Cheikh Mouhamadou Bamba Sall, président de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal, se déchaîne
TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS, PEINE DE MORT, HOMOSEXUALITE, MENACE TERRORISTE...

Ses sermons ne laissent personne indifférent, car il ne connaît pas la langue de bois. Lui, c'est Cheikh Mouhamadou Bamba Sall, président de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal. Dans un entretien exclusif qu'il nous a accordé, le chef religieux précité livre ses vérités crues sur des questions brûlantes de l'heure. De la traque des biens mal acquis, à la crise scolaire, en passant par le débat sur la restauration de la peine de mort et le phénomène de l'homosexualité, le président de l'organisation laïque «Al Ouma» se déchaîne tout simplement.
Vous faites partie des religieux qui ont été cooptés dans le Conseil économique, social et environnemental. A quoi peut-on s'attendre de votre part au sein de cette institution ?
C'est vrai qu'il y a des religieux dans le Conseil économique, social et environnemental. J'en fais partie. Nous avons été choisis par le président de la République pour qu'on y représente les Sénégalais. On le remercie de nous avoir fait cet honneur. Nous comptons user de notre expérience et de notre savoir, en tant que religieux et acteurs sociaux, pour jouer pleinement notre partition dans cette auguste institution. Et nous ferons en sorte de ne pas décevoir les attentes du chef de l'Etat qui nous a fait confiance. Mais également d'avoir la conscience tranquille envers notre Créateur, parce que nous sommes ses fonctionnaires.
On a remarqué l'absence des religieux dans le bureau du Cese...
Je parle à mon nom personnel. Je n'ai jamais réclamé un poste dans le bureau de l'institution. Je pense que c'est à la présidente du Cese qu'il faudrait demander des explications par rapport à l'absence des religieux dans le bureau. Nous représentons beaucoup dans ce pays. Nous irons jamais demander qu'on nous mette dans un bureau d'une institution, quelle qu'elle soit. Ce que je puis vous dire, c'est que, si nous sommes sollicités, nous donnerons notre avis sur les questions qui concernent la marche du pays.
L'affaire de la traque des biens mal acquis continue de défrayer la chronique. Quel commentaire faites-vous de cette question qui a fini de polluer l'atmosphère politique ?
Traquer des biens mal acquis, c'est rechercher de l'argent qui a été acquis d'une manière illicite. Ce n'est pas un travail simple. C'est un travail très compliqué. Moi, qui vous parle, j'ai des biens. J'ai des maisons, une voiture, des champs. Je ne suis ni fonctionnaire ni commerçant. Je suis un marabout. C'est mon chapelet et mes talibés qui m'ont permis d'avoir ces biens. Il y a d'autres personnes qui ont des milliards ou des millions qui l'ont acquis licitement. C'est pour vous dire que c'est un travail extrêmement compliqué que de chercher à savoir comment des gens ont acquis leurs biens. Pour moi, il faudra mettre en place des mécanismes qui empêcheront aux gens de s'enrichir illicitement. Il faut que les gens aient peur de mettre la main sur les deniers publics. Je propose qu'on aille vers la criminalisation des trois délits que sont l'accaparement de deniers publics, la vente de drogue et le fait de tuer une personne volontairement. Tant que ces délits ne seront pas criminalisés, les gens vont continuer à les commettre. J'appelle le pouvoir à privilégier le recouvrement des deniers volés. Tous ceux qui avaient pris des deniers publics et qui sont dans les dispositions de les rendre, qu'on leur donne la chance de le faire. Le pays a besoin de cet argent pour se développer. Je conseille au Président Macky Sall de tout mettre en oeuvre pour que le pays soit stable. Qu'il n'écarte pas ceux qui sont dans l'opposition, qui ont les mains propres, et qui peuvent apporter quelque chose au pays. Le problème, c'est qu'il y a des gens qui gravitent autour du pouvoir et qui ne veulent pas que cette affaire s'estompe. Parce qu'ils en tirent profit. Ils veulent tenir le Président comme un otage. C'est la même chose du côté de l'opposition, où des gens veulent profiter de cette affaire pour faire leur promotion. Mon souhait est que les quatre ans qui restent du mandat du Président Macky Sall soient consacrés au travail, rien qu'au travail. Les Sénégalais sont fatigués de la politique.
Le rapport entre les religieux et la politique a toujours suscité un débat...
Ceux qui font de la politique et qui maîtrisent bien la langue française doivent accepter une réalité qui existe. Il faut qu'ils acceptent qu'ils ne sont plus seuls sur la scène politique. Les religieux sont entrés en force dans l'arène politique. Les hommes religieux sont devenus incontournables, et les politiques ne peuvent plus se passer d'eux. Ils ont besoin des religieux, parce qu'ils ont des «talibés», mais aussi pour leur influence. Il y a également le fait que les politiques ont échoué sur le plan social. Ils ont échoué durant 60 ans. Et aujourd'hui, de plus en plus, les populations ont tendance à faire confiance aux religieux pour la résolution de leurs problèmes. Que les politiques sachent qu'ils doivent compter avec les religieux qui, pour la plupart, ont fait les mêmes universités qu'eux.
Les Sénégalais sont confrontés à d'énormes difficultés et le chômage prend des proportions inquiétantes, sans oublier le phénomène des inondations. Que vous inspire cette situation ?
J'ai toujours l'habitude de dire que je ne comprends pas que, dans un pays en développement comme le Sénégal, que le taux de chômage puisse atteindre les 60%. Cela me pose un véritable problème. Je peux comprendre que le chômage soit accru dans les pays développés, parce qu'il n'y a plus rien à construire. Mais, un pays en développement, où tout est presque à faire, je ne peux concevoir que les jeunes peinent à trouver du travail. C'est ça l'échec des hommes politiques. Tout le pays devait être en chantier, et les champs ne devraient pas désemplir. C'est la volonté politique qui manque jusqu'à présent. Pour qu'on réussisse, il faut qu'on prenne définitivement notre indépendance vis-à-vis de la France. Mais, tant qu'on va continuer d'accepter le diktat des Français, on sera toujours à la traîne. Il faut qu'on prenne des décisions, sans demander l'aval de la France. Nous devons nous ouvrir davantage à d'autres pays comme la Chine, le Japon, mais également aux nations arabes pour démarrer les chantiers. Ce qui bloque le pays depuis 50 ans, c'est que nous n'écoutons que la France qui ne gère que ses intérêts. Quand nous avons besoin, par exemple, de 100 milliards, les Français nous orientent vers la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Alors que nous pouvions aller directement vers la Chine ou l'Arabie saoudite. C'est cette autonomie que nos dirigeants n'ont pas. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international, je les appelle les banques coups d'Etat. Quand les coups d'Etat étaient fréquents en Afrique, les pays où ils s'installaient avaient du mal à échapper aux coups d'Etat, parce qu'ils poussaient les dirigeants de ces nations à prendre des mesures impopulaires qui engendraient des révoltes. Nous devons nous méfier de ces institutions. Elles vous donnent de l'argent et vous poussent à augmenter les prix. Ce qui fait que les populations se révoltent. Le problème des inondations, mais il y a des pays qui peuvent nous aider à trouver des solutions durables. On peut bel et bien réussir à créer 500 000 emplois, d'ici deux ans à trois ans, si l'Etat soutient le secteur privé. Mais, on ne peut le faire, tant que nous serons dépendants des bailleurs de fonds. Il y a aussi que 95% des produits que nous consommons proviennent de l'extérieur. Ca ne peut prospérer. Si on mène une bonne politique agricole, dans 10 ans, le Sénégal va atteindre l'autosuffisance alimentaire. Il est temps que nous croyions en nos possibilités. Aujourd'hui, les valeurs sont laissées de côté au profit de graves défauts que sont, entre autres, le mensonge, le détournement de deniers publics, la facilité.
Quelle appréciation faites-vous de la proposition de loi que compte déposer le député Seydina Fall de l'Apr pour la restauration de la peine de mort au Sénégal ?
C'est sous Abdoulaye Wade que la peine de mort a été abolie. Quand on parle de peine de mort, il ne faut pas que les gens pensent systématiquement à l'Islam. L'instauration de la peine de mort, c'est surtout pour permettre aux gens de vivre en sécurité. La peine de mort n'a pas été abolie dans beaucoup de pays, où les musulmans sont minoritaires. Les lobbies qui ont un rapport avec la criminalité ne veulent pas de la peine de mort, parce que ça ne les arrange pas. Ces lobbies sont présentes dans tous les pays du monde. J'ai entendu Amnesty international dire son opposition à la restauration de la peine de mort. Ceux qui se disent droits de l'hommiste ne sont pas des gens crédibles. Ils n'incarnent aucune valeur. Ils représentent le néocolonialisme dans les pays africains. L'Islam approuve la peine de mort, au cas où celui qui tue le fait volontairement. Tant qu'on ne restaurera pas la peine de mort, la criminalité aura encore de beaux jours devant elle. Le détournement de deniers, la vente de drogue et le fait de tuer volontairement sont des délits qu'il faut criminaliser. C'est la seule solution pour arrêter ces crimes. J'appelle tous les religieux à se mobiliser afin que le jour où cette proposition de loi sera examinée par l'Assemblée nationale, que nous puissions aller soutenir les députés.
L'actualité est également dominée par la menace terroriste...
C'est une réalité dans le monde, notamment en Afrique. Au Mali, 97% des terroristes qui occupaient le pays n'étaient pas des Maliens. Ils venaient d'où ? Ils étaient en Algérie, au Libye et au Niger. Les terroristes viennent surtout des pays arabes. Mais, comme les pays de l'Afrique noire mendient, ils n'osent rien dire. J'ai séjourné dans beaucoup de pays arabes. J'ai rencontré des terroristes qui ne savent même pas comment on prie. C'est pour dire qu'ils méconnaissent l'Islam. Ce sont des gens qui se sont révoltés et qui ont fait de l'Islam leur arme. La fin du terrorisme, ce n'est pas pour demain. Il ne cesse de se développer. Et notre pays aura du mal à échapper à ce phénomène. Parce qu'ils se sont installés ici depuis longtemps. Ils sont dans plusieurs secteurs. Au niveau de notre frontière avec la Mauritanie, nos voisins mauritaniens ont plus de 300 postes de contrôle. Nous n'en avons même pas 10. C'est pourquoi Oumar Sarr du Pds a réussi à aller en Mauritanie sans problème. Les terroristes peuvent entrer facilement au Sénégal. Il faut renforcer la sécurité au niveau de nos frontières. C'est primordial. Tous ceux qui entrent dans le pays doivent être fichés. Je profite de cette tribune pour parler du conflit casamançais. Celui qui a pris en otage des démineurs demande que les prêtres viennent pour qu'il négocie. C'est un signe très fort. Qui a déclenché la rébellion casamançaise ? C'était un prêtre en la personne de Diamacoune Senghor. Si c'était un musulman qui l'avait fait, on l'aurait traité de terroriste. Le foncier est l'une des principales causes du conflit casamançais, avec les terres cédées aux fonctionnaires au détriment des propriétaires légitimes. Ce problème est en train de se répéter dans le nord, à Sangalkam, dans la région de Thiès, etc. Il faut que les autorités soient très attentives à ce sujet. Je suggère par exemple que les terres des paysans soient répertoriées et que l'Etat leur délivre des titres fonciers. Ainsi, ils pourront faire des hypothèques auprès des banques et bénéficier de prêts pour acquérir du matériel, des intrants et autres.
Quel est votre point de vue sur le débat autour de la légalisation de l'homosexualité au Sénégal ?
L'homosexualité est un phénomène qu'il ne faut pas négliger. Dans tous les pays où l'homosexualité a été légalisée, les homosexuels y sont minoritaires. Mais, ce sont des lobbies très forts sur le plan financier. Ils ciblent des gens qui sont élus pour les armer financièrement. Ils sont partout. Dans les associations, même chez les religieux, il y a des homosexuels. Il y a des imams homosexuels. C'est une réalité. Il ne faut pas qu'on néglige ce phénomène-là. Parce que ce sont des lobbies très puissants. Il faut prendre des mesures draconiennes pour contrer ce phénomène qui prend de l'ampleur. La légalisation de l'homosexualité au Sénégal serait une vraie catastrophe. Nous devons tout faire pour que cela n'arrive jamais.
Pour finir, que pensez-vous de la crise scolaire qui va crescendo ?
C'est une crise que nous regrettons fortement. Ce sont les politiciens qui sont à l'origine de cet échec. L'enseignement a été politisé au Sénégal. Tous les syndicats de l'enseignement sont affiliés à des partis politiques, qu'ils le disent ou pas. Ce sont les politiciens qui instrumentalisent les syndicats d'enseignants. Alors que leurs fils n'étudient pas dans nos écoles. Ils les ont inscrits à l'étranger. Les enseignants sénégalais sont avantagés par rapport à la plupart de leurs collègues des autres pays africains. Les revendications des enseignants ont des soubassements politiques. Tant qu'on n'aura pas des moyens pour régler ce problème, tout pouvoir qui s'installera aura des difficultés dans le secteur de l'enseignement.