COMPROMIS HISTORIQUE
ADOPTION DE LA NOUVELLE CONSTITUTION TUNISIENNE
«L'écrasante majorité des Tunisiens peuvent se reconnaître dans ce texte. Nous sommes en train de montrer au monde que ce petit pays est l'espoir de la région. Nous sommes un laboratoire qui est en train de donner de bons résultats. Avec ce texte, on entérine la victoire contre la dictature… Il reste un grand travail pour que les valeurs de notre Constitution fassent partie de notre culture.»
Moncef Marzouki, chef de l'Etat tunisien
Trois ans après le début des soulèvements arabes, les bonnes nouvelles se font rares : la Syrie s'enfonce dans la guerre civile, la Libye plonge dans l'anarchie, l'Egypte dans l'autoritarisme. Pourtant, un pays, la Tunisie, d'où sont parties les révolutions arabes, sort du lot. Elle est même en train de réussir sa transition démocratique.
Bravo ! Quand le résultat s'est affiché, les députés et le public ont laissé éclater leur joie. La loi fondamentale a été adoptée à l'écrasante majorité de 200 députés sur 216. Ce score, bien supérieur aux 145 voix nécessaires, pulvérise toutes les projections. Soulagés, émus, les élus sont tombés dans les bras les uns des autres, ont chanté et rechanté l'hymne national, ont juré «fidélité aux martyrs».
La nouvelle a été accueillie par une pluie d'éloges de la part de la communauté internationale. Le secrétaire général de l'ONU, a salué «l'exemple tunisien», qui «peut être un modèle pour les autres peuples aspirant à des réformes».
«Une Constitution de la révolution, une Constitution du consensus, ni vainqueur ni vaincu, tout le monde est gagnant.» Ainsi est résumé l'esprit dans lequel a été rédigée la Constitution tunisienne. «Il existe en Tunisie une vraie capacité à trouver des compromis» : la société civile y pèse de tout son poids. Les solutions ont toujours jailli quand les situations semblaient bloquées.
Résultat de vingt jours de débats parlementaires sur les 146 articles de la Constitution, le texte final est jugé «excellent». Il concilie garanties en matière de libertés et souci d'ancrage de l'identité musulmane, et marque une grande avancée démocratique dans ce pays, qui aura, peut-être, valeur d'exemple dans le monde arabe, même s’il s'agit d'un texte de compromis dont il faudra voir l'interprétation à l'usage. Il comporte de avancées inédites, telle la liberté de croyance et de conscience. «Avoir le droit de changer de religion ou de ne pas en avoir, c'est tout à fait révolutionnaire pour un pays musulman !»
Jusqu'au bout, les élus ont ferraillé. De cet examen final, les garde-fous sortent renforcés. Le chapitre Droits et Libertés est conséquent. Le législateur aura un pouvoir très limité pour revenir dessus. Même si les prérogatives du Président ont été renforcées, l'équilibre du pouvoir continue à pencher fortement du côté du chef du gouvernement.
Le texte consacre les plus importantes libertés, les «droits acquis de la femme» sont gravés dans le marbre en reconnaissant l'égalité des «citoyens et des citoyennes». Il y a beaucoup d'autres dispositions positives : la décentralisation, la transparence… Les pouvoirs sont plutôt équilibrés. Cette Constitution permettra à la Tunisie d'être une démocratie, si la classe politique et le peuple s’y engagent.
Quelques déceptions néanmoins : telles la peine de mort qui n'est pas abolie et la liberté d’expression peu renforcée.
La transformation de la Tunisie est la démonstration de ce qui peut être réalisé quand des dirigeants sont prêts à faire des concessions sur leurs convictions respectives. Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'un compromis a longtemps paru introuvable entre le parti islamiste Ennahda et les partis laïques. Il fait avancer la Tunisie, par son contenu et, surtout, par la dynamique que son écriture a su instaurer. Il n'a pas seulement été écrit par l'Assemblée, de réels contrepoids dans la société ont su faire pression. Cela rend optimiste sur son appropriation future.
Avec ce vote, le pays tourne une page cruciale de sa transition. Il scelle également la sortie de la profonde crise politique ouverte par l'assassinat récent d’un député opposant.
La Tunisie est donc aujourd'hui posée sur un socle juridique démocratique, moderne et consensuel. Ce qu’elle a réussi peut augurer une percée dans le reste du monde musulman. Pourvu que ce soit contagieux !
La Constitution sera, bien sûr, sujette à interprétations et ne fera pas disparaître d'un coup de baguette magique les extrémismes, parfois violents et même terroristes, qui rêvent d'imposer d'autres normes. Mais une dynamique est créée qui doit permettre de s'attaquer aux problèmes cruciaux de la crise économique et sociale.
Quel sera l'avenir ? Plus que les mentions elles-mêmes, c'est donc la manière dont elles seront interprétées et appliquées par les futurs Parlements, gouvernements et surtout par les juges qui sera décisive. Le texte constitutionnel ne suffit pas à lui seul à garantir les libertés, il faut de surcroit mettre en place des mécanismes juridiques et institutionnels de protection et de contrôle.
Ce qui est indéniable, c’est qu’une nouvelle page s’ouvre pour le «laboratoire» du monde arabe.