CHEIKH ANTA N'ÉTAIT PAS PROPHÈTE EN SON PAYS
EXCLUSIF : DR DIALO DIOP DU RND SUR SENEPLUS
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Dr Dialo Diop se félicite de la pétition, lancée par un groupe de Sénégalais, pour l’introduction de l’œuvre de Cheikh Anta Dop dans les programmes scolaires nationaux. Pour le responsable du Rassemblement national démocratique (RND), parti fondé par l’égyptologue sénégalais disparu il y a près de trente ans, ça ne serait que justice rendue si les pouvoirs publics allaient dans le sens de la pétition. Car, indique-t-il, Cheikh Anta Diop n’est pas prophète chez lui.
Dans une pétition qui circule en ce moment, un groupe de Sénégalais demande l’introduction dans les programmes scolaires de l’œuvre de Cheikh Anta Diop. Comment avez-vous accueilli cette initiative ?
En réalité, ni le RND (Rassemblement national démocratique, Ndlr), ni les Sénégalais du continent ne sont à l’origine de cette pétition. Je l’ai appris à l’occasion de la conférence de samedi dernier à la librairie Athéna. MM. Niang et Ndiaye qui sont à l’origine de cette initiative sont des émigrés sénégalais du Canada. Vraisemblablement, je suppose, du Haut-Québec. Et Ils ont utilisé les mécanismes d’action citoyenne de type nouveau qu’offre les technologies de l’information pour lancer cette initiative qui est aussi courte et concise qu’elle est pertinente et percutante, demandant l’introduction de Cheikh Anta aux programmes d’enseignement de l’école sénégalaise. Moi et les compatriotes du territoire, si j’ose dire, n’avons fait que la démultiplier, la répercuter et l’amplifier pour en accroître l’impact. Et il est vraisemblable que si tout le monde fait comme nous, vous aurez, je ne dirai pas des milliers, mais des dizaines et des centaines de milliers de pétitionnaires puisque comme vous savez, les francophones ne sont pas des millions dans nos contrées, ils se comptent par milliers.
Quelle est la pertinence de cette pétition ?
L’intérêt de cette pétition, c’est de montrer qu’il y a une demande populaire croissante pour que cette injustice concernant l’œuvre de Cheikh Anta soit réparée et que les travaux de nos plus brillants penseurs et de nos meilleurs chercheurs, qui ont trouvé des résultats et laissé des résultats écrits, figurent aux programmes d’enseignement, et je dis depuis le préscolaire, à l’élémentaire jusqu’au supérieur. Voilà comment j’ai compris cette initiative et pourquoi je l’ai endossée.
Pourquoi, à votre avis, l’œuvre de Cheikh Anta Diop n’est pas suffisamment vulgarisée au Sénégal ?
En réalité, elle est mieux connue et vulgarisée en Afrique, mais hors du Sénégal. C’est paradoxal ! Et Cheikh Anta disait lui-même, nul n’est prophète en son pays. Il a été victime de l’ostracisme et de l’hostilité souvent déclarée des Français, en particulier de la Sorbonne pharisienne, de toute l’académie.
Cette hostilité est-elle toujours de mise ?
Jusqu’aujourd’hui les africanistes français tentent encore de mener le combat d’arrière-garde contre les travaux de Cheikh Anta Diop. Mais c’est vain ! Parce qu’en réalité, le combat proprement scientifique, il est gagné. Et le paradigme nouveau de l’École des humanités africaines ou l’École africaine d’égyptologie, les paradigmes fondateurs de l’œuvre de Cheikh Anta, ont révélé toute leur fécondité et toute leur pertinence par les travaux qu’ils génèrent et qui se multiplient dans tous les domaines de la recherche et non pas seulement en sciences humaines. Donc Cheikh Anta est victime même à titre posthume, bientôt trente ans après sa mort, de cette hostilité ouverte ou cachée contre le travail de saint qu’il a mené et conduit victorieusement contre la rédhibition coloniale et l’impérialisme. Il a ruiné les bases pseudo-scientifiques de la rédhibition et de l’académisme occidental. Il nous a donné des instruments pour pouvoir fonder des nouvelles humanités authentiquement universelles mais à base et à fondement africaine.
Quelle est la place de l’œuvre de Cheikh Anta aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation ?
Il nous donne les outils pour comprendre la mondialisation, en particulier quand il nous montre que la mondialisation qui est finalement un système de capitalisme monopolistique et oligopolistique n’est que la énième variante d’un processus de mondialisation qui commence avec l’hominisation. L’apparition de homo sapiens sapiens sur le continent africain, a fini par envahir toute la planète terre, les quatre autres continents. Et il a littéralement colonisé l’ensemble de la planète terre. C’est la première mondialisation. Même dans l’antiquité, si vous voyez l’impact de la civilisation égypto-nubienne sur le reste du monde, c’était aussi un processus de mondialisation. C’était le résultat des découvertes, des inventions et des innovations des Africains de Nubie et d’Égypte en sciences, en techniques, en arts, en philosophie et en religion, qui s’est disséminé littéralement à travers le bassin de la méditerranée, mais a pu atteindre le monde entier. C’est aussi une forme de mondialisation. Mais si on s’en tient à l’époque moderne, la mondialisation européenne, c’est l’envahissement, l’invasion et la soumission à une servitude marchande de tous les peuples non européens de la terre par l’Europe capitaliste. C’est une autre forme de mondialisation.
Qui sont les héritiers de Cheikh Anta Diop ?
Vous savez qu’on ne maitrise pas son héritage. Une fois que vous êtes disparu et enterré ce que l’on fait de votre legs est indépendant de votre volonté. Le patrimoine le plus précieux de Cheikh Anta, c’est évidemment son legs scientifique et de ce point de vue là, il y a le noyau dur, si j’ose dire, de sa contribution scientifique et intellectuelle, c’est incontestablement la restauration de la continuité de la conscience historique africaine sur la longue durée, 5 à 6000 ans au moins pour ne pas remonter à l’hominisation, voire à l’antiquité. De ce point de vue là, le disciple hors classe et hors compétition, si vous voulez, c’est le Congolais Théophile Obenga, le plus brillant égyptologue africain, le continuateur de Cheikh Anta dans le développement de l’école africaine d’égyptologie et d’antiquité africaine au sens large. Mais l’héritage de Cheikh Anta ne se limite pas à cet héritage scientifique. Il a aussi laissé un héritage politique. Cheikh Anta n’était pas un père fondateur, mais un des continuateurs de la cause du panafricanisme. Et il a laissé un legs spécifiquement politique, une certaine conception de la politique, une certaine manière de mener le combat politique. Il aimait à dire à propos du dernier parti qu’il a créé : ‘’Le RND a un style propre, c’est le culte de la vérité et la sérénité de l’expression’’. Ça veut dire beaucoup de choses.
L’aspiration à diriger le pays ne tient pas à cœur le RND ?
Le RND ne cherche pas le pouvoir pour le pouvoir. Le RND n’est que le dernier parti que Cheikh Anta a créé ; le premier parti auquel il a adhéré était un parti panafricain, le Rassemblement démocratique africain (RDA) qui est finalement le libérateur de l’empire coloniale français de la botte française, au moins dans le cadre de la Guinée. De ce point de vue là, il n’y a pas lieu d’attribuer des certificats de fidélité ou d’appellations contrôlée ou d’origine contrôlé comme disent les commerçants. Il faut simplement voir dans les discours et dans l’action, parce que la conformité dans le discours et dans l’action est un principe de base de tout homme politique qui se respecte, et la contradiction entre les deux est une caractéristique de tout politicien professionnel. Il faut juger par les actes et la conformité du discours pour voir de tous ceux qui se réclament de son héritage politique finalement qui sont les vrais et qui sont les faux disciples de Cheikh Anta.
Comment expliquez-vous la rareté des documents sur Cheikh Anta Diop ? Même ses photos ne circulent pas.
En fait, c’est parce que comme tout grand révolutionnaire, Cheikh Anta Diop est d’une très grande humilité, qui haïssait le culte de la personnalité. Il ne s’est jamais mis en avant. Il ne parlait pas de secrétaire général du RND par exemple. Il parlait de secrétariat général en disant que c’est lui et ses deux adjoints feux Me Babacar Niang et Moustapha Diallo. Il disait que si vous voyez n’importe lequel d’entre nous, vous avez vu le parti. Donc Cheikh Anta avait cette profonde sobriété qui faisait que son image en particulier son image physique lui importait fort peu. Il a fait la campagne de 1983, après que le parti ait arraché son récépissé de reconnaissance légale, pendant 21 jours sans qu’un seul support de campagne du parti ne porte sa photo. Même la profession de foi du candidat du RND à la députation qui était son texte qu’il a rédigé ne porte pas sa photo. Elle ne porte que l’emblème du parti qui est l’aigle.
Et pourquoi l’aigle ?
C’est parce que c’est un prédateur noble qui ne mange pas de charognes et l’assaille et la mange vivant en quelque sorte. C’est toute la différence avec les charognards. La couleur du parti c’était l’or parce que précisément non seulement l’Afrique est le pays de l’or, par tradition, mais aussi et surtout parce que l’or est totalement inaltérable.