"CORPS ACCORD"
EXPOSITION D’AGNÈS THEUREAU AU VILLAGE DES ARTS
Depuis le 23 octobre, l’artiste française Agnès Theureau expose à la Galerie Léopold Sédar Senghor du Village des Arts. Fruit de trois années de recherche, cette collection d’œuvres s’intitule Corps Accord. L’artiste, qui peint depuis plus de 30 ans, vit à Dakar depuis une dizaine d’années. Son pinceau, ce sont ses doigts, parce qu’elle aime toucher, sentir, surtout la peinture à l’huile. L’histoire de ses œuvres, elle, se superpose au fil de ses journées, entre Yarakh où elle s’est installée, les marchés qu’elle connaît, les femmes qu’elle y rencontre et le reflet de ses origines. L’expo se poursuit jusqu’au 8 novembre.
C’est en passant par Bamako où elle a vécu un peu plus de trois ans, que l’artiste-peintre française Agnès Theureau est arrivée à Dakar, au Sénégal, où elle vit depuis 13 ans maintenant. Mais ses débuts d’artiste, c’était il y a 35 ans. Son parcours artistique commence alors qu’elle est toute petite. Elle s’amuse à jouer avec la terre, elle façonne, elle touche… Il faut dire qu’on se touche tout autant sur ses toiles. On pourrait songer que c’est de là que vient l’intitulé de son expo, Corps Accord, mais pas vraiment, dit l’artiste. Elle explique qu’il y a le corps, dans sa nature formelle, matérielle ; il y a aussi le corps en ce qu’il est fond, harmonie…accord.
Son œuvre a naturellement quelque chose de charnel, et ses personnages ne sont jamais bien loin les uns des autres. Leurs mains se frôlent ou se touchent, tandis que leurs corps enlacés dansent parfois au rythme d’une salsa dont on imagine la mélodie, même sans la légende qui accompagne l’image. Dans le décor, quelques silhouettes anonymes se perdent ou se cachent.
Pour trouver l’inspiration, l’artiste n’a pas eu besoin d’aller bien loin. Son œuvre est une ballade, une sorte d’aventure du quotidien entre les ruelles de Dakar, et chacune de ses peintures ferait presque songer à une carte postale. On y retrouve par exemple la vie grouillante de Yoff, la routine des villages lébous comme celui de Yarakh où elle vit, et qu’elle ne se lasse pas de découvrir.
Son œuvre est peuplée de femmes, parce que, comme elle dit, elle en est «une tout simplement», même si elle se défend d’être féministe. Ce qui l’impressionne encore, c’est cette façon qu’elles ont parfois de s’accrocher à leur coquetterie, comme à un dernier rempart. A cette part d’elle-même, quand bien même elles seraient vendeuses de poisson : de la prestance et de la tenue, quoi qu’il en soit. Les bijoux clinquants qui pointent le bout du nez sur ses toiles ont peut-être quelque chose d’assez emprunté, de décalé, comme s’ils n’étaient pas vraiment à leur place, mais c’est sans doute là tout le charme de la scène.
Et quand on prend le temps de faire le tour de la galerie, on a comme l’impression qu’Agnès Theureau est née dans une bulle bleue, parce qu’il y a de l’eau presque partout : l’azur de l’océan, le rose d’un certain Lac qu’elle dit connaître sur le bout des doigts, ou alors quelques pirogues attendant sagement sur le rivage. Ces œuvres-là, lorsqu’elles prennent l’eau, expriment, comme elle dit, toute l’atmosphère que l’on ressent quand on est à Dakar, et qui joue forcément sur notre manière de vivre.
Si dans son village lébou de Yarakh, son regard croise souvent le grand bleu, la Française n’en a pas oublié pour autant ses origines flamandes de Bruges, en Belgique. Sur ses toiles, cela donne un ciel engourdi, encore assombri ou assoupi, comme les brumes du Nord qu’elle peignait lorsqu’elle était encore à Lille en France.
Lorsqu’elles ne prennent pas l’eau, ses peintures se jouent des clichés. Dans les rues de Dakar, les petits mendiants voient le monde d’en haut, un peu comme s’ils étaient les maîtres de l’univers. Curieux, sans doute, mais Agnès Theureau explique qu’elle «refuse de faire de la misère de tout.» Un jour, se dit-elle pourtant avec lucidité, ses petits personnages redescendront peut-être de leur piédestal, tendront encore la main, mais il ne faudrait pas que cette situation serve «à décrire le Sénégal». Dans ces histoires parfois un peu glauques, elle en a connu des happy ends à l’américaine.
Entre ses peintures, l’artiste a glissé quelques dessins au crayon, bruts et sans retouches sur les contours, des nus pour l’essentiel, faisant du spectateur l’intrus privilégié qui a eu la chance de se faufiler chez l’artiste et de s’être trouvé là, au premier «coup de pinceau».