DE L’OPPORTUNITÉ DE RECONSIDÉRER LA POLITIQUE FISCALE AU SÉNÉGAL
La baisse des prix de denrées de première nécessité, décrétée par le Président Macky Sall, donne l’occasion à ne pas rater de poser le débat sur la fiscalisation au Sénégal et, plus largement, sur l’opportunité et comment faire vivre l’Etat au Sénégal. En effet la facilité avec laquelle le Président, via un simple décret, a pu ordonner et exécuter une décision si saluée et si bien ressentie par la majorité des Sénégalais, invite des questions sur l’opportunité et les mécanismes de l’imposition fiscale au Sénégal.
Une des phrases les plus récurrentes dans les discussions sur la fiscalité au Sénégal est la suivante : «L’Etat a besoin de taxes pour vivre». Et l’autre expression des plus malheureuses dans le jargon des journalistes sénégalais est bien «les soldats de l’économie» pour désigner les agents de la Douane sénégalaise.
Ces erreurs de langage trahissent une trop grande ignorance du sujet fiscal colorée par un faux-nationalisme entretenu par des images et légendes épiques de vaillants douaniers pourchassant des contrebandiers infiltrant quelques petits millions de valeurs en tissus ou thé ou sucre (souvent de meilleure qualité) venant de la Gambie ou de la Mauritanie voisines, à travers nos poreuses frontières. Pour protéger quelle économie ? Celle de la classe commerçante établie par le colon et qui a bien su se préserver même après les indépendances ?
Plus grave, ces erreurs contribuent à toujours masquer aux yeux des Sénégalais les effets réels et pervers de la politique fiscale confiscatoire en vigueur au Sénégal durant et après la colonisation.
Ces mots ont leur genèse dans un avion où le billet a été majoré de plus de 100% pour cause de taxation vers la destination Sénégal. En effet le billet Washington-Dakar coûte 545 dollars (270 mille francs Cfa), mais les taxes imposées par le Sénégal le portent à 1176 dollars (582 mille francs Cfa). Pour bien illustrer la stupidité et l’iniquité du régime fiscal sénégalais, le voyage Washington-Johannesburg revient moins cher que le trajet Washington-Dakar qui fait 3 fois moins la distance.
L’autre exemple qui m’a été rapporté par une compatriote est qu’avec juste un peu plus du même montant l’on se permettrait un package de voyage US-Chine avec 1 semaine d’hôtel moyen standing. Plus pertinent et proche de chez nous, que connaissons-nous maintenant du fameux compte séquestre logé à la BMCE censé être le dépôt des RDIA qui doivent servir comme garantie contre les prêts consentis pour la construction du nouvel aéroport ?
L'iniquité du régime fiscal sénégalais n'a d'égale que l'opacité avec laquelle l'argent du contribuable sénégalais est géré et la facilité avec laquelle les taxes et autres surtaxes sont imposées aux Sénégalais par les politiques mal inspirés et sans créativité dans la gestion de la chose publique au Sénégal.
Faire ces récriminations au Sénégal vous vaudrait facilement la réponse suivante : «Mais vous avez de l’argent pour voyager, il faut donc payer waay car, l’Etat a besoin de ces taxes pour vivre.» Je suis encore plus malheureux d’admettre que cette formule est beaucoup trop bien répandue au Sénégal jusqu’à faire figure aujourd’hui de conventional wisdom (sagesse populaire).
Mais cela ne manque pas de pousser les esprits inquisitifs à se poser des questions sur la pertinence de cette pensée, mais surtout sur sa sagesse. L’Etat doit-il vivre du labeur du peuple sénégalais et surtout de la sorte pratiquée au Sénégal ?
Le rôle de l’Etat comme arbitre et garant de l’intérêt et l’ordre public, est généralement accepté universellement comme une nécessité dans toute nation moderne et civilisée. Les bienfaits d’une institution impersonnelle, l’Etat, agissant comme régulateur entre individus, soucieuse que de la justice et l’intérêt général, ne sont plus à discuter.
Cependant les coûts que cette institution requiert doivent faire l’objet d’une constante attention et inquisition dans des pays appauvris par la colonisation comme le nôtre. Et l’histoire récente d’une instrumentalisation outrancière de l’Etat au profit d’une seule famille et de partis politiques depuis l’indépendance nous donne amples raisons d’être plus inquisitif et regardant sur et le rôle de l’Etat dans notre organisation sociétale et son fonctionnement, plus particulièrement dans sa composante financière.
En effet toute inquisition sur le fonctionnement de l’Etat ne saurait se faire sans une discussion franche sur la relation la plus intime, la plus obligeante, la plus ressentie entre l’Etat et les citoyens sénégalais : l’imposition fiscale.
L’imposition fiscale au Sénégal a toujours été vécue dans le sens étymologique du mot : une chose qui nous (les populations) est forcée par une puissance supérieure, souvent étrangère au terroir. Cette situation n’a été plus vraie que durant la colonisation ou les impôts servaient à entretenir le colon (la métropole dans le jargon colonialiste) et sa caste de servants pour maintenir le statuquo de l’exploitation du Sénégal pour servir les aspirations d’un peuple autre que celui du Sénégal.
Depuis les indépendances, les élites sénégalaises qui sont censées conduire les destinées de la nation sénégalaise vers des lendemains meilleurs ne se sont jamais signalées par une rupture ou tout au moins une discussion sur l’opportunité de continuer la philosophie, la pertinence, et les modalités du régime d’imposition fiscale héritée de la colonisation.
Les Assises nationales qui se sont tenues en 2008 constituent un pas courageux vers le questionnement nécessaire des fondamentaux de notre République y compris la question fiscale, mais une lecture attentive du document (ou bien ce qui en est publié) montre de sérieuses failles dans la démarche et les objectifs des animateurs des commissions qui ont traité les sujets liés à la pratique fiscale au Sénégal, ou tout au moins ces animateurs n’ont pas fait preuve de beaucoup de courage ou de mansuétude envers le peuple sénégalais déjà exsangue.
Il demeure qu’aujourd’hui la clameur populaire contre un régime fiscal confiscatoire est faiblement audible. Elle est soigneusement évitée par une élite beaucoup plus intéressée par l’auto-préservation de ses privilèges que servir le peuple sénégalais en amoindrissant le plus prégnant des goulots d’étranglement aux aspirations des populations sénégalaises vers le bien-être et le développement national que constitue la fiscalité.
Le sujet est souvent bâclé par les médias sénégalais plutôt sensationnalistes et généralement manquant de sérieuses compétences en la matière. Et le débat en milieu intellectuel et universitaire doit être plutôt timide car n’ayant jamais réussi à marquer même par un titrage, colloque ou séminaire la conscience populaire comme l’a si bien réussi celui sur l’âge des véhicules importées au Sénégal.
Sans verser dans un débat inutile d’idéologies, l’expérience de développement dans le monde occidental et plus récemment en Asie conforte aisément la thèse d’Arthur Laffer : trop de taxes tuent la taxe (en amenuisant l’assiette fiscale). La fameuse courbe de Khaldoun-Laffer a été une des inspirations, avec bien sûr l’Ecole de Chicago et Hayek, de la révolution fiscale engagée par Reagan aux USA dans les années 80 pour sortir ce pays du marasme économique de la fin des années 70.
Des années plus tard Clinton, avec une politique centriste pour faire bénéficier de plus larges couches de la population américaine, présidera à un des plus admirables booms économiques que les États-Unis aient jamais connu. Ce boom a été des plus remarquables à cause de la baisse sensible de la fiscalité qui l’a précédé et qui a entrainé un élargissement signifiant de l’assiette fiscale entrainant des recettes fiscales plus considérables qui ont permis l’éradication/paiement en totalité de la dette publique engagée par Reagan.
Le Sénégal d’aujourd’hui, avec pour la première fois dans sa jeune histoire, une classe dirigeante née après la colonisation, avec son corollaire de complexes avilissants (qui veut aujourd’hui d’un ancêtre gaulois ?) et neutralisants, gagnerait beaucoup à prendre exemple sur l’expérience des USA de Reagan avec son implémentation des recommandations du Calife Ali ibn Abi Talib au gouverneur d’Egypte (1) sur la réduction des taxes comme la meilleure des investissements sur la richesse réelle d’un pays : sa population.
Cette injonction codifiée par Ibn Khaldoun (2) au 14eme siècle (et plus tard par Keynes), réactualisée par l’économiste Arthur Laffer (2) et popularisée par Jude Wanniski (3) avec la Courbe de Khaldun-Laffer et mise en œuvre par Reagan a valu à l’Amérique, selon beaucoup d’économistes, notamment Hayek et Friedman de l’Ecole de Chicago, la prospérité des années 80 et 90. Au lieu de continuer la désastreuse imitation de la France qui nous a léguée cette mentalité fiscale de petit-boutiquier : pour avoir encore plus il faut taxer encore plus.
Non, en vérité, pour avoir suffisamment plus, il faut taxer encore moins et élargir l’assiette fiscale en brisant les chaines qui entravent l’activité économique.
Après 54 ans d'une imitation désastreuse de la France, il est temps que l'on prenne un pas courageux vers la réelle prise en charge des réalités et aspirations du peuple sénégalais par des politiciens et administrateurs sénégalais attachés à notre pays et qui sont créatifs et innovants dans l'élaboration de solutions endogènes pour le mieux-être des Sénégalais. C’est pourquoi le Président Sall doit impérativement résister aux sirènes des dinosaures qui veulent qu’il revienne sur ses reformes révolutionnaires dans le domaine de la fiscalité des sociétés et des revenus des travailleurs pour prétendument résorber un «manque à gagner» de 40 milliards causé par le nouveau Code des impôts.
Non Monsieur le Président, trop d’impôts tuent l’impôt en rétrécissant l’assiette fiscale car entravant l’activité économique. Reconnaître et accepter que le Sénégalais est déjà trop taxé pousserait à explorer de réelles avenues endogènes de réduction des coûts d’opération de l’Etat : par exemple réduire le fameux coefficient d’évaporation des investissements du BCI constituerait une solution réellement endogène pour alléger l’Etat et le contribuable sénégalais. C’est ce que ferait tout PDG qui se respecte face à une chute des revenus de son entreprise : réduire les coûts d’opération et accroitre l’efficience des investissements.
Pour cela, il faudra oser… Oui, osons…
Osons imaginer un Sénégal ou le travailleur perçoit réellement l’essentiel (au moins 85%) de son salaire pour être plus à l’aise et être plus libre psychologiquement, et ainsi faire plus pour le bien-être de sa famille.
Osons travailler à mettre en réalité un Sénégal où le fameux panier de la ménagère est bien garni avec des denrées taxées de façon sensible pour combattre la pauvreté et la malnutrition.
Osons imaginer un Sénégal où l’Etat, sobre, ne cherche pas de revenus sur le dos de la population avec des instruments iniques comme l’impôt sur le revenu et une TVA confiscatoire, mais plutôt encourage l’économie avec une taxation sensible et progressive pour ne faire fonctionner que les institutions qui sont nécessaires, efficientes et avérées dans leur tangible contribution à l’intérêt général.
Osons pouvoir aider nos compatriotes sarakholé, foutankés et autres communautés très entreprenantes à l’étranger à revenir investir la petite et moyenne industrie génératrices d’emplois sans se soucier des raids intempestifs de la classe des redresseurs fiscaux plus soucieux d’objectifs mensuels de collections et de fonds communs que de la santé et de la sécurité économiques de notre pays.
Osons exiger une fiscalité plus juste au Sénégal à la place du régime confiscatoire actuelle qui n’est qu'une pale continuation du système d’enchainement et d’exploitation des énergies du peuple sénégalais conçu et pratiqué par le colon pour les aspirations d’un peuple autre que le peuple sénégalais.
Serigne Falilou Diop (APR, Département de Mbacké, Touba et Kael) et CCR de Mbacké
- Ali, Imam: "Nahjul Balagha" (http://www.imamalinet.net/EN/nahj/nahj.htm)
- Laffer, Arthur: "The Laffer Curve: Past, Present, and Future" (http://www.heritage.org/research/reports/2004/06/the-laffer-curve-past-present-and-future)
- Wanniski, Jude: "Taxes, Revenues and the 'Laffer Curve' "(http://www.nationalaffairs.com/doclib/20080528_197805001taxesrevenuesandthelaffercurvejudewanniski.pdf).