CINEMA : Androman, un mensonge qui mène à l'absurde
L'initiative « Up courts métrages » de Cinékap et Waaw studio qui, dans une formation non diplômante, permet à de jeunes porteurs de projets de réaliser leur film aura permis à ces jeunes de découvrir le cinéma marocain à travers le film « Androman, de sang et de charbon », du réalisateur Azlarab Alaoui.
Le réalisateur marocain Azlarab Alaoui est un cinéaste poétique qui cherche dans la musique soufi, dans la symbolique des choses et dans la souffrance humaine, une source d'inspiration. « Androman, de sang et charbon », son dernier film, sélectionné en février au Fespaco est un film tout empreint de soufisme. Un film plus qu'abouti aussi bien dans les différents récits qu'il met en place que dans l'atmosphère qui les enveloppe et entraine le spectateur dans un tourbillon de sentiments qui va de la rancœur envers le père, de l'admiration à l'égard de la fille, de l'attachement pour ce jeune berger orphelin, au fou rire que déclenche la séance de photographie.
Le film d' Azlarab Alaoui est tissé comme un tapis de Kairouan dans une dominante en fil de trame et de petites histoires en fil de chaine. Oushen (Mohamed Khoury), le père dont le caractère est assimilable à celui d'un loup porte en lui le poids d'un serment basé sur le mensonge. A son père qui va mourir dans ses bras et qui n'a qu'une seule obsession, celle de voir se perpétuer la tradition du charbonnier héritée de père en fils, Oushen lui fait croire que son premier enfant qui vagie et dont le grand père entend les pleurs est une fille et non un garçon. La tradition sera donc maintenue. Le grand père meurt en paix. Comme l'œil de Caen de Victor Hugo, l'image de son père à qui il a menti le poursuit tout au long du film. Ce mensonge condamne Oushen à faire croire à tout le village que sa fille Androman ( Jalila T alemsi ) est bien un garçon élevé à la manière d'un garçon. Mais Androman qui va vers la puberté sent son corps de jeune fille se réveiller en elle. Sa féminité se reporte sur sa jeune sœur qui l'amène dans la discrétion à remplacer leur défunte mère. Cette histoire basée sur le mensonge qui conduit Oushen jusqu'à l'absurde est le fil de trame sur lequel, le réalisateur brode de fines histoires qui ne viennent pas troubler l'histoire de Oushen et d'Androman.
Le village d'Akechmir au pied de l'Atlas est replié sur lui-même sous un ciel morne, au milieu d'un champ de pierres et de prairies. Un peu en contrebas se trouve une forêt de pins que défend avec conviction un duo de gardes champêtres. Le village est empêtré dans une histoire de partage de terres qui exclut les femmes et les pères sans rejetons masculins. Pour trancher cet épineux problème autour duquel s'affrontent à coups de postillons, le camp du vénéré guide religieux Fkih qui a cœur de semer les vertus de l'islam, dans le cœur des villageois et dans le camp du macho El Gandouz pour qui une femme est faite pour aller ramasser du bois et entretenir la maison, il faut trancher. Cheikh, un membre de la communauté propose une compétition hippique. A chacun de choisir son cavalier. Une histoire d'amour entre le berger orphelin M'Hand et Androman qui fait croire à une histoire d'homosexualité met sens dessus dessous la communauté des hommes. Quant aux deux gardes champêtres, toute leur énergie est orientée vers la traque de ces braconniers charbonniers qui détruisent la forêt de pins.
Dans le film de Azlarab, il y a une constante opposition tout aussi bien dans les sentiments que dans la nature. Une subtile opposition dans laquelle rien n'est figé. Derrière la brutalité est enfouie la tendresse, derrière la soumission nait la détermination. Les villageois trouvent un compromis à leurs différends. La fin de l'histoire est qu'un mensonge peut conduire jusqu'à l'absurde la plus tragique.