COMMENT LA SOCIETE ANOC A ABUSE DE LA NAÏVETE ET DE L’IGNORANCE DES PAYSANS
ACCAPAREMENT DE TERRES A OUROUR
L’afflux de politiciens devenus «des agriculteurs du dimanche» et de sociétés étrangères vers les terres du monde rural a engendré, ces dix dernières années au Sénégal, de vives oppositions qui ont affecté plusieurs localités du pays. Le cas de Fanaye, dans le département de Podor, qui a entraîné des pertes en vie humaine a été dramatique. Un évènement similaire est en phase de se produire à Ourour, une communauté rurale située à 17 km de Kaolack, si l’Etat ne prend pas ses dispositions.
En fait, le lancement en 2008 de la culture du Jatropha, communément appelé «tabanani» en wolof, dans la communauté rurale de Ourour, a fait que les paysans qui avaient bradé leurs terres à la société African national oil corporation (Anoc), n’ont plus d’espace où cultiver. Ne pouvant plus supporter cette situation de pauvreté indescriptible, à cause de l’occupation des terres par une culture impropre à la consommation, les populations de Ourour, qui sont sur le pied de guerre, comptent désormais résister farouchement à l’accaparement de leurs terres. D’ailleurs, elles promettent un «Fanaye bis» si l’Anoc ne leur restitue pas leurs terres acquises «illégalement».
Alors, pour éclaircir ce flou qui entoure ce cas d’accaparement inédit où les populations ont été amenées à vendre l’hectare de terre à 20 000 francs Cfa à l’Anoc, Le journal «Le Populaire», en collaboration avec l’Institut Panos et l’Union européenne, a fait des investigations à Ourour. Nous vous proposons ici le premier jet.
OUROUR, Guinguinéo - Située dans la région de Kaolack, suite à un nouveau découpage administratif, la Communauté rurale de Ourour fait désormais partie du département de Guinguinéo, arrondissement de Nguelou. Elle est à 215 km de Dakar et constitue une zone de transition entre le Sine et le Saloum.
D’après le Plan local de développement de la Communauté de Ourour, l’agriculture pluviale constitue la principale activité économique des populations. En effet, elle emploie 99% de la population active, qui emblave chaque année près de 10 000 hectares. Cependant, développer l’agriculture vivrière à Ourour est très difficile ces dernières années et l’implantation de la société African national oil corporation (Anoc) qui y développe la culture du Jatropha a été jugé néfaste.
A l’entrée du village de Ourour Sinthiou, zone la plus touchée par la culture du Jatropha, ce sont les plantes du Jatropha sillonnant le long de la route qui attirent d’emblée les attentions. Dans ce village, les paysans n’ont plus où cultiver et cette situation prévaut depuis 2008, quand l’Anoc, qui est une entreprise franche d’exportation italo-sénégalaise à capitaux mixtes, accompagnée et appuyée par l’Apix, a investi la communauté rurale de Ourour. Et c’est sur la place du village, près de la mosquée, que nous avons trouvé le chef de village avec ses voisins pressés de nous narrer leur calvaire quotidien.
Comment l’Anoc a dupé les paysans qui ont bradé leurs terres à 20 000 F Cfa l’hectare
D’après le rapport de l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar) produit en juillet 2012, l’Anoc a signé une convention avec l’Etat du Sénégal pour la production et la commercialisation du Jatropha appelé «tabanani» en wolof et ses produits dérivés. L’entreprise avait un projet de montage d’une usine de transformation et son laboratoire test pour la production de l’huile végétale pure (Svo : Straight vegetabal oil) installé à Ngaparou. Selon toujours le rapport de l’Ipar, l’Anoc projette de faire 20 000 litres de carburant à partir de graines de Jatropha en 2012, puis 480 000 en 2013. Pour 2014, une production de 2,3 millions de litres est prévue alors que 4,8 millions de litres sont prévus pour 2015 et 12,4 millions pour 2016. La production de bio-diésel et de Svo est destinée au marché européen. Des prévisions qui ne se vérifient pas sur le terrain, puisque depuis qu’elle s’est implantée à Ourour, l’Anoc n’a pas produit «un seul litre d’huile» de Jatropha. C’est en tout cas, les confessions des deux principaux membres du projet Fatou Kiné Ba et Madani Ndiaye le Coordonnateur.
Tout a débuté quand Fatou Kiné Ba, native de Ourour, est allée faire une offre alléchante à une population frappée par la précarité. Jugeant que beaucoup de «terres n’étaient plus cultivées », elle a saisi l’aubaine pour conduire le promoteur italien Alessandro Milani à Ourour pour une opération de charme sous tendue par des promesses dont les populations ne verront jamais la réalisation.
Cependant, elle ne manque pas d’arguments pour justifier le modus operandi qui a incité les paysans à lui vendre l’hectare de terre à 20 000 francs Cfa. «J’ai tenu la réunion dans mon village avec mes frères pour leur expliquer l’utilité du projet dans une zone aussi défavorisée. On a forcé la main à personne. En réalité, les paysans ne cultivaient presque plus», se défend-elle au beau milieu de son salon.
Des propos qui entrent en contradiction avec ceux de Abou Ba, un jeune paysan rencontré sur la place publique du village de Ourour Sinthiou. M. Ba, qui déclare avoir assisté à la première réunion tenue dans la chambre de Alpha Diallo, de confier que Kiné Ba avait bien usé de stratagèmes pour arriver à ses fins. «Elle était avec l’Italien Alessandro Milani qui, selon elle, ne comprenait aucun mot français. Elle nous a défendu d’informer le sous-préfet ou de le mettre au courant que l’Anoc a donné 20 000 francs Cfa en échange de chaque hectare de terre. Elle ne voulait pas qu’on parle de vente», dit-il.
Promesse de recruter les jeunes d’Ourour comme ouvriers agricoles payés 75 000 F/mois
Poursuivant, Abou Ba renseigne que Kiné Ba avait promis de «payer aux ouvriers agricoles 75 000 francs Cfa par mois, soit 2500 francs Cfa par jour. En plus, elle avait promis que la société installerait des forages dans tous les champs, des fils de fer barbelés pour délimiter les champs, et une usine qui produirait de la glace et qu’elle emploierait les fils de Ourour. Elle avait aussi dit que des voitures seraient mises en circulation pour desservir la zone et que les fils de Ourour y seraient employés comme chauffeurs». De belles promesses qui, ajoute M. Ba en hochant la tête, «nous avaient motivé à brader nos terres sans réfléchir».
Et Abou Ba n’est pas le seul à avoir accordé sa confiance à l’Anoc. Une soixantaine de paysans ont bradé ce jour-là leurs terres. Parmi ces derniers figurent Pape Ousmane Diallo. Il a vendu 9 ha à l’Anoc. «Ils ont marchandé à leur arrivée directement avec nous. Ils ont fait signer à nos pères sur du papier blanc et vierge. On leur avait demandé des contrats qu’ils ont refusé de nous donner. Ils avaient dit qu’on deviendrait des ouvriers agricoles dans nos propres champs et qu’ils nous paieraient à la fin du mois 75 000 francs Cfa. Une promesse qu’ils n’ont jamais tenue», martèle-t-il.
Dans un compte rendu de la mission d’Enda Pronat de décembre 2013 rédigé par Ardo Sow et Salma Bidjil Fall, les deux collègues de Mariame Sow ont recueilli le témoignage de Mamadou Dia qui révèle que «l’Etat a envoyé Alessandro Milani dans la Communauté rurale de Ourour pour une exploitation de 250 ha avec une délibération du Conseil rural». Mais à l’en croire, l’Anoc a voulu acquérir plus que ce qu’on lui avait octroyé. «Au lieu de se limiter à cette superficie, note-t-il, plus de 1000 ha sont octroyés à ce promoteur avec la complicité de certaines autorités».
«L’Etat du Sénégal n’est pas au courant de cette transaction foncière»
D’après M. Dia, «l’Etat du Sénégal n’est pas au courant de cette transaction foncière». Et de raconter sa rencontre avec Kiné Ba et Alessandro Milani : «Par l’intermédiaire du marabout Alpha Diallo, nous avons rencontré Kiné, qui nous dit que si nous ne cédons pas les terres, c’est l’Etat qui va les prendre de force pour les donner à Anoc, donc mieux vaut accepter cette transaction. J’ai interpellé le promoteur sur la forme d’acquisition des terres, si c’est un achat ou une location, il me répond qu’il loue la terre pour 25 ans». Soulignant avoir découvert le pot aux roses, Mamadou Dia se rétracte et tire la sonnette d’alarme. «Cette affaire est une grosse arnaque», avait-il dit à ses collègues. Un ancien président de la communauté rurale de Ourour à l’époque, qui a voulu requérir l’anonymat, a fait savoir que «les populations ont presque vendu toutes leurs terres. C’est après que l’Anoc est venue nous voir pour se procurer une délibération».
Djiby Diop, Conseiller rural de 2004 à 2009, enfonce le clou : «L’Anoc a continué à acheter des terres et sans délibération, ils ont obtenu des terres parce qu’ils sont allés négocier directement avec les populations. Ce qui est illégal. Mais, sous le magistère du Pcr Ousmane Diallo, aucune délibération n’a été donnée à l’Anoc. Car il estimait que celle-ci ne respectait pas les règles d’affectation des terres». Néanmoins, Fatou Kiné Ba soutient qu’«ils parlent de vente mais ce n’est pas le cas. Si vous voyez les actes de cessions vous verrez qu’ils n’ont pas signé sur une feuille blanche». Sauf que Kiné Ba et Madani Ndiaye, le Coordonnateur, ne nous ont montré aucun acte de cession réfutant les propos des paysans.
Des promesses jamais tenues par l’Anoc
Non seulement sur le terrain nous n’avons vu aucune réalisation de l’Anoc, mais le nombre d’ouvriers agricoles a été revu à la baisse. La promesse d’employer les propriétaires des terres comme ouvriers agricoles n’a pas été totalement respectée. C’est en tout cas ce que nous a confié un ancien Pcr sous le couvert de l’anonymat : «la promesse que l’Anoc n’a pas tenue, c’est le fait d’avoir assuré que ceux qui leur avaient vendu leurs terres seraient prioritaires ainsi que leurs familles au moment d’embaucher des ouvriers agricoles. Après que les populations leur ont vendu ces terres, ils n’ont pas embauché le propriétaire ou encore les membres de la famille. C’est vrai qu’au début, ils avaient embauché quelques uns, mais ils ont failli à leur parole au fur et à mesure que le projet avançait».
Une information qu’on a pu vérifier auprès de Bara Sall, Responsable du personnel de l’Anoc. Sur le registre qu’il nous a montré, de «15 employés le samedi 08 mars 2008, l’Anoc est passée à 227 employés, dont 98 habitants à Ourour». Ce qui ne constitue même pas la moitié des ouvriers natifs de Ourour. Et notre source de nous révéler qu’«aucun contrat ne lie les ouvriers agricoles à l’Anoc».
Cependant, Madani Ndiaye, coordonnateur du projet, a versé dans des dénégations, sans manquer de nous présenter des spécimens de contrat où ne figure aucune signature.
Le nombre d’hectares obtenus par l’Anoc reste un mystère
Si dans le rapport de l’Ipar il était indiqué que 750 ha avaient été cédés à l’Anoc, aujourd’hui il est difficile, voire impossible, de prouver avec exactitude combien d’hectares dispose l’Anoc dans la Cr de Ourour. La guerre des chiffres est à son paroxysme. Selon le chef de village de Ourour Sinthiou, Gallo Bonko Ba, «lors de notre première rencontre, ils disaient avoir 356 ha. A la rencontre suivante, ils ont déclaré avoir 581 ha. Quand la polémique est devenue encore beaucoup plus vive, ils ont dit avoir 782 ha». Mais le Coordonnateur du projet, très remonté contre les paysans, déclare : «Nous ne disposons que de 369 ha qui sont exploités». Des propos qui ne sont pas conformes avec le nombre figurant sur la liste des vendeurs dont nous avons copie et qui est de 451 ha. Aussi, la question qui s’impose est de savoir où sont les hectares restant, si l’Anoc n’exploite que 369 ha. En tout cas, Matar Kori Ndiaye, un des paysans, semble donner un début de réponse. «L’Anoc me loue depuis 2008 des champs où je cultive de l’arachide», nous dit-il, tout en refusant de donner le montant de la location.
Et comme par enchantement, le registre foncier de la Communauté rurale de Ourour demeure «introuvable depuis juin 2012», d’après Mamadou Dia qui l’a révélé dans le rapport d’Enda Pronat. Raphaël Diouf, adjoint à la Délégation spéciale dans ledit rapport. Mais à qui profite la disparition du registre foncier de Ourour ? Mystère et boule de gomme. En attendant qu’on le retrouve, les langues se délient dans cette communauté rurale où règne un climat délétère.
Les dessous d’une exploitation
La production du Jatropha continue encore à Ourour, alors que l’Anoc n’a toujours pas enregistré les résultats escomptés. Une situation bien curieuse et qui nous a été exposée par le Coordonnateur, Madani Ndiaye, qui se confesse : «On n' rien gagné avec ce projet, donc on ne peut pas augmenter les salaires tels que le veulent les paysans. Si cela ne dépendait que de moi, on rendrait toutes les terres et on mettrait fin au projet. Mais à condition qu’ils nous compensent. S’ils sont prêts à le faire, nous leur restituons leurs terres. Car on en a marre de l’ingratitude de ces paysans. Il y en a qui combattent le Jatropha, car soutenant qu’il appauvrit la population et pourtant on a évité toutes les zones à problème». Kiné Ba, sa collègue, avoue que le projet est en léthargie. «Pendant 7 ans, nous n’avons rien gagné dans ce projet. On a faussé l’étude et les données de départ sur le Jatropha. Nous avons enregistré de forts taux de mortalité, c’est pour cela que nous y avons associé la culture de l’arachide l’année dernière et on a récolté 9 tonnes soit 1 900 000 francs Cfa que nous avons utilisés pour payer les salaires».
Toutefois, des sources très au fait de la situation qui prévaut à l’Anoc nous ont confié que «s’ils disent n’avoir rien gagné avec la culture du Jatropha et que pourtant ils continuent, c’est parce qu’en réalité, que le projet marche ou non, cela n’intéresse aucunement Alessandro Milani. Il bénéficie non seulement d’une subvention de la Banque mondiale pour la culture du biocarburant, mais il perçoit aussi une subvention de l’Union européenne pour le crédit Carbonne». D’après notre interlocuteur, «le Jatropha est pour eux un alibi pour toucher à ces fonds». Et notre source d’indiquer «qu’il n’y a pas de perte, d’autant plus que la société n’emploie qu’une trentaine d’ouvriers. Donc, il n’y a pas de dépense pratiquement».