CI LAA BOKK : L'HEURE DE QUESTIONNER LE BON SENS
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Un groupe d'éminentes personnalités de la société civile, pour qui j'ai du respect, semble avoir trouvé une niche dans l'opportunité de modifier le code électoral consensuel de 1996. Le but de cette modification visée étant de permettre la participation des listes indépendantes aux élections locales de 2014. Bien que je sois personnellement intéressé à l'idée d'être candidat à une mairie, je ne partage pas l'engouement de ces derniers. Plus ils avancent dans ce projet, et plus j'ai des doutes quant à l'opportunité, les motivations et la pertinence de l'objectif visé.
Sachant qu'il est admis, que les groupements d'intellectuels sont experts dans l'art de convier les gens, pour leur dire que seules leurs idées sont intelligentes et viables, mieux vaut suffisamment questionner le bon sens de leurs propositions. C'est ainsi que l'initiative "Ci laa bokk" fondée et animée par ce groupe convaincu que l'heure est venue de corriger une "incongruité" de notre code électoral afin de consolider notre démocratie, a retenu mon attention.
Quelles sont les réelles motivations?
Une stratégie a été élaborée et une campagne est en cours, orchestrée par les protagonistes pour mobiliser le maximum de citoyens derrière ce projet. L'objectif est de faire pression sur le régime en place afin d'obtenir gain de cause. Toujours est-il que tout ça est vite dit. Les motivations réelles sont à découvrir, car celles avancées ne justifient pas la dépense d'énergie occasionnée.
Les initiateurs voudront bien excuser mon incrédulité, je n'aime pas marcher systématiquement sur les pas de mes devanciers, préférant comme les crabes me déplacer latéralement.
Avec du recul, je trouve que les arguments sur lesquels repose leur initiative, axés autour de la discrimination et de l'exclusion inhérentes au code existant, n'ont de pertinence que si des faits corroborant ces allégations sont avérés. De 96 à nos jours quels sont les cas connus, valablement exprimés, de citoyens exclus ou discriminés des élections locales? Qu'on nous le dise. A ma connaissance, il n'y en a pas. Et s'il se confirmait qu'il n'y a pas eu de contestation au titre de ces motifs, ne serait-ce pas là la preuve que les critères du code de Kéba Mbaye conviennent objectivement à notre état?
Par conséquent, avant de prendre la responsabilité de les lever, il faut bien réfléchir à ce que l'on mettrait à la place. D'autant plus que les lever nous placerait pour le moins face au dilemme suivant:
- Soit ouvrir la candidature à tout citoyen indépendant qui le désire et accepter les conséquences anarchisantes qui viennent avec : les candidatures fantaisistes, la pléthore de candidats rendant impossible la tenue d'élections locales, le regain de violence électorale.
Le fait d'être passé d'un régime de parti unique au nombre ridicule de 217 partis en un temps record, devrait suffire à disqualifier cette hypothèse.
- Ou alors les substituer à d'autres critères de sélection, et donc créer de nouveaux verrous à la place de ceux critiqués comme actes d'exclusion et de discrimination. Comment alors expliquer aux citoyens l'inconsistance d'une initiative, dont les prémisses sont la suppression d'injustices qui à l'aboutissement demeureraient toujours en bonne place.
J'invite les protagonistes à réfléchir davantage avant de dérouler des actions publiques et mieux nous éclairer sur le nouvel ordre qu'ils veulent. Il y a tellement de désordre dans ce pays qu'il ne faut pas en rajouter. Une fois que l'on a légiféré sur une chose, nul ne peut imaginer les exploitations dangereuses que pourraient en faire des groupes opportunistes sur l'ensemble du territoire.
L'usage de la force comme argument
Il y'a autre chose qui dérange dans le communiqué que j'ai lu, c'est l'allégation suivante : «l'heure est venue de corriger cette "incongruité" du code». Cette allégation, je trouve, n'avait pas sa place parmi les arguments. Ce code nous est familier, il date de 1996 et sa médiation nous a permis d'atteindre des résultats probants et éloquents. Vouloir le balayer juste par des termes banalisants, ressemblerait à une tactique dévalorisante qui consiste à jeter le discrédit sur des actes positifs, simplement en utilisant une qualification péjorative: ce qui est une forme de violence verbale.
Tout comme le choix de rallier une masse critique de la société, venant de tous bords, juste pour faire pression sur le régime en est une, également. Tout cela n'est rien d'autre que faire usage de la force. Une force qui n'est pas physique, on le sait, mais qui réside dans la menace de conséquences fatales que l'on fait peser sur le régime, en cas de succès de la tactique.
La force comme moyen d'imposer son point de vue est symptomatique d'un défaut d'arguments persuasifs.
Ces arguments de violence ne sont présents dans la communication de Cii laa bokk, que parce que l'heure ne serait tout simplement pas venue de corriger quelque incongruité que ce soit du code électoral. L'heure est de toute évidence à d'autres priorités, tout le problème de "Ci laa bokk" est là.
Pour des représentants de la société civile, je les verrais mieux dans l'offre de solutions, l'engagement auprès des victimes d'inondations, ou comme l'a si bien fait l'un d'eux, Cheikh Tidiane Dieye, soutenir une bonne cause par une contribution pertinente - la défense de l'environnement et en l'occurrence le site du technopole.
La société civile dans ses rôles
A vrai dire, en confiant à Kéba Mbaye, un homme sans ambition politique aucune, le soin d'élaborer ce code, Abdou Diouf ne s'était pas trompé. Son souci de doter la nation d'une structure électorale consensuelle, viable, était confirmé. Nous en sommes encore satisfaits, alors nos priorités du moment sont ailleurs. Comme l'a si bien dit une autre éminente figure de la société civile, le doyen Moustapha Kassé, professeur émérite, dans une contribution parue dans le quotidien du samedi 24: l'heure est venue, je cite – «d'observer une posture autocritique pour que le pays ne retombe pas dans le mal développement....le problème est de savoir si ces personnalités (de Benno bokk yaakaar) auront la volonté, au moment où le peuple s'impatiente, de s'atteler sans fioriture à se mettre ensemble, derrière le président de la République, pour la résolution des urgences sociales.» fin de citation. En d'autres termes, il appelle à une responsabilité de circonstance et un engagement désintéressé pour une mutualisation des connaissances et expériences. Hé oui! Il y a société civile et société civile. Quand je sillonne le Fouta, je vois tellement de réalisations utiles faites par des membres anonymes de la société civile, qui œuvrent sans cesse pour le développement, sans jamais apparaître à la télévision, ni manifester dans les rues. Ils m'inspirent humilité.
N'est-ce pas en pleine tempête que nous avions choisi un capitaine, conscients que nous le destinions à une mission cyclopéenne, après tant d'années de dérive? Alors ramer à contresens n'est pas une alternative pour ceux qui l'ont élu. Il n'y a pas non plus de place aux fioritures - Le cri de notre société, sujette à une intoxication sévère d'incivisme et d'abus chronique des libertés primaires, est par préférence, un cri de respect de son prochain et des devoirs civiques et non celui davantage de droits et de démocratie.
Ibe Niang Ardo Pdt du Mvt Cit JOG CI