DAKAR SUBMERGEE PAR LE CULTURISME OU BODYBUILDING
PROLIFERATION DES SALLES ET AIRES DE MUSCULATION EN PLEINE VILLE
Au Sénégal, on constate, de plus en plus, une grande participation de la population dans les différentes activités physiques. Il en est ainsi de la musculation, pratiquée en salle et, aujourd’hui, en plein air. Appelé culturisme ou bodybuilding, ce phénomène gagne tout le pays. Ainsi, Dakar se voit submergée par la prolifération de ces salles de musculation
En ce début de 21è siècle, nous assistons à une pratique importante des activités physiques. Certainement, pour être plus ou moins beau et fort, pour avoir à la piscine et à la plage un «look d’enfer», les muscles saillants de «Balla Gaye 2», les pectoraux de «Modou Lo», les triceps de «Bombardier» ou simplement la recherche du bien-être corporel. Cette recherche d’un corps de rêve, comme disent les jeunes filles, par des activités physiques variées, est devenue une préoccupation qui semble être assez partagée dans notre société.
C’est ainsi que les hommes ont tendance à s’orienter vers la musculation. Il y a encore quelques années, l’on pouvait compter les salles de musculation dans la capitale. Aujourd’hui, ces salles de musculation fleurissent d’une manière exponentielle dans la ville de Dakar et sa périphérie. Un tour dans différents quartiers de Dakar a permis de constater une multitude de salles de musculation, pour ne pas dire de fitness clubs. Et, à défaut de salles, ce sont des espaces qui sont aménagés et réservés à la musculation.
Sur les plages de Dakar, les parcours sportifs, les terrains vagues des quartiers, dans un coin de la maison ou sur la terrasse… tout endroit est bon pour poser un ou deux appareils et des accessoires de musculation, professionnels ou artisanaux.
Cependant, par rapport aux décennies précédentes, le nombre de salles de fitness, ainsi que l’effectif des populations pratiquantes ne cessent de croître, au point qu’on parle de fréquentation massive des salles, dont il faudra trouver les raisons. C’est ainsi que l'on trouve à Grand-Yoff, aux Parcelles assainies, aux Hlm Rail-Bi, à la Médina, à Liberté VI, à Sodida, en face du stadium Marius Ndiaye, au Lagon, à l’immeuble Kébé, à côté de l’hôtel Savana, entre autres salles de musculation. Et à défaut de ces salles, ce sont des espaces qui sont aménagés «en plein air» pour se faire des muscles. En ce sens, il faudra citer, entre autres lieux, la corniche ouest, le terrain des Hlm Grand-Yoff, le parcours sportif des Hlm, le terrain de la cité Alié Diène de Yoff, l’esplanade qui fait face à la Sde de Liberté 4, etc. Des lieux régulièrement pris d’assaut par les adeptes du culturisme ou bodybuilding
Les moniteurs de fitness mettent en garde les pratiquants
Pour avoir un beau corps, solide, musclé et une poitrine menaçante, les jeunes hommes versent dans le culturisme. Cette fréquentation massive des populations de ces espaces réservés à la musculation s’explique, d’après Pierre Tendeng, moniteur dans une salle de musculation dénommée «Kane Fitness Center », située à Grand-Yoff, par le contexte actuel marqué par la lutte qui commence à prendre de l’ampleur. «Pour ceux qui veulent devenir lutteurs, les salles de musculation sont le recours inévitable pour développer leurs muscles», fait savoir Pierre Tendeng. Ce dernier d’ajouter que ce phénomène, outre le contexte de la lutte, est accentué par le fait que beaucoup de jeunes ont compris que la musculation pourrait vraiment les aider aussi bien sur le plan psychologique, que physique.
En effet, explique Pierre Tendeng, la moyenne d’âge des gens qui fréquentent les salles de musculation varie entre 18 ans et 60 ans. Et, atteste-t-il, pour chaque tranche d’âge, il y a un programme bien spécifique. «Ceux qui sont âgés entre 18 ans et 30 ans sont surtout attirés par la musculation appelée aussi le bodybuilding ».
Mais, souligne Pierre Tendeng, «le grand problème ce ne sont pas ces jeunes qui ont installé de façon clandestine leur salle de musculation ». Car, fait-il remarquer, «nous tous, nous avons été une fois dans ce genre de salle. Le problème est que ces jeunes gens ne suivent pas de programme, alors que dans les salles de musculation, il y a un programme bien déterminé qui est ficelé pour un développement musculaire ou un changement».
En ce sens, il conseille, en tant que moniteur de fitness, de se faire établir un programme d’entraînement bien ficelé, de suivre un bon régime alimentaire et de se faire suivre par un bon moniteur qualifié.
La musculation, pas à la portée de tout le monde
Ce qui d’ailleurs fait dire au gérant du «Centre sportif de Rahma Damba Fitness» sis aux Parcelle assainies unité 22, Pape Saliou Diop, que «dans toute chose, si tu ne la maîtrises pas, si tu n’as pas quelqu’un qui te guide, tu baignes dans l’erreur, surtout dans le sport».
D’après Pape Saliou Diop, «c’est très dangereux de faire de la musculation. Tout simplement parce que ce n’est pas à la portée de tout le monde de savoir comment on fait». C’est pourquoi, renseigne-t-il, «nous prenons le soin de demander aux gens leur poids, leur taille, le but visé. Dans notre centre, il y a d’ailleurs la visite médicale qui est obligatoire pour que les médecins puissent les évaluer de temps à temps».
Pour ce qui est de la prolifération des salles de fitness, Pape Saliou Diop trouve que c’est normal et c’est même à saluer. D’après lui, le Sénégal est pourtant en retard dans ce domain. «On ne fait pas la promotion du sport au Sénégal. On devait prôner le sport pour tous dans ce pays. Car, si c’était fait, on aurait eu déjà dans les année 70 une multitude de salles de musculation», souligne-t-il
Les pratiquants parlent de «boom de la musculation»
Ils sont nombreux à fréquenter les salles de musculation. De toutes les catégories sociales, de tous les âges. Certains font de la musculation pour leur santé et d’autres pour la beauté de leur corps. Comme c’est le cas d’Emma Diatta. Cette jeune dame qui habite la Cité Soprim fréquente les salles de musculation depuis maintenant plus d’une semaine.
La raison de sa présence dans ce genre d’endroit, elle l’explique par le souci de travailler ces abdominaux. «J’ai choisi de venir faire de la musculation, particulièrement de travailler mes abdominaux. Car c’est bon pour la santé», atteste Emma Diatta que nous avons trouvée dans une salle de musculation sise aux Parcelles assainies et qui dit vouloir «enlever toute la graisse qui se trouve en (elle)». Ibrahima Diallo confie que cela fait plus de sept mois qu’il fait de la musculation. Ingénieur, ce jeune homme d’une trentaine d’années trouvé en train de faire du vélo dans une des nombreuses salles de fitness de Grand-Yoff, indique faire de la musculation pour «maintenir en forme mon corps. Mais je sais que d’autres le font parce que c’est le boom de la musculation».
Une vision que partage largement Ibrahima Kane, moniteur de fitness. «Cela fait 5 ans que je fais ce travail. Mais je peux vous garantir qu’il y a des mecs qui viennent développer leur masse musculaire simplement parce que les filles aiment les gens musclés».
Les salles de musculation, lieu de fabrication de gros-bras
Ce qui fait d’ailleurs que, depuis un bon moment, beaucoup de jeunes qui n’ont pas de travail passent le plus clair de leur temps à faire du bodybuilding. Dès lors, une fois leur masse musculaire augmentée avec, comme disent les filles «des tablettes de chocolat bien à leur place», ils usent de leur force pour devenir soit des lutteurs, soit des videurs dans des boîtes de nuit, soit pour faire du mal. A ces gros-bras, le moniteur Ibrahima Diallo leur conseille d’aller trouver du travail. «On ne s’entraîne pas pour faire du mal, on s’entraîne pour la santé, pour la mise en forme», fait-il savoir.
Abondant dans le même sens, Bernard Mendy, moniteur de fitness aussi de reconnaître : «Beaucoup de gens fréquentent les salles de musculation pour faire le métier de videur ou pour agresser les gens. Si on forme des gens musclés, ce n’est pas pour qu’ils aillent faire du mal». Profitant de l’occasion, Bernard Mendy lance un appel à l’Etat du Sénégal : «Je demande à l’Etat du Sénégal d’assister ces jeunes. Ils sont tellement nombreux à fréquenter les salles de musculation, alors que beaucoup d'entre-eux n’ont pas de travail». Et d’après Bernard Mendy, «l’Etat doit prendre ces responsabilités avant que les choses ne dégénèrent».
CHEIKH SECK, KINESITHERAPEUTE - «un muscle, on ne le brusque pas, on le prépare»
La musculation est un exercice dangereux. Elle ne doit pas être faite n’importe comment, ni n’importe quand. Il y a des règles à suivre. C’est du moins ce qu’a fait savoir le président de l’Association sénégalaise des kiné-sithérapeutes et rééducateurs, Cheikh Seck. D’après lui, les gens font du renforcement musculaire, mais ils ne font jamais d’étirements.
Alors que, explique t- il, «si vous renforcez et que vous ne vous étirez pas, à la longue, il n’y aura plus d’équilibre. Et ça peut avoir des conséquences graves». «Si vous faites de la musculation, vous sollicitez le muscle. Et quand vous sollicitez le muscle et que vous ne faites pas une préparation physique, cela peut entraîner une mauvaise souplesse des muscles», renseigne-t-il. En ce sens, il déclare : «Un muscle, on ne le brusque pas, on le prépare».
Pour cela, insiste-t-il, «il faut faire un échauffement en vue de réveiller le muscle pour le préparer avant de le solliciter. Donc, si vous ne le préparez pas, la souplesse que le muscle devrait avoir va se contracter par des contractures. Cette contracture du muscle peut entraîner des accidents, genre élongation, déchirure musculaire, rupture du muscle…»
Toutefois, souligne le kinésithérapeute, il y a des gens qui font du renforcement et qui renforce tout le haut du corps et laisse de côté le bas du corps. Ce qui fait qu’en haut, ils sont extrêmement forts et en bas, il n’y a rien». Ce phénomène, à l’en croire, est récurrent dans la lutte. «En voyant les lutteurs, ils ont une belle corpulence en haut, mais si vous touchez leurs jambes, pratiquement ils tombent parce qu’ils n’ont pas travaillé cette partie du corps. Alors qu’il doit avoir une harmonie dans le travail du corps. De la tête jusqu’au pied», affirme Cheikh Seck.
Sur ce, pour mieux se faire comprendre, le spécialiste de dire : «Si vous travaillez le bras et que vous ne travaillez pas les jambes et le bassin, ça peut créer des dérèglements. Il y a une partie du corps qui va supporter la partie supérieure et cette partie du corps qui est la partie basse doit avoir un équilibre par rapport à la partie haute pour pouvoir permettre au corps de faire la chose normalement».
Par ailleurs, en bon kinésithérapeute, il souligne que «dans les salles de musculation, la récupération est relevée au second plan. On a vu ce qui est arrivé à Eumeu Sène. Les gens ont tendance à renforcer leur muscle et quand vous renforcez beaucoup plus le muscle, vous perdez votre souplesse».
D’après Cheikh Seck, un mois avant le combat, on doit même plus faire de musculation. On doit travailler la souplesse. Parce que, relève-t-il, «un lutteur c’est quelqu’un qui se déplace, ce n’est pas quelqu’un qui soulève un poids. C’est la souplesse qui le fait gagner».