DÉCODEURS ET PIRATAGE DE TÉLÉS CABLÉES
PLUS DE 10.000 CÂBLOS AU SÉNÉGAL
Ousmane est ce qu’on pourrait appeler un reconverti du piratage. Durant plusieurs années, ce quadragénaire a retransmis des images de Canal+ avec dit-il « la complicité sinon le laisser-aller de la dite chaine ». « Ce phénomène n’est pas du tout nouveau car Canal+ avait pendant longtemps privilégié la négociation et nous avait à l’époque proposé des factures dits de « type piratage ». Face à la récurrence des arrestations et autres saisies de matériel, il a mis en place avec des collègues depuis 2011, la Société distribution de télévisions par câbles et services (Sortec).
Aujourd’hui, il dit exercer son activité en toute légalité. Dans une chambrette-studio au fond du couloir, se trouve son local où un de des employés zappe de temps à autre sur une bonne dizaine de décodeurs. Reliés à câbles qui slaloment entre les bâtiments et narguent l’architecture de son quartier, son « rézo » couvre toute la cite Fadia. « La câblodistribution est aujourd’hui une activité qui est soumise à la signature d’une convention de concession annexée d’un cahier de charges. Nous avons signé avec le ministère de la communication afin de mener l’activité dans la légalité. Partout où vous allez au Sénégal l’activité s’est développée. C’est au même titre que Canal +, Delta net tv, Excaf, que nous avons signé une convention », se défend Ousmane Diouf en exhibant fièrement sa décision « d’agrément en qualité d’installateur d’équipements radioélectriques », signée par l’Artp en Février 2013.
Depuis, Ousmane distribue sauf Canal. Et pour cause la chaine française est exclusive et n’autorise personne à reprendre son signal. « Canal+ n’a donné à un aucun « câblo » l’autorisation de reprendre son signal dans le câble encore moins de la redistribuer. Ce sont certains câblos qui ne nous mettent pas à l’aise. On fait toujours appel aux gens pour qu’ils viennent se régulariser. Canal + a parfaitement raison de poursuivre ceux qui diffusent ses images via le câble. Vous devez être en phase avec les éditeurs qui vendent leurs images aux opérateurs. Si vous ne le faites pas vous êtes hors la loi. Toujours est-il qu’il y a des câblodistributeurs qui exercent dans la légalité ».
Fier de représenter environ 3500 « câblos » à travers tout le Sénégal, Ousmane voit l’avenir de son activité en rose et dit tout souriant « C’est une activité pleine d’avenir et nous contribuons énormément à la démocratisation et à l’accès de l’information dans les contrées les plus reculées de ce pays ». Quand la pauvreté crée l’argument qui vise à avaliser la rhétorique de l’illégalité qu’on doit accepter…
Un vide juridique et réglementaire !
Pas moins de 10.000 câblos auraient pignon sur rue dans la capitale sénégalaise et à l’intérieur du pays. Pour l’essentiel ils commettent leurs forfaits à l’aide des décodeurs de Canal+ mais surtout avec ceux de l’opérateur Excaf. Aujourd’hui, la lutte contre ce fléau est délicate : le piratage alimente le secteur informel et les pouvoirs publics hésitent toujours à sévir. Pourtant, tous s’accordent que l’un des enjeux majeurs de l’audiovisuel, est de disposer de plus en plus de programmes de qualité. Pour y parvenir, il faudrait auparavant combattre le cancer du piratage, de cette fraude en se dotant d’un cadre réglementaire.
Cependant, les autorités semblent à ce jour, dépassées par le phénomène. Le piratage est en effet devenu un secteur d’activité (informelle) à part entière qui profite d’une évolution technologique et face auquel les opérateurs « qui jouent à la régulière » plaident et prêchent…dans le désert. « La première lutte va en direction des câblos parce que des citoyens sénégalais en toute bonne foi pensent s’abonner légalement et régulièrement chez des gens qui sont des pirates. On n’a plus besoin d’être dans l’illégalité pour avoir accès au divertissement et à la télé payante. C’est dans cet effort qu’on essaie de faire comprendre aux gens que le piratage est un fléau, qu’il est dangereux et qu’il coûte cher au Sénégal », insiste Mme Ngom de Canal+. « Le cadre juridique ne s’y prête pas toujours en Afrique. C’est ce qui donne cette impression d’inaction. N’empêche, aujourd’hui on ne peut plus fermer les yeux sur ce fléau, il faut sensibiliser les gens. Ainsi, tous les éléments du système, du créateur au distributeur, tous les détenteurs de propriété intellectuelle doivent pouvoir jouir de leur labeur. Sans oublier l’Etat qui pourrait élargir par là son assiette fiscale », ajoute t-elle.
Aujourd’hui, tout le monde gagnerait à ce que le Sénégal dispose d’un cadre réglementaire afin que tous les acteurs se retrouvent dans leur activité et leurs investissements. Pour exemple, au Maghreb, le groupe Canal+ a dû fermer boutique en 2011, victime du vampirisme du piratage. Le remake est-il possible au Sénégal ?