DANS L'INTIMITÉ DES ''COULOIRS DE LA MORT''
SERVICES D’URGENCE DANS LES HÔPITAUX DE DAKAR
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La prise en charge des patients aux urgences dans les hôpitaux publics de Dakar crée beaucoup de frustrations. Un service bondé, une prise en charge tardive, des médecins accusés de déficits de courtoisie. Bref, un accueil aussi malade que les patients qui ne cessent de se plaindre. A qui la faute ?
Hôpital général de Grand Yoff (HOGGY). Il est presque 20 heures. Tout est calme. On n'entend que les chants des cigales. La lune éclaire le chemin sombre qui mène aux Urgences. Après une dizaine de minutes de marche, une grande lumière attire l’attention.
Nous sommes au service des urgences. Le lieu est noir de monde. Certains accompagnants sont assis sur les bancs, d'autres préfèrent se tenir debout. Les médecins sont dans la salle d’accueil et de soins. Une heure d'attente suffit pour vivre l'ambiance habituelle des lieux.
À 21 heures, deux voitures arrivent en trombe. Des mécaniciens y descendent. Presque une dizaine avec leur tenue de travail bien tachetée d'encre et d'huile. Ils transportent un malade qu'ils conduisent directement à la salle de soins.
Le patient s'est évanoui. ''Il a fait un accident de travail au moment où l'on réparait une voiture. La voiture a pris feu et le fil qu'il tenait l'a électrocuté'', explique indiscrètement son camarade à une dame venue accompagner son fils. ''Oh massa way! (le pauvre !)'', lance la dame.
À leur arrivée, les mécaniciens n'ont pas voulu s’asseoir. Ils font des va-et-vient dans le couloir. Visiblement exténués et stressés. Le téléphone portable sonne régulièrement et ils répondent pour renseigner parents ou collègues. A un moment, l’un d’eux se dirige vers la fenêtre de la salle de soins et surveille son collègue qui est en train d'être pris en charge.
L'attente devient de plus en plus longue. Ils sont impatients. Finalement ils se sont tous installés devant la porte de la salle. Le médecin leur demande de quitter les lieux, mais c’est sans compter sur leur détermination. Les minutes passent. Longues... La nuit se prolonge dans la tension. L’attente anxieuse aussi.
22 heures passés, un homme venant de la salle rompt le silence. Tout le monde se demande ce qui se passe. Djibril se dirige encore vers la fenêtre. Soudain, il enferme la tête dans ses deux mains. ''C'est fini. Il est parti'', soupire-t-il à son groupe.
Mais les autres ne le croient pas. Cinq minutes plus tard, un médecin sort de la salle avec un corps couché sur un brancard et couvert d'un drap blanc. Les cris fusent de partout. Aliou ne parvient plus à se tenir sur ses jambes. Deux de ses camarades le soulèvent. Un mort déjà aux Urgences de HOGGY. Cela se passe ainsi tous les jours...
Des médecins pas du tout courtois
Au moment où les mécaniciens pleurent leur ami, une jeune fille tombe de l'autre côté. Les accompagnants qui sont allés la secourir font fait appel à un médecin. Mais personne ne sort de la salle. Un brancardier vient les joindre. C'est après qu'un infirmier arrive et ils l’emmènent dans la salle.
Pendant que l’infirmier en question se dirigeait vers la salle, tenant les béquilles de la dame, un autre malade l'intercepte. Ce dernier a fait une fracture et n'arrive toujours pas à recevoir des soins. ''Ce n'est pas normal. Je souffre et vous ne voulez pas me soigner. J'ai duré ici et j'ai mal'', rouspète-t-il. L'infirmier lui demande d'entrer dans la salle. Quelques minutes après, il ressort avec une main bandée.
Assise sur le banc, Soukeyna Diop n'arrête pas de se plaindre. Même si elle n'a pas voulu donner son âge, elle est d'un âge avancé. ''Tout à l'heure un monsieur est passé, il est entré dans la salle et ils l'ont vite pris en charge. Alors que son cas n'était pas aussi urgent. Il y a des cas plus urgents et on les néglige. C'est un service d'urgence qui ne l'est que de nom. Au lieu de soigner, ils demandent de l'argent. C'est une grande injustice. En plus, les médecins ne sont pas courtois'', tonne-t-elle.
«Service des lenteurs et non des urgences»
Bien attaché dans le dos de sa maman, Fallou Gallas, un bébé de 14 mois, est venu avec sa maman accompagner sa grande sœur. Le regard innocent, jouant avec le greffage de sa mère, il ne comprend rien du décor. A un moment donné, il arrête tout et essaye d'écouter les lamentations de sa maman qui, depuis 20 heures est arrivée sur les lieux avec sa fille Codou Dieng qui souffre de maux de ventre. Elle n'est toujours pas prise en charge par le personnel médical.
''Depuis qu'on est arrivé, on a juste pris sa tension. Elle est couchée sur le lit et on ne s'occupe pas d'elle. Le service est très lent. Je crois qu'on doit changer d’appellation pour dire service des lenteurs et non des urgences. On est là depuis 20 heures. Regarde l'heure qu'il est. (Il était 23h 30). Je jure que si quelque chose lui arrive, ils vont le payer très cher même'', menace-t-elle, avec un ristus difficile à cacher. Seulement, le personnel médical qui est dans la salle ne sait rien de ce qui se passe dehors. Les accompagnants se plaignent, mais personne ne les entend.
Dantec remporte le pari
Autre endroit, même réalité. À l'Hôpital Aristide Le Dantec, le service des urgences est à l’intérieur, tout au fond à gauche de l’entrée principale après le service d'Urologie. Patients et accompagnants sont assis, certains dans la salle d'attente de l’intérieur, et d'autres dans celle de l’extérieur. Chacun attend son tour impatiemment.
''Trop c'est trop!'' lance Mariétou Diène. ''Mais il faut entrer! L’enfant est très fatigué. Il faut le signaler'', lui conseille un monsieur assis à ses côtés. ‘’On est en urgence. Elle n'a pas à signaler quoi que ce soit. Ils devaient le prendre sur-le-champ quand il est arrivé'', rétorque Sylvain Ndiaye qui attend son malade. 'Tout à l'heure, j'ai failli en venir aux mains avec cet arrogant'', ajoute-t-il.
Ali Ndour (7ans) n'arrête pas de pleurer. Des pleurs qui irritent son père. Il se lève d'un coup et fait irruption dans une chambre où se trouve le médecin. ''Mon fils n'arrête pas de pleurer. Nous sommes ici depuis 35 minutes et personne n'est venu nous voir'', s’époumone-t-il. ''Vous avez trouvé des gens ici. Ce n'est pas à toi de nous dire ce que nous devons faire'', objecte le médecin. Pour ne pas perdre du temps, le père de famille part avec son enfant à l’hôpital principal.
Une scène qui a soulevé l'ire des gens sur les lieux. Et chacun de disserter sur les mille et une souffrances qu'il endure aux Urgences de l'hôpital A. Le Dantec. ''C'est partout difficile. Mais Dantec est pire. Dans les autres hôpitaux, les médecins parlent au moins avec les patients. Mais ici... Ce n'est pas normal qu'un malade passe plus de 20 minutes à attendre. Et si le patient meurt ils n'auront que leurs gros yeux pour regarder. L’Etat doit prendre des mesures strictes pour lutter contre cette situation'', fustige Salimata Diarra.
''Porter plainte contre les médecins''
'L’hôpital principal ne déroge pas à la règle, même si par ailleurs il affiche un bien meilleur visage. Juste à l'entrée de ce service, un tableau sur lequel sont notés les critères d’accueil et de prise en charge des patients est fixé à droite sur le mur. En face, se trouve la cellule d’accueil. Dans ce bâtiment, la prise en charge se fait par ordre de priorité. C'est-à-dire du plus urgent au moins urgent. Tout ceci est visible sur le tableau.
Pour la prise en charge, les médecins se basent sur certains paramètres. Il y a l'urgence absolue. C'est-à- dire les malades qui ont des saignements, ou des crises d’asthme. Ensuite l'urgence potentielle qui concerne les malades dont la maladie peut se compliquer d'un moment à un autre. Puis l'urgence différée. Elle concerne les malades qui prennent les premiers soins et qui peuvent attendre. Et enfin l'urgence dépassée c'est-à-dire les cadavres.
''Trois box pour les examens, c'est très peu''
Il est 20 heures à notre arrivée dans ce service d'urgence. L’infirmier de garde n'y était pas. Des patients sont assis sur les deux bacs, attendant d'être pris en charge. Un vieux assis à côté semble être fatigué. Il respire de toutes ses forces. À côté de lui, le petit Cheikh engouffré dans sa demi-saison de couleur marron porte sa main droite. Il est tombé pendant qu'il jouait au football.
Quelques minutes après, l'infirmier de garde sort d'un des box. ''J'aidais le médecin à faire les premiers examens. C'est ce qui explique mon absence'', se justifie-t-il. Jérôme Gning, puisque c'est de lui qu'il s'agit, met un thermomètre sous les assailles du vieux qui se tordait de douleur et, entre à nouveau dans le box.
Un autre malade arrive accompagnée de sa femme. Cette dernière se dirige vers la cellule d’accueil et ne voit personne. Le médecin Sougouti Ibrahima et Jérôme sont en train de faire les soins. ''Mais il n'y a personne pour accueillir les malades ? Qui est là? demande-t-elle. Jérôme sort et l’accueille.
Il est débordé dans son travail. Il s'essouffle. Le vieux ne parvenant pas à s’asseoir se couche sur le banc. Il y avait du monde dans les box et un seul médecin fait les premiers soins. Ce qui ralentit le travail. Le déficit est personnel est criard.
Un seul médecin pour les consultations
A 22 heures, les patients arrivent au compte-gouttes. Ils attendent que les box se libèrent pour faire les premiers examens. Certains sont compréhensifs, mais d'autres restent catégoriques. C'est le cas de ce vieux qui a amené sa femme qui souffre de maux de ventre. Ce dernier déplore l’insuffisance de box et du personnel.
'' Trois box pour tout un monde. C'est minime. En plus, il y a un seul médecin qui fait les consultations. Ce n'est pas suffisant. On devrait mobiliser plus de personnes la nuit. L'infirmier et le médecin sont débordés. Ils ne peuvent pas faire le travail tout seul'', déplore t-il.
Selon lui, les rideaux attachés sur les box sont sources de microbes. ''Il devrait y avoir des portes et non des rideaux. En plus, il n'y a pas de draps sur les lits de consultation. C'est anormal ça'', clame notre interlocuteur.
De 19 heures à 23 heures, Jérôme Gning et Sougouti Ibrahima ont reçu 13 patients. ''Nous recevons plus de malades la nuit. La plupart, c'est des urgences vitales, c'est-à-dire absolues, que nous recevons'', confie-t-il.
Cette équipe du soir est constituée de trois médecins et quatre infirmiers. Un seul médecin et un infirmier se chargent de l'accueil et des premiers examens des patients. Les autres sont à l’intérieur, faisant d'autres tâches.
Dans les services d'urgences des hôpitaux le soir, le travail du personnel médical ressemble plus au supplice de Sisyphe qu'à un vrai boulot de sauvetage de vies...