DE LA TRANSHUMANCE ET DU DIALOGUE
Un système prend forme dans notre pays, la mobilité d’hommes politiques opportunistes est en train de devenir un phénomène méprisable, en tous les cas improductif dans le choix des citoyens
La gestion de l’Etat relève de la responsabilité de ceux qui sont élus. Personne ne saurait contester ce postulat.
Il est vrai qu’au Sénégal, et peut être un peu partout en Afrique, les lignes de démarcations ne sont pas toujours bien définies. Les programmes des différents partis politiques relèvent le plus souvent du catalogue de propositions jamais sérieusement étudiées ni dans leur consistance, ni dans leur mise en œuvre et encore moins dans leur impact sur la société. L’essentiel c’est d’avoir un programme que personne au demeurant ne critique, puisque personne ne le lit.
Et pourtant c’est comme ça que ça marche.
Qui est capable de dire avec exactitude la différence de programmes entre l’AFP de Moustapha NIASSE, le PS de Ousmane Tanor DIENG, Rewmi de Idrissa SECK, le PDS de Me WADE ou l’APR de Macky SALL.
Nul ne saurait s’aventurer dans le labyrinthe des programmes pour dénicher la spécificité de telle ou telle autre organisation.
C’est dans cette « nébuleuse démocratique » qu’il faut chercher ce qui pourrait expliquer ou justifier la mobilité politique dans notre pays ; ou dit plus simplement la transhumance des hommes politiques.
La presque totalité des partis, mouvements ou hommes politiques regroupés autour du PDS et de Abdoulaye WADE entre 2000 et 2012 se retrouvent aujourd’hui autour de Macky SALL sans états d’âme. C’est la reconstitution de la CAP 21 avec ce que cela a de plus indigne pour nos hommes politiques : la distribution mensuelle de la dime aux différents quêteurs. La contrepartie de cette forme de mercenariat c’est de se constituer en chiens de garde pour défendre une politique dont on ne cherche même pas à connaître le contenu.
Le dialogue politique, c’est à dire le dialogue programmatique devant les citoyens au moment des différents scrutins tourne à la foire d’empoigne et à la personnalisation extrême du débat politique.
La pauvreté d’un tel système abrutit les citoyens dont les partis politiques concourent à l’expression de leurs suffrages et donc nécessairement à leur formation « citoyenne ».
C’est certainement dans la faiblesse du système scolaire et universitaire colonial et de l’énorme déficit de cadres capables de contribuer à mettre les citoyens à niveau qu’on pouvait trouver en partie l’explication de ce phénomène au début des indépendances.
Le président Senghor en a beaucoup tiré profit en réduisant le dialogue politique à deux faits majeurs : phagocyter l’opposition « démocratique » par son intégration dans son parti et interdire l’opposition radicale en « matant » ses leaders. Et cela a marché jusqu’à la fin des années 70 avec la fortune que l’on sait.
Dans ce système, l’élection ne servait à rien puisque les résultats toujours truqués étaient connus d’avance.
Mais avec deux alternatives réussies et trois présidents démocratiquement élus, dont deux démocratiquement battus, une nouvelle ère est ouverte.
Ceux qui sont élus gouvernent et mettent en œuvre le « programme » sur la base duquel ils sont élus. Les autres s’opposent, critiquent et peaufinent un programme à proposer pour être élus. C’est le cycle infini de la démocratie et de son corollaire, des élections libres qui permettent aux citoyens d’exercer leurs droits.
Dans ce système qui prend forme progressivement et péniblement dans notre pays, la mobilité d’hommes politiques opportunistes est en train de devenir un phénomène méprisable, en tous les cas improductif dans le choix des citoyens.
Beaucoup d’observateurs et acteurs politiques constatent que la transhumance a cessé de produire des gains décisifs tant dans l’exercice du pouvoir que dans les consultations électorales, bien au contraire.
Le dialogue politique dont Macky Sall et Abdoulaye Wade se disent chacun prêt à entamer le processus crée à bien des égards une nouvelle ligne de démarcation.
Il s’agit de laisser celui qui est élu gouverner et mettre en œuvre son « programme ». Cela ne saurait être discuté, donc le dialogue ne porte pas sur cet aspect des choses.
Par contre les règles de fonctionnement et de gestion de notre système démocratique imposent une autre approche plutôt consensuelle.
L’exhumation de la cour de répression de l’enrichissement illicite, la décentralisation, l’exercice des droits et libertés garantis par la Constitution, la place et le rôle de l’opposition ainsi que son statut énoncé dans la Constitution, l’organisation et le contrôle des élections, la neutralité et le fonctionnement du pouvoir judiciaire, la pacification du champ politique, la démocratisation et la professionnalisation de l’espace médiatique, le contrôle de la circulation monétaire et financière sont autant de domaines qui échappent aux « fluctuations » politiques pour être ancrés à un socle rigide sur lequel tous les acteurs publics et politiques doivent s’entendre de façon durable.
Ces questions ne relèvent pas exclusivement de ceux qui sont élus pour diriger le pays et ne peuvent donc faire l’objet d’une gestion unilatérale.
Le dialogue annoncé crée les conditions d’une gestion consensuelle en mesure de moderniser notre démocratie.
Mais entendons nous bien, les faucons du palais ne rendent service ni au président Macky Sall, ni à notre peuple lorsque déjà ils tentent d’éviter la « loyale confrontation » des idées et approches en tentant de tout noyer dans ce qu’ils appellent dialogue inclusif de tous les acteurs.
Il est certes vrai que tout le monde est concerné, mais il s’agit d’abord et avant tout d’un dialogue entre le pouvoir et l’opposition.
Puis la suite, toute la suite, sera abordée et discutée ; sinon le champ politique sera loin d’être pacifié et la responsabilité en incombera exclusivement à ceux qui ont perdu l’initiative sur ce sujet majeur.