CHER AMATH,
Le régime de Macky Sall ne fait pas ce pour quoi il a été élu, dites-vous. Dites-nous, pourquoi faites-vous toujours partie d’un tel régime, alors. Quittez-le et demandez à votre parti, le Pit, d’offrir une alternative politique
Cher Amath,
Du haut de mes 75 ans, je peux me permettre ce que des plus jeunes que nous s’interdiront sûrement, par considération pour votre grand âge : vous interpeller sur votre pratique politique que j’ai eu le privilège d’observer depuis l’époque du Pai historique auquel j’ai appartenu il y a plus de 50 ans.
Comme beaucoup de gens lettrés et engagés de notre génération, nous avons été influencés par la pensée marxiste qui nous a fait croire à la révolution qui arriverait un grand soir. Un grand soir où toutes les classes sociales seraient abolies pour laisser la place à un monde où tous seraient égaux en droits et privilèges.
Pour les jeunes colonisés engagés que nous fûmes, perspective politique ne pouvait être plus attrayante. Nous avons été nombreux à sacrifier carrières et parfois familles pour suivre des dirigeants comme vous, croyant honnêtement travailler à ce grand soir.
Nous avons été arrêtés, brimés professionnellement et souvent ostracisés dans nos familles comme des athées sans ambitions aucunes. Les plus perspicaces d’entre nous ont commencé à se poser des questions quand vous, les leaders, commenciez à passer plus de temps dans les capitales des pays communistes de l’Est plutôt qu’à nos côtés dans la lutte quotidienne pour l’émancipation de notre Peuple, comme on disait à l’époque.
Vous-même Amath, étiez prétendument journaliste à Prague, en réalité vous étiez plus entretenu qu’autre chose comme révolutionnaire permanent par le Parti communiste tchèque. En fait, vous ne faisiez que reproduire à l’identique ce que vos maîtres idéologiques pratiquaient chez eux : la rhétorique du grand soir pour une bonne place à la mangeoire.
Dieu soit loué que nous, les militants, avons été vos seuls cobayes et que le Peuple sénégalais n’ait pas eu à vivre sous votre gouvernance, pour ne pas dire sous votre diktat. Vous auriez de toute façon connu le même sort que vos maîtres à penser aujourd’hui balayés par l’histoire.
Vous au Sénégal, avez trouvé une bonne manière de survivre et l’avez savamment théorisé et mis en pratique : après l’encadrement des masses qui a échoué, vous vous êtes spécialisés dans l’encadrement des régimes en place.
C’est ce que vous faites depuis Abdou Diouf, en passant par Abdoulaye Wade et maintenant avec Macky Sall dont vous, Amath, pourriez être le père. Raison certainement pour laquelle il vous a honoré du pompeux titre de ministre d’Etat et vous admet en Conseil des ministres.
Ce que le Président Macky Sall ne semble pas savoir, c’est que la reconnaissance n’est pas votre première qualité. Abdoulaye Wade, lui qui vous a bien fréquenté, vous connaît davantage. Après quelques mois de compagnonnage en 2000, il vous a défenestré en plein jour après vos critiques acerbes publiques. Et voilà que vous recommencez ce chantage qui ne dit pas son nom.
Le Sénégal est en danger, dites-vous et le régime de Macky Sall ne fait pas ce pour quoi il a été élu. Dites-nous, cher Amath, pourquoi faites-vous toujours partie d’un tel régime, alors. Quittez-le et demandez à votre parti, le Pit, d’offrir une alternative politique.
Et comme par hasard, Amath, vous rendez visite dans la même semaine à Abdoulaye Wade ou Abdoulaye Wade vous rend visite, la chose n’est pas bien claire pour le public. Vous n’en êtes d’ailleurs pas à vos premiers échanges de civilités avec l’homme que vous avez voué aux gémonies des années durant.
Vous l’avez appelé à votre chevet à l’hôpital à Paris l’année dernière, pour de grandes embrassades de réconciliation.
Voyez-vous, Amath, nous qui vous connaissons depuis très longtemps, ne sommes étonnés de rien. Vous avez toujours su tordre les principes dans le sens de vos intérêts égoïstes, au gré des circonstances du moment. Voilà pourquoi je me suis résolu à vous interpeller publiquement pour que vos agissements cessent et que vous laissiez travailler le Président Macky Sall qui visiblement vous traite comme un fils.
Si vous avez des suggestions, des critiques et même des reproches à lui faire, faites-le alors comme un père en entretiens privés, au lieu de hurler publiquement avec les loups. Nous qui vous connaissons bien, savons que vous vous inscrivez déjà dans des manœuvres préliminaires en direction d’un prochain remaniement ou des élections législatives à venir.
Ne vous y trompez pas, cette génération au pouvoir dirigée par Macky Sall (qui a su triompher de vous tous en 2012) n’est pas celle de Abdoulaye Wade, encore moins celle de Abdou Diouf, elle n’a pas froid aux yeux et sait intelligemment défendre ses intérêts.
Amath, reprenez-vous avant qu’il ne soit trop tard, restez ministre d’Etat car à notre âge, nos santés sont si fragiles et nos ressources si maigres.