CHRONIQUE D’UNE CONFUSION GÉNÉRALISÉE
LICENCE-MASTER-DOCTORAT (LMD)
La réforme LMD, serait-elle la source des maux de l’université ? Instauré au Sénégal depuis 2009, le système LMD divise la communauté universitaire. Bricolage, manque d’infrastructures, désordre dans la mise en œuvre, incompréhension, surcharges de travail, sont sa marque de fabrique. Victimes du système D, les universités sénégalaises ne répondent pas encore aux exigences du LMD. Résultat : la crise perdure.
Licence, Maîtrise, Doctorat (LMD). Ce triptyque, serait-il à l’origine des misères des profs et étudiants sénégalais? Depuis son entrée en vigueur dans les universités du Sénégal, il semble que c’est le chaos généralisé sur les campus de Dakar, Saint Louis, ainsi que les centres universitaires régionaux. En témoigne la grève des 21 et 22 mai derniers, où l’Université Cheikh Anta Diop s’est transformée en un véritable champ de bataille. A l’origine : le différend entre étudiants et autorités universitaires concernant l’accession au Master. Ce, en plus de la lancinante question des bourses.
A la place de la performance annoncée et attendue par le monde universitaire, le LMD est arrivé avec son lot de confusions et de surcharge de travail. Professeurs comme étudiants avouent de plus en plus être désabusés par un système tant vanté par les autorités lors de son lancement. La réforme s’est finalement révélée être un gros canular. «On a mis la charrue avant les bœufs», rapportent en chœur des enseignants visiblement dépassés et très amers.
«C’est un système lourd, exigeant aussi bien en termes de mobilisation de ressources humaines, d’enseignants pour la recherche, de personnels d’accompagnement et d’équipements. On est passé d’un système d’unités de valeurs au système Lmd sans pour autant se donner les moyens de le rendre opérationnel. La démarche scientifique était de l’appliquer à un échantillon, le voir fonctionner pendant un moment, l’évaluer, avant de continuer en tenant compte des manquements relevés ça et là. Cela ne s’est pas fait. On a appliqué la réforme de façon ouverte comme ça», explique une enseignante à l’Ucad.
En réalité, pour que ce système soit efficace, l’université doit être conçue et organisée de manière à offrir les conditions propices (ressources humaines et infrastructures, salles de classe, bibliothèques, centres, chaînes, autres dispositifs de recherche, ordinateurs, etc.) à un enseignement et à un apprentissage de qualité, ainsi qu’aux recherches fondamentales. Les universités sénégalaises sont-elles dans les conditions d’appliquer ce système et de répondre aux exigences en termes d’investissement ? La réponse est évidemment non. Pourtant, les enseignants, « premiers acteurs», n’ont pas hésité depuis le début, à alerter l’autorité avant de se soumettre à cette obligation de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Les Curs, pas épargnés
Sur le plan des infrastructures -épine dorsale d’une mise en œuvre correcte du système LMD- tout est à repenser. À Dakar, hormis quelques timides constructions comme Ucad 2 et quelques nouvelles salles dans les facultés respectives, la capacité d’accueil est de loin insuffisante pour l’actuelle population estudiantine.
Depuis 1958, année de son ouverture, ce sont les mêmes anciens amphithéâtres et salles de TD de l’Ucad qui servent toujours à une université accueillant chaque année plus d’étudiants. La demande d’accès, qui croît à un rythme effréné, est devenue insoutenable pour nos universités (avec 28 724 à 72 926 étudiants entre 2002 et 2012 soit un taux de croissance de 150% en dix ans). Les nouveaux bacheliers- dont une bonne partie est envoyée dans le Privé faute de place- avoisineraient les 50.000 à l’horizon 2015.
Malgré cela, le gouvernement ne semble même pas prévenir cette situation. S’y ajoutent : une inefficience de la qualité de l’enseignement (taux d’échec élevé, taux d’encadrement faible, faible employabilité), une gouvernance du système inadaptée aux exigences d’une ouverture à la communauté, inclusive et participative, des conflits récurrents opposant l’Etat aux composantes de la communauté.
De même, les centres universitaires régionaux qui ont débuté il y a trois ans avec le système Lmd, sont aujourd’hui tout aussi égarés. A Thiès par exemple, c’est une université éclatée en «mille morceaux» dans plusieurs quartiers de la ville et qui manque sérieusement d’infrastructures. A Bambey et Ziguinchor également, les mêmes problèmes reviennent telle une rengaine.
«A Ziguinchor depuis qu’on a ouvert, il n’y a jamais eu d’inscription pédagogique. La seule qui compte c’est l’inscription administrative et de ce fait on ne sait pas quelles matières l’étudiant reprend. C’est un véritable problème d’accompagnement qui se pose. Et en plus de la charge de travail, les enseignants œuvrent dans des conditions difficiles et sont, dans le même temps, obligés d’établir les listes de passages, car les personnels administratifs ne comprennent pas encore le système», informe M. Amadou Hamath Dia, enseignant au département de sociologie à l’université de Ziguinchor.
En effet, près de 80% des enseignants et des personnels administratifs ne maîtrisent pas les fondamentaux du système. Du coup, les étudiants sont forcément aux abois et d’ailleurs beaucoup d’erreurs ont été relevées dans les choix des matières optionnelles ou celles à reprendre.
Des profs qui manquent à la pelle
Outre le problème des infrastructures, la question des ressources humaines se pose également avec acuité, tant le ratio enseignants-étudiants est déraisonnable. Rien que pour le département d’anglais de l’Ucad il y a actuellement près de 8000 étudiants en première année (L1), 800 en master 1 et 200 en master 2 qui doivent tous être suivis par un corps professoral qui compte 23 enseignants titulaires. Pour le département de Physique aussi c’est la même galère. Comment 40 enseignants chercheurs pourraient-ils gérer 6000 étudiants ? Impossible. Surtout que le budget de 15 millions CFA pour équiper les labos peine à être exécuté.
«La charge horaire est inhumaine. Si l’on continue à ce rythme, les étudiants deviendront fous et les enseignants mourront. Les mesures ne suivent pas et cela va inévitablement empirer l’année prochaine», peste M. Moustapha Sall, enseignant au département d’histoire à l’Ucad. Même au niveau de l’université de Saint Louis réputée «privilégiée», l’éclaircie ne dissimule pas les manquements.
«Après trois ans de Lmd à Gaston Berger, on ne ressent pas tellement ce problème lié aux effectifs. Mais même avec les nombres limités il y a des difficultés parce que la réforme implique un suivi très proche de l’étudiant. Il faut vraiment arriver à un cadre propice avec des ressources humaines qualifiées car le système a aussi des avantages tels que la mobilité pour les enseignants comme les étudiants», renseigne M. Babacar Dieng enseignant au département d’anglais à l’université Gaston Berger de St Louis.
Et selon certains, si l’on n’y prend garde les conséquences s’avèreront désastreuses pour les années à venir. En effet, pour le moment le système accumule énormément d’étudiants au premier palier L (licence). Même si en M (master) les effectifs paraissent plus souples, la charge n’en est pas pour autant réduite pour des enseignants-encadreurs qui ont mis de côté la recherche. Le nœud gordien reste toutefois le troisième niveau D (doctorat) qui implique un encadrement obligatoire et des moyens conséquents pour la recherche, alors qu’aucune ligne budgétaire n’a encore été dégagée dans le domaine scientifique par exemple.
Récemment, l’Union des Doctorants et Chercheurs de l’Ucad faisait d’ailleurs part de ses inquiétudes sur la manière dont la réforme LMD est conduite. «Une profonde affliction de constater que les contours de cette réforme sont loin d’être maîtrisés par les autorités de l’Ucad qui sont en train de la conduire dans une impasse sans précédent. A la lumière d’une petite expérience d’environ trois années, le bilan partiel des Ecoles Doctorales est loin d’être satisfaisant.
Faute de moyens, de rigueur dans la formation et d’encadrement de proximité tel que préconisé par la réforme LMD, le taux de soutenance est faible et ceux qui ont épuisé leur troisième inscription se contentent de demander une dérogation. Bref, la précarité des conditions socio-pédagogiques des doctorants de l’UCAD ne favorise véritablement pas le succès», regrettait cette association.
Les enseignants auront beau se dédoubler, les étudiants tentés des subterfuges pour «tirer profit» de ce nouveau système, le succès risque de ne pas être au rendez-vous de sitôt.
En attendant de voir le gouvernement et d’éventuels bailleurs de fonds internationaux s’engager à doper les universités de moyens humains et matériels supplémentaires «La Machine fait encore dans la Débrouille».
Repères
La Licence, la Maîtrise et le Doctorat viennent valablement remplacer le Deug ou Duel, la Licence (CL Et CS), la Maîtrise, le DESS ou DEA et le Doctorat délivrés auparavant avec comme niveau de diplôme : Licence = Bac + 3 ans, Master = Bac + 5 ans, Doctorat = Bac + 8 ans.
En lieu et place de l’année universitaire, le système LMD est découpé en semestres. La Licence (L) = Bac + 3 ans, équivaut à 6 semestres de travail après validation de 180 crédits, le Masters (M)= Bac + 5 ans, correspond à 4 semestres après la Licence et après validation de 120 crédits et enfin, le Doctorat (D) = Bac + 8 ans, s’obtient aux termes de 6 semestres d’études après le Master et après avoir validé 180 crédits. Le crédit permet d’évaluer le travail de l’étudiant pendant le semestre pour chaque unité d’enseignement (UE) qui n’est autre que la matière enseignée.
Avant son entrée massive dans les universités sénégalaises, ce système avait déjà été pratiqué au niveau de la faculté de médecine de Dakar. Sur la pression de l’Uemoa, les autorités sénégalaises ont décidé d’intégrer ce système qui permet la libre circulation des apprenants et leur facile insertion dans les programmes des autres universités du monde.