DE LA CRIMÉE ET DE RIO-2016
Autour de la Crimée, on s’escrime. Avec un tel calembour, on ne cherche pas, bien sûr, à en ajouter un de plus dans le registre des formules exquises qui font les gaietés de la langue française et de la presse...
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Autour de la Crimée, on s’escrime. Avec un tel calembour, on ne cherche pas, bien sûr, à en ajouter un de plus dans le registre des formules exquises qui font les gaietés de la langue française et de la presse. C’est juste qu’on n’a pu trouver mieux pour entrer dans la nouvelle ambiance de guerre froide qui s’installe dans les relations internationales. Et là il monte sans doute en vous une question fondamentale, en tant qu’esprit sportif qui cherchez dans ces colonnes une alimentation spirituelle dépouillée de la vénalité des manœuvres politiques. A savoir : que vient faire ici la Crimée ?
Les Russes ont récupéré les bases militaires sur la péninsule, leurs partisans locaux ont fait descendre le drapeau ukrainien pour faire flotter l’étendard cher à Poutine. Oui, mais il n’y a pas, à ce qu’on sache, une équipe «criméenne» qui a fait défection et dont le sort inquièterait le Cio, la Fifa, etc. Certes, mais il y a bien du sport dans toute cela.
Crimée, escrime, guerre froide… C’est pour rappeler que le sport fut un terrain fertile de compétition durant la guerre froide.
Entre l’Est et l’Ouest, l’équilibre de la terreur ne se mesurait pas uniquement en termes de provision d’ogives nucléaires. La rivalité Washington-Moscou ne se jugeait pas seulement entre cosmonautes et astronautes filant vers la lune. Le culte de la performance ne s’appréciait pas juste entre la productivité stakhanoviste et l’indice Dow Jones. Il ne suffisait pas, non plus, d’opposer les Lada est-allemandes et les Volkswagen «coccinelles» ouest-allemandes.
Jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 1990, la guerre entre les deux blocs se disputait aussi en termes de secondes, de centimètres, de médailles, de victoires et de records.
L’histoire ayant fait une formidable embardée ces dernières semaines, pour installer les trentenaires d’aujourd’hui dans ce que fut le monde selon Khrouchtchev et Kennedy ou selon Brejnev et Reagan, etc., il n’y a pas que les communistes défroqués qui vont recommencer à chercher les vieux livres dont certains ont fini sous la bibliothèque, pour compenser un quatrième pied qui s’est brisé. Les sportifs vont devoir aussi réviser leurs classiques.
Bien sûr, Poutine n’est pas Lénine. De même, les oligarques sont loin d’avoir l’esprit kolkhozien. Mais sait-on jamais ? Il y a donc de quoi se remettre à penser ce que fut la «guerre froide du sport» au temps des Nadia Comaneci, Carl Lewis, etc.
La montée de tension qui fait vaciller aujourd’hui les lignes Est-Ouest se lisait déjà dans le sport.
On n’extrapole pas, ici, autour d’idées fumeuses. Si c’est bien Karl Marx qui a dit que «l’histoire ne se répète pas, elle bégaie», les tribulations politiques qui ont marqué les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi rappelaient des épisodes déjà connus. Notamment les boycotts des Jo de Moscou-80 par les pays occidentaux pour cause d’invasion de l’Afghanistan et la répartie des pays de l’Est lors des Jeux de Los Angeles-84.
Depuis un quart de siècle, on a perdu le paramètre de la propagande sportive entre l’Est et l’Ouest. D’un côté, le culte de l’individu dans la performance et le capital, de l’autre, les valeurs du socialisme qui fondent l’épanouissement de l’homme dans ses dimensions physique et idéologique. Les champions triomphaient pour la gloire du système et on produisait des athlètes suivant des paramètres scientifiques proches de l’entrainement d’un voyageur de l’espace.
On a beaucoup glosé sur le dopage et la triche en cours derrière le Rideau de fer, pour forger des sportifs du troisième type. La blague, dans le milieu olympique, c’était de dire que dans chaque discipline il y avait les hommes, les femmes et… les Allemandes de l’Est. Des athlètes hors norme comme Heike Drechsler, qui a comptabilisé dans sa carrière quatre records du monde en longueur, deux records du monde au 200 m et un record du monde à l’heptathlon. Les dossiers de la Stasi ont révélé qu’elle se shootait avec des stéroïdes et de la testostérone.
A l’ombre de la Statue de la Liberté, on n’était pas des Sainte Nitouche non plus. On a su, plus tard, que le Carl Lewis, qui filait comme un pur-sang, n’avait pas toujours du sang pur quand il descendait sur la piste. Lui et d’autres. Car, au début des années 2000, l’ancien directeur du Département antidopage du Comité olympique américain, avait révélé que les Etats-Unis avaient étouffé une centaine de cas de dopage parmi ses athlètes, entre 1988 et 2000.
Dans deux ans, l’Olympisme mondial se retrouve à Rio de Janeiro. Poutine a confisqué la Crimée. Obama est en Europe pour raccommoder les déchirures causées par Wikileaks et la Snowdengate. Peut-être que d’ici là, les deux blocs auront approfondi les tranchées.
Alors, à l’Est comme à l’Ouest, on peut deviner les hymnes à la gloire qui vont accompagner la préparation des athlètes en direction de 2016. Vous ne voyez pas ? Mais bien sûr, c’est le fameux tube de Dario Moreno : Si tu vas à Rio…
Tidiane KASSE
(à Ndjaména)