COMPROMIS OU COMPROMISSION ?
Faute de trouver un consensus entre les acteurs de cette crise très complexe, la CEDEAO accepte, contre la volonté du peuple burkinabè, les oukases de Diendéré
Il est venu, il a vu, il n’a pas convaincu. En effet, Macky Sall, en tant que président en exercice de la CEDEAO, a rencontré les militaires dirigés par le général Gilbert Diendéré qui ont renversé le pouvoir de la transition burkinabè. Pourtant au moment où le président de l’instance communautaire rencontrait les putschistes pour trouver une solution de sortie de crise, les membres du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) tiraient sur les populations civiles qui revendiquaient la libération des membres du Conseil national de la transition séquestrées par les inconditionnels de Diendéré.
Après des 48 heures de négociations, sans les vrais acteurs de la transition, les médiateurs de la CEDEAO ont déclaré sous des airs triomphalistes qu’une issue heureuse était trouvée. Ainsi un protocole d’accord tournant autour de treize points (dont le retour au pouvoir du président renversé Michel Kafando, le départ du Premier ministre Isaac Zida très décrié par les militaires, une amnistie pour les putschistes, l’abrogation d'une loi votée cette été qui ordonnait l'exclusion de la course électorale de personnalités ayant trempé dans le tripatouillage de l’article 37 de la Charte fondamentale burkinabè et l’organisation d’élections générales au plus tard le 22 novembre) aurait été trouvé entre les militaires et les autres acteurs politiques et la société civile. Mais en réalité, ces points d’accord n’ont pas été proposés mais imposés par Diendéré et ses hommes, le fusil sur la tempe des médiateurs.
Diendéré en patron
Aujourd’hui le président Macky Sall essaie de transformer en succès l’échec de ces négociations rejetées in extenso par le peuple burkinabé. Ce dernier ne peut pas accepter que la révolution populaire d’octobre 2014, encore inachevée, soit poignardée par des militaires qui songent plutôt à conserver les passe-droits acquis sous le régime despotique de Blaise Compaoré.
Il est vrai que le retour aux institutions est un point focal des propositions-impositions mais cela ne peut s’instancier que dans la prise en compte, voire la mise en œuvre, de l’amnistie des militaires criminels, de l’inclusion des membres du CDP dans le jeu électoral, du départ d’Isaac Zida qui a toujours soutenu la dissolution du RSP, et leur répartition dans les différents autres corps de l’armée burkinabé.
Aujourd’hui faute de trouver un consensus entre les acteurs de cette crise très complexe, la CEDEAO accepte, contre la volonté du peuple burkinabè, les oukases de Diendéré. Si ce dernier, sous le prétexte de rectifier la transition engluée dans des erreurs afférentes à l’exclusion des membres du Congrès pour la démocratie et le peuple (CDP), parti de Blaise Compaoré, a mis un coup d’arrêt au projet transitionnel des acteurs de la Révolution d’octobre 2014, c’est surtout pour se protéger d’éventuelles poursuites judiciaires qui planeraient sur lui en cas d’élection d’un Président non issu du CDP.
Gilbert Diendéré, c’est l’homme-lige, le missi dominici, le cerbère de Blaise Compaoré. Fortement impliqué dans l’assassinat du Président Thomas Sankara en 1987 avec son mentor, Diendéré veut aujourd’hui, grâce à son putsch du 17 septembre dernier, s’exonérer de toute traduction devant une juridiction de jugement. Aujourd’hui que l’affaire Thomas Sankara est exhumée et que les premières rayons de lumière commencent à transpercer les interstices de ce crime longtemps enveloppé dans une gangue de mystères et de nébulosités et révéler les sicaires du premier président du Faso tels que Gilbert Diendéré, il serait inacceptable pour le peuple burkinabè que le Général putschiste soit amnistié de ses crimes avec la complicité de l’instance communautaire dirigée par Macky Sall.
Ce même Diendéré est cité dans plusieurs rapports des Nations unies sur des trafics d’armes illicites en Côte d’Ivoire en 2012, sur l’armement des rebelles ivoiriens dirigés par Guillaume Soro en 2008. C’est ce qui explique le mutisme complice des autorités ivoiriennes, hôtes du dictateur déchu Blaise Compaoré, lesquelles ont refusé de condamner le coup de force de Ouagadougou.
À ces exactions du chef de la junte putschiste s’ajoutent le transit d’armes ukrainiennes pour le compte de la rébellion sierra-léonaise de Fodé Sankoh dans les années 90, l’appui en logistique militaire à Charles Taylor en 1997. Dès lors une inculpation dans l’affaire Sankara faciliterait d’autres poursuites relatives aux exactions sus-évoquées.
Le laxisme de la CEDEAO
Si la décision du Conseil constitutionnel burkinabè excluant les tripatouilleurs de l’article 37 de la Loi fondamentale est retoquée, rien n’écarte une intrusion implicite et louvoyante du RSP dans le jeu électoral. Par une série de pressions et de manœuvres dans les zones rurales où le CDP reste encore solidement ancré, ces militaires du RSP peuvent peser sur l’élection d’un camarade de parti du président déchu. Et là ce serait le retour au pouvoir par procuration de Blaise Compaoré.
Indépendamment de cela, imposer les candidatures des membres du CDP rejetées par la haute instance juridictionnelle qu’est le Conseil constitutionnel burkinabé est un déni juridique. Au lendemain de l’invalidation de certaines candidatures aux élections générales (présidentielle, législatives et municipales) de 2015 sur la base des articles 135, 242 et 166 qui stipulent que «toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à tout autre forme de soulèvement, sont inéligibles», la Cour de justice de la CEDEAO avait affiché son désaccord.
L’instance déclarait : «L’exclusion d’un certain nombre de formations politiques et de citoyens de la compétition électorale qui se prépare relève d’une discrimination difficilement justifiable en droit» et que la modification du code électoral constitue «une violation du droit de libre participation aux élections». Par conséquent elle avait ordonné au Burkina Faso «de lever les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification». Mais l’instance juridictionnelle de la CEDEAO a mal appréhendé le code électoral burkinabè qui n’interdit point au CDP de présenter des candidats, à partir du moment où ceux-ci n’ont pas ouvertement soutenu le tripatouillage de l’article 37 de Constitution du Faso qui offrait une présidence à vie Blaise Compaoré.
D’ailleurs la Cour de justice de la CEDEAO ne s’est jamais prononcée sur ce tripatouillage avec son cortège de 31 morts tombés, lors de la révolution d’octobre 2014, sous les balles assassines des loyalistes de Blaise Compaoré.
Si aujourd’hui, dans le protocole d’accord de la CEDEAO qui doit être discuté à Abuja, Diendéré et ses ouailles demandent le départ des militaires de la transition avec en tête Isaac Yacouba Zida, c’est pour ne pas se voir dépouiller de leurs honneurs et privilèges que leur confère leur armée d’élite composé de 1200 éléments. La dissolution de cette soldatesque composée de cinq commandos surarmé, suréquipé, surentrainé et formé aux techniques de guerre et de libération d’otages dans le Centre national d’entrainement commando (CNEC) de Pô a toujours été réclamée par les autorités du Conseil national de la transition.
Si la crise burkinabè s’est exacerbée depuis la révolution d’octobre 2014, c’est à cause des maladresses juridiques de la Cour africaine de justice de la CEDEAO et du laxisme des chefs d’Etat de ladite instance.
Au moment où nous mettions sous presse cet article, trois colonnes de l’armée burkinabè provenant de l’ouest du pays (Dédougou et Bobo Dioulasso), de l’est (Kaya et Fada N’Gourma) et du nord (Ouahigouya) se dirigent ainsi vers Ouagadougou pour désarmer les éléments du RSP. Dans un communiqué, les chefs de corps des Forces armées nationales ont demandé aux militaires putschistes de «déposer les armes et de rejoindre le camp de Sangoulé Lamizana avec leurs familles où ils y seront sécurisés».
Et pendant que les chefs d’Etat laxistes de la CEDEAO gloseront sur des fariboles à Abuja, l’armée régulière burkinabè, peut-être, sera aux prises avec les putschistes si ces derniers ne font pas preuve, un tantinet, de sagesse en déposant les armes pour éviter tout bain de sang. Ce qui veut dire que le déplacement de Macky Sall et de Yayi Boni à Ouaga est un coup d’épée dans l’eau puisque l’armée régulière burkinabè, faisant fi de la médiation de la CEDEAO, a décidé de prendre en main le destin du pays des Hommes intègres.