s’imagine, nous Français, comme représentation. Quelle est la part de clichés et celle des vraies images, nous n’en savons rien ». « Ça, c’est sûr », acquiesce Quentin.
C’est la différence entre les représentations projetées sur l’autre (en tant qu’étranger) et la réalité des images. Il y a beau- coup à dire sur cette dualité à « Château rouge ». Bastion d’une population musulmane, le quartier compte plusieurs mosquées.
Et Julie se souvient d’un vendredi de prières musulmanes. « Un souvenir super dés- agréable, affirme-t-elle d’emblée. A l’époque, il y avait encore les prières de rue du vendredi à la rue Polonceau. Et c’était pendant le mois de Ramadan. En pleine journée, je me suis retrouvée à fumer devant une foule préparant sa prière.
Une nana toute seule au milieu des hommes, pas d’enfant, pas de femmes, rien que des hommes. Je me suis sentie épiée, pas à ma place ici, non pas en danger mais pas du tout à l’aise. Je me suis sentie obligée d’éteindre ma cigarette, parce que j’avais l’impression d’être mal vue ».
A ce propos, le quartier était au milieu de la polémique sur les prières de rues des musulmans qu’une partie des Français trouvaient intruses et non conformes à la laïcité républicaine.
Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur puis président de la République française avait fini par être à l’origine d’une loi qui les interdisait. Ce qui fait que Château rouge n’avait pas bonne presse en France en plus de l’insalubrité et la délinquance : les principaux maux dénoncés aujourd’hui par les usagers du quartier.
« Le principal problème est la drogue avec la consommation de crack, pour Julie. En revanche, la prostitution, c’est moins un problème. En tant que fille, on ne m’embête pas car les adeptes de la prostitution savent où trouver les filles et qu’ils doivent payer ».
Pour la délinquance, il y a « une forme d’auto- régulation des habitants du quartier », selon Quentin qui décrit Château rouge comme « un quartier assez tranquille concernant la petite délinquance car il y a une petite police officieuse qui se fait.
J’ai eu pas mal de copains qui se sont fait agresser dans d’autres quartiers mais jamais ici ». Des avis qui ra- ment à contre sens des fantasmes sur un quartier à forte délinquance. En revanche, il est certain que l’unité africaine y est une réalité. Quentin se remémore d’un événement marquant.
« Pendant le Mondial 2010, lors de son quart de finale contre l’Uruguay, au moment où le Ghana marque le but, j’étais dans le boulevard Barbès avec un co- pain. Nous avons entendu une clameur. Nous avions l’impression que le quartier en entier criait parce que c’était la dernière équipe africaine encore en compétition.
A aucun autre match de la compétition, même si la France n’en avait pas beaucoup joué (éliminée au premier tour, ndlr), nous n’avons entendu autant d’explosion de joie. Les bars étaient « pleins ».
Particulièrement amusée par l’anecdote, Julie ne manque pas de rappeler que « finalement, c’est l’Uruguay qui avait gagné ». Elle a vécu dans ce pays d’Amérique latine et en garde un bon souvenir.