COMPTE À REBOURS POUR 2017
LIMOGEAGE DU PREMIER MINISTRE AMINATA TOURÉ

Désormais, le Président Macky Sall s’attache à trouver un nouveau Premier ministre, le troisième en 27 mois de présence à la tête de l’état. Des noms sont avancés, Ahmet Dionne, patron du PSE, Boubacar Cissé le ministre du budget, entre autres. Mais, il est certain que le Président prendra son temps, pour faire un choix capital afin de disposer d’une carte maîtresse essentielle pour son avenir.
Le compte à rebours pour 2017 est bel et bien commencé. Mme Aminata Touré a été donc limogée, sans qu’on sache vraiment si son départ est assorti d’une proposition d’un point de chute. Comme SENEPLUS l’avait annoncé dès jeudi, les deux têtes de l’exécutif n’arrivaient plus à s’entendre sur la procédure de départ du Chef du gouvernement, Mme Touré s’attendant à un renvoi pur et simple et le Chef de l’État, préférant lui laisser l’initiative de la démission. Cette baballe ne pouvait durer plus longtemps. Le chef de l’État a donc pris la responsabilité de la démettre, même si l’assortiment, s’il existe, relève du domaine du secret.
Le verdict est donc tombé. Le calendrier républicain vient de faire son œuvre, impassiblement et inexorablement, comme le temps. Ce bras de fer puéril aurait pu être évité, si le Premier ministre avait accepté d’elle-même de se retirer, entraînant naturellement son gouvernement. Et… attendre d’être reconduite ou remplacée, selon la volonté de celui qui l’avait choisie pour ce poste. Le reste n’était que fadaises. Un baroud d’honneur superflu qui se dénantit d’une évidence de premier ordre : un Premier ministre est un fusible, qui peut sauter au moindre soubresaut, pour sauver la tête du Président.
Dans toutes les grandes démocraties républicaines, même monarchiques, c’est la règle d’or qui s’applique. Pour si prestigieux qu’il soit, avec ses pouvoirs, ses opportunités, ses lambris dorés et autres paillettes, ses rêves de grandeur, ce poste comporte aussi son revers de médaille, ses cauchemars, ses servitudes. C’est une dialectique inévitable dont la seule incertitude est la durée. Et c’est le Président qui constitutionnellement en décide, tout au moins dans les régimes pré-si-den-tiels, comme le nôtre.
Il est étonnant que Mme Touré puisse à ce point l’ignorer, jusqu’à s’engager dans une impasse pour n’en récolter que l’humiliation d’un limogeage, alors que la grandeur de la démission lui était offerte. Avec tous les honneurs. L’hommage que lui a rendu le Président, comme il sied en la circonstance, ressemble davantage à un requiem d’enterrement de première classe, qu’à une ode digne du Temple de Minerve. Trivialement, c’est cela qu’on appelle sortir par la petite porte (ou la porte dérobée, sans jeu de maux ! Pardon de mots).
Négocier un poste de substitution, avant de lâcher le morceau relève de l’indécence. Car, en dehors d’un poste à l’international, on se demande bien ce qui pourrait convenir à Mme Touré. En effet, elle ne pourra pas trouver une stature aussi importante que la Primature. L’Assemblée nationale (qui requiert un mandat électif), le Conseil Economique Social et Environnemental sont déjà occupés, respectivement par Moustapha Niasse et Mme Aminata Tall. Et pour satisfaire l’égo de Mme Touré, il faut bien plus qu’une position ministérielle, de haut fonctionnaire dans l’administration nationale ou la diplomatie. Peut-être dans les organisations internationales onusiennes, de la Francophonie où les places sont très disputées et exigent le déploiement d’un puissant lobbying et beaucoup de temps.
Pantalonnade et camouflet
Après seulement 10 mois de présence à la primature, cette défenestration prend l’allure d’une véritable pantalonnade pour Mme Touré. A défaut d’avoir eu le temps d’accélérer la cadence, elle voit son calendrier bouleversé et ses plans refoulés. Ce camouflet était prévisible. Après sa nomination à la Primature, nous avions bien écrit et prédit que loin d’être une promotion, son avènement correspondait bien à une mise à l’écart du ministère de la Justice, prélude à son éviction du gouvernement.
Il n’était un secret pour personne que le Président de la République et son Premier ministre ne partageaient plus les mêmes trajectoires. A plusieurs reprises, Mme Touré a mis sa démission sur la table en sa qualité de ministre de la Justice et même comme Premier ministre. Elle ne supportait plus les intrusions familiales et claniques dans les affaires de l’état. Toutes les procédures qui ont mené à la mise en œuvre du Projet Sénégal Emergent le montrent bien. Mme Touré en a été écartée au profit du ministre des Finances, Amadou Bâ, et du chef du Projet, le très proche M. Ahmed Dionne. Ses sorties laborieuses et postérieures à l’annonce du PSE, pour rattraper le train ressemblaient davantage à une simple formalité qu’à une réelle prise en charge d’un dossier qui est d’abord le sien.
La crise de l’eau, source de conflit
Autres sources de conflit au sommet de l’exécutif, le dossier de la crise de l’eau, pour laquelle, Mme Touré désigne un responsable, la Sénégalaise Des Eaux, (SDE). Mais, elle en méconnaît tous les soubassements et a pris trop de risques en indexant le DG de la société de distribution, M. Mamadou Dia, protégé du président de la République et des intérêts français.
Horripilée par les privilèges faits aux cercles religieux jusques y compris des principes constitutionnels et républicains, Mme Touré n’a pu cacher ses ressentiments au point de déclencher l’ire des marabouts peu enthousiasmés par son maintien à la Primature. Ils la trouvent distante et arrogante. Et ce, en dépit de sa présence symbolique aux cérémonies officielles des grands foyers religieux, à l’occasion du Magal et du Maouloud, notamment.
Le peu d’empressement que la Présidence et ses lobbies donnent à l’émergence des ruptures nécessaires en matière de gouvernance vertueuse a pu constituer une source de divergence, entre Mme Touré et le Président. Dans le même temps, le maintien d’une coalition hirsute et pesante, creuset de conflits et d’intérêts, n’était pas non plus du goût du Premier ministre.
Il se trouve aussi que les compétences de gestion du Premier ministre sont sujettes à caution, en dépit de ses diplômes en économie. Son profil correspondrait beaucoup à celui d’un ministre des Affaires sociales, à la lumière des intéressantes propositions qu’elle a faites pour promouvoir un traitement social de la pauvreté (bourses sociales, cartes de solidarité, couverture maladie universelle, etc.)
Mais, il en faut bien plus que ces mesures velléitaires pour relancer l’économie sur de solides agrégats et atteindre une croissance structurante. Et non, le très faible coup de pouce donné à la consommation des ménages les plus faibles.
Il était grand temps de mettre fin à cette dichotomie persistante au niveau de l’exécutif, car cela ne pouvait durer plus longtemps. C’est donc heureux que le Premier ministre parte pour la bonne et simple raison qu’elle a perdu la confiance du chef de l’État dans la conduite des affaires du gouvernement. C’est un principe simple à comprendre dans la marche républicaine.
Sa défaite à Grand-Yoff n’en est que l’élément déclencheur. Cette déconvenue prévisible affecte son image et peut gêner l’exercice de sa fonction. Le Président Macky Sall doit aussi comprendre que son image personnelle dégradée et la désespérance qui touche les Sénégalais ont largement influé sur la défaite de sa coalition dans les grandes villes. Et ce malgré sa large victoire sur l’ensemble du territoire. Au bout du compte, une victoire à la Pyrrhus au goût, très amer.
Sans doute, après le départ de Mme Touré, d’autres déchirures, aussi profondes se déclareront. C’est une nouvelle ère pleine d’incertitudes qui commence pour le Président. Le compte à rebours pour 2017 est déjà lancé… Une nouvelle donne, appelée Khalifa Sall est déjà dans le jeu. Mais, il se pourrait bien que Mme Touré n’ait pas dit son dernier mot.