DE L’AMÉLIORATION DE LA CONDITION ENSEIGNANTE AU SÉNÉGAL

Quelles mesures pour la paix scolaire et la restauration de la qualité chez l’enseignant ?
La plupart des diagnostics sérieusement effectués sur les problèmes de l’école sénégalaise, ont tous révélé que les nombreux dysfonctionnements à l’école et la crise profonde à laquelle le système tout entier est confronté sont, essentiellement, liés à la dévalorisation de la profession enseignante dont la responsabilité est à imputer aux régimes précédents, à travers la politique de recrutement irrationnel et arbitraire du volontariat et de la vacation, qui a gravement porté préjudice à la profession enseignante et contribué à la dégradation de la qualité des enseignements-apprentissages.
La banalisation du métier, le manque ou l’insuffisance de la formation, ainsi que les mauvaises conditions de vie et de statut, ont plongé les enseignants dans un état psychologique et mental totalement défavorable à la performance et, par voie de conséquence, à la production de résultats satisfaisants.
Pis est que, aujourd’hui, au Sénégal, l’enseignement est considéré comme une fonction de tremplin, car nombreux sont des enseignants qui disent exercer la profession en attendant de trouver mieux. La profession est assimilée à la pauvreté, à la misère et ne bénéficie d’aucune considération de la part à la fois des autorités et de la société.
Dans un article publié antérieurement, nous avons montré que cette perception est tout à fait nouvelle, car l’enseignement était, autrefois, au Sénégal, un métier prestigieux qui n’était pas dévolu à n’importe qui. L’enseignant était un fonctionnaire choyé et respecté. Il appartenait à un corps d’élite dont les membres étaient triés sur le volet à l’issue de concours sélectifs, puis rigoureusement formés.
Et malgré la faiblesse relative du salaire, avec presque pas d’indemnités, l’enseignant était toutefois motivé, essentiellement, par la fierté d’appartenir à ce corps séduisant et apprécié de tous. Occupant une position centrale dans la société et détenteur du monopole du savoir, il était une sorte de projection orthogonale de Dieu sur terre et, comme tel, craint et mythifié.
C’était un homme d’une extrême sévérité et d’une rigueur sans faille dans le travail. Sa forte personnalité faisait de lui l’incarnation de l’autorité publique et des institutions de la République. Au plan professionnel, l’enseignant était à la société ce que l’ouvrier est à l’usine. Autant le travail de l’ouvrier est de fabriquer des produits comme c’est voulu par l’ingénieur de conception, autant l’enseignant devait façonner l’enfant, le former à devenir un type d’homme tel qu’aurait voulu la société.
De l’«école-atelier» de ce type d’enseignant, avaient été «fabriqués» des hommes de valeur aux qualités exceptionnelles à tous les niveaux (moral, social, spirituel, intellectuel et professionnel).
De nos jours, cette noble et sacerdotale profession enseignante est si banalisée et précarisée qu’elle n’enchante personne. Or, ce qu’on ne doit pas ignorer, c’est qu’il ne peut pas y avoir une bonne société sans un système éducatif de qualité. Et un système ne peut être de qualité qu’avec des agents sérieusement recrutés, très bien formés et motivés.
C’est pourquoi nous pensons que pour éradiquer, définitivement, la situation présente de crise et instaurer un système éducatif capable d’éduquer, de former et de rendre tout le monde utile, le mieux que l’on puisse faire, c’est de redorer le blason de la profession enseignante. En quoi faisant ? En apportant des mesures d’amélioration conséquentes aux différents niveaux de performance et de motivation des enseignants.
Le premier niveau auquel il faudrait apporter des améliorations est le recrutement. Pendant plusieurs décennies, les recrutements dans l’enseignement s’effectuaient au moyen du volontariat et de la vacation à partir d’un niveau académique, quelquefois très faible, puis envoyés dans les classes avec peu ou sans formation initiale.
Ce mode de recrutement, aujourd’hui abandonné, fort heureusement, a très largement contribué à la dévalorisation de la profession enseignante. Aujourd’hui, les recrutements devraient être rationnalisés et soumis à des critères sélectifs, à partir de la Licence pour les cycles Primaire et Moyen, et du Master II pour le Secondaire.
Aussi, faudrait-il que la durée de la formation des élèves-maîtres soit portée de neuf mois à deux ans. A la Fastef, l’Ens devrait être réhabilitée pour la formation de qualité des élèves-professeurs, tandis que la Faculté accueillera des bacheliers dans des filières dont la vocation serait de donner une formation académique très poussée aux futurs spécialistes des sciences et technologies de l’éducation et de la formation.
Aussi, il faudrait prévoir des institutions chargées d’assurer la formation continue des enseignants déjà formés et de «capacitation» des nombreux autres que certains désignent sous le nom d’«intrus du système». Simplement, parce que la formation de qualité est un facteur important de performance chez l’enseignant car, au-delà de développer son aptitude à enseigner et à éduquer, elle l’emmène à comprendre l’importance de l’éducation dans l’épanouissement de la personnalité humaine et le progrès moral, social, spirituel, culturel et économique du pays.
Le deuxième niveau d’amélioration est le traitement salarial. Le salaire de l’enseignant devrait être à la mesure de l’importance que sa fonction revêt pour la société et pour le pays. Les salaires mensuels à l’école, ne permettent pas à l’enseignant d’entretenir un niveau de vie comparable à celui des autres fonctionnaires.
La faiblesse relative du salaire de l’enseignant est liée au montant dérisoire de ses indemnités par rapport à celles des autres corps de la Fonction publique. Dans l’enseignement, aucune indemnité ne dépasse 150 000 F Cfa/mois. Or, la seule indemnité de judicature d’un magistrat -800 000 F Cfa/mois-, fait quatre fois le salaire moyen dans l’enseignement.
Les fonctionnaires des Impôts et Domaines, des Douanes, du Trésor, etc., ont leurs fameux «fonds communs», d’un montant pouvant aller jusqu’à 2,5 millions, versés à chaque agent tous les trois mois. Dans la diplomatie, la prime de sujétion diplomatique s’élève à 250 000 F Cfa/mois pour les conseillers et à 125 000 F Cfa pour les chanceliers.
Dans l’Armée, un simple soldat de 2ème classe (niveau de l’Elémentaire) est à l’abri des inquiétudes existentielles, parce qu’il a toujours à l’esprit que, tôt ou tard, il se rendra en mission à l’étranger au retour de laquelle, il pourrait recevoir plusieurs millions de F Cfa. Ce qui lui permettrait, en quelques années seulement de service, de réaliser ses vœux (maison, mobilier, etc.).
L’enseignant, quant à lui, n’a que son maigre salaire qu’il ne «touche» qu’à la fin de chaque mois. Et, à part le «xar maat» (l’épuisant mercenariat dans le privé), il ne dispose d’aucune possibilité de revenus additionnels. Ses indemnités liées aux différents examens qui, payées à temps, lui aurait servi d’épargne n’ont, malheureusement, toujours été payées qu’au compte-gouttes et, cela après moult réclamations (débrayages, grèves, etc.).
Tous ces facteurs, parmi tant d’autres, font qu’il devient très difficile à l’enseignant d’économiser, donc de se mettre dans des conditions de vie adéquates et sécurisantes et, de se doter d’une maison taillée à la dimension de l’importance que sa profession représente pour la société.
Le logement est un véritable casse-tête pour l’enseignant. Toute sa carrière durant, il n’a qu’un seul souci : comment acquérir une maison décente ? Malheureusement, avec des difficultés à économiser, c’est très souvent vers des institutions financières qu’il se tourne pour des sommes souvent dérisoires qui, non seulement ne lui per- mettent pas d’avoir un logement respectable, mais le plongent dans une précarité permanente. L’Etat
doit impérativement trouver une solution à la problématique du logement des enseignants, s’il veut vraiment les motiver. L’habitat est fondamental dans la vie d’un enseignant. C’est un outil essentiel d’amélioration de ses conditions de vie et de travail. Sur la question, nous pensons, personnellement, qu’à défaut d’aligner les indemnités de logement à celles des autres agents de même niveau diplômant, l’Etat doit construire des habitats décents aux enseignants qui le désirent, moyennant leurs indemnités de logement jusqu’à échéance.
La carrière et le statut social constituent aussi d’importants champs d’application des mesures d’amélioration de la condition enseignante. Beaucoup d’enseignants se plaignent du statisme dans les avancements.
En fait, il n’y a rien de plus démotivant chez un agent que de rester plus de dix ans sans avancer. Les enseignants devraient pouvoir avancer au moins tous les deux ans, quitte à ce que les changements de grade ou d’échelon soient soumis à des examens de passage, portant sur la pratique de classe et des épreuves de connaissances pédagogiques et méthodologiques.
D’ailleurs, cela permettrait à chaque enseignant de se perfectionner davantage par un besoin de formation continue. L’enseignant doit bénéficier aussi des mêmes privilèges statutaires que dans les autres professions qui exigent des qualifications analogues ou équivalentes. Il doit se sentir en sécurité où qu’il soit et protégé contre toutes formes d’agression. L’école est un monde truffé de risques de toutes sortes. Risques d’agression, risques de maladies contagieuses ou professionnelles.
A cela, il faut ajouter les dures conditions de travail avec les abris provisoires, les effectifs pléthoriques et le manque criard de matériels didactiques et d’appareils de reprographie. Il existe plein d’enseignants compétents dans le système, mais ils ne sont pas mis dans des conditions de travail idoines qui leur permettent de faire des résultats probants.
Toutefois, nous ne saurions ter- miner sans évoquer la responsabilité des enseignants eux-mêmes. Inutile d’entrer dans des détails. Limitons-nous à dire que des enseignants, en se laissant corrompre, ont participé à la décrépitude de leur profession. Et, c’est du déclin de l’offre éducative qu’est née la déchéance de la société actuelle. Un enseignant doit observer un comportement irréprochable pour qu’il soit un modèle à imiter.
Que chaque enseignant essaie de restaurer certaines valeurs éthiques et morales, gage d’une revalorisation de sa profession. Le métier d’enseignant ne doit pas être considéré comme un tremplin. Il doit être exercé avec conviction et dévouement. Ce métier est «un sacerdoce, écrit Bouna Niang, ancien directeur des études de l’ex- Ecole normale supérieure, une fonction sociale donnée par un éternel souci d’assurer la promotion de l’Homme».
«La vocation d’enseignant, poursuit-il, n’est-elle pas simplement d’instruire, mais d’éduquer, d’être le guide au double plan intellectuel et moral d’une enfance, d’une adolescence, d’une jeunesse.»
Il est vrai, toutes les difficultés du système ne s’expliquent pas, uniquement, par des problèmes liés à la profession enseignante, mais les enseignants étant la cheville ouvrière de l’école, l’amélioration de leurs conditions de vie et, surtout de travail, pourrait être d’un apport considérable à la pacification de l’espace scolaire et au maintien dans le système des enseignants gradés et expérimentés.
Ce qui, à notre avis, permettrait de faciliter la mise en application des conclusions des «Assises de l’éducation et de la formation» dont l’ambition est l’instauration d’un système éducatif performant et efficace qui réponde concrètement aux attentes des populations en matière d’éducation, d’enseignement et de formation professionnelle.