DE LA PRÉCARITÉ ET DE LA DÉONTOLOGIE DANS LA PRESSE
ÊTRE JOURNALISTE AU SÉNÉGAL, C'EST COMMENT ?
Samedi 3 mai 2014, journée mondiale de la liberté de la presse, a été le prétexte pour les professionnels de l’information et de la communication du Sénégal pour réfléchir sur leur profession. Une table ronde a ainsi été organisée au Centre d’étude des sciences et technique de l’information (CESTI) par le Conseil pour l'observation des règles d'éthique et de déontologie dans les médias (CORED) en, collaboration avec Osiwa. Thème retenu : ‘’Précarité et déontologie : Faut-il choisir ?’’.
Les journalistes sénégalais, on ne cesse de le dire, vivent dans la précarité, à l’instar d’ailleurs de beaucoup de leurs confrères d’Afrique. Dans ce contexte, la déontologie peut-elle avoir droit de cité ? A cette question, les réponses demeurent divergentes selon l’angle d’appréciation. Ce qui est certain, c’est que la précarité expose et rend vulnérable les professionnels.
Pour Jean Meissa Diop, ancien directeur de Grand Place, représentant le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), c’est un dilemme auquel on est confronté si on a à choisir entre la précarité et la déontologie. Il reste tout de même possible de vivre dans la précarité sans pour autant fouler au sol les règles de déontologie.
L’ancien rédacteur en chef de Wal fadji de confier qu’à ses débuts dans ce journal, les reporters allaient à pied ou par leurs propres moyens en reportage et faisaient du bon travail. Dans la précarité, le journaliste devraient faire appel à ‘’l’éthique personnelle, à la dignité personnelle’’ pour exercer son métier sans se compromettre, conseille-t-il.
Souleymane Niang, actuel directeur de la West Africa democracy radio (WADR) abonde dans le même sens. Précarité et déontologie peuvent faire bon ménage: ‘’La précarité est une sorte de vulnérabilité sociale, de faiblesse morale.’’ En effet, selon Souleymane Niang, avec un salaire de 150 000 francs Cfa net on peut être vulnérable comme on peut l’être avec un salaire d’un 1 million et plus. Toujours est-il que dans sa pratique personnelle quand il se trouve exposé, sa référence ‘’c’est la charte de Munich, complétée par son éducation, ses valeurs internes’’.
Ibrahima Khaliloulaye Ndiaye, secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication (SYNPICS), a, pour sa part, directement attaqué l’Etat. L’accusant d’être en partie responsable de cette précarité dans laquelle est maintenue la profession.
D’abord, souligne-t-il, l’Etat donne des millions aux patrons de presse dans le cadre de l’aide à la presse. Mais ceux-ci, poursuit-il, au lieu de mettre les journalistes dans de bonnes conditions d’exercice, préfèrent prendre de nouvelles épouses ou d’accroître leur patrimoine, en érigeant des immeubles. Ensuite ces mêmes patrons de presse bénéficient d’une amnistie fiscale.
‘’Moi je suis contre le misérabilisme des journalistes. Au nom de quoi les journalistes doit vivre dans la misère ? s’est interrogé le secrétaire général du Synpics. Tout en rappelant que la convention collective elle-même est dépassée de loin, depuis des années. D’autant que Dakar fait partie aujourd’hui des villes les plus chères au monde.
‘’On ne peut pas demander aux gens de bien faire leur travail alors qu’on ne les met pas dans de bonnes conditions. Il y a des reporters qui vont sur le terrain avec zéro franc’’, souligne Khaliloulaye Ndiaye.
Babacar Diakhaté, représentant du ministre du Travail et ancien inspecteur du travail, qui rappelle avoir souvent côtoyé les journalistes, a admis que les professionnels des médias ont ‘’un métier complexe et difficile’’. Mais le problème, selon lui, c’est que les journalistes ne sont pas bien organisés comme d’autres professions intellectuelles libérales telles les avocats et les notaires ? Diakhaté estime que l’Etat et les patrons de presse sont pour beaucoup responsables de cette situation. Pour lui il y a urgence de réorganiser la profession, revoir ‘’les règles d’accès’’. Il va jusqu’à proposer que l’accès au Cesti soit ouvert aux étudiants titulaires de maîtrise.
Mais si l’éthique du simple reporter était au cœur des débats, celle du patron de presse a été aussi évoquée. ‘’Les problèmes de déontologie, c’est aussi au niveau des patrons, c’est la corruption des cols blancs’’, a relevé Awa Wade, secrétaire générale de l'Union démocratique des enseignants du Sénégal (UDEN). Pour elle, là où le reporter se fait glisser un modique billet de banque pour les patrons c’est une affaire de gros sous, évalué à coup de millions.