DE L'ELECTRICITE DANS L'AIR
Les populations de Grand Médine se rebellent contre la SENELEC
Il y a de l'électricité dans l'air à Grand Médine où un bras de fer oppose les populations de la localité à la Société nationale d'électricité du Sénégal (Senelec). Les premières, dénonçant l'installation des "compteurs Ébola, refusent de payer leurs factures de courant. Depuis près d'un an, seuls 600 des 1193 abonnés se sont exécutés, incitant ainsi la société d'électricité à recourir à la police pour tenter de mettre un terme à cette situation.
Entre la Senelec et les habitants de Grand Médine, rien ne va. Le torchon a commencé à brûler depuis que la société d'électricité a décidé d'introduire de nouveaux compteurs en commençant par ce populeux quartier de Dakar.
Avant-hier lundi, c'est un impressionnant dispositif de sécurité, escortant les agents releveurs de la Senelec qui a investi les lieux. La Senelec a dû mobiliser la grande artillerie. Si la société nationale d'électricité a senti le besoin de recourir à la force public, c'est qu'à Grand Médine, de nombreux habitants refusent de payer leurs factures de courant depuis près d'un an.
Sur les 1193 abonnés qui ont obtenu les nouveaux compteurs, seuls 600 ont jugé utile d'honorer leurs factures. Pour Abdoulaye Ngom, le chef de quartier de Grand Médine village et chef de file des contestataires, leurs positions ne devraient guère surprendre les responsables de la Senelec, car depuis le début, leurs avertissements ont accompagné leurs complaintes.
les compteurs "Ébola" pointés du doigt
Pour comprendre la rébellion des populations de Grand Médine, un retour en arrière s'avère opportun. En effet, tout a débuté en septembre 2014, quand la Senelec a décidé de remplacer les anciens compteurs par de nouveaux.
"Nous leur avions dit que nous n'avions pas de problème avec les nouveaux compteurs, seulement, nous n'accepterons pas d'être saignés par des factures que personne ne peut justifier", explique Abdoulaye Ngom. Très en verve, le septuagénaire, plus actif que beaucoup d'adolescents, ne cache pas sa désolation et se dit attristé par l'installation de ces compteurs que lui et ses voisins ont surnommés : "compteur Ébola".
Pour eux, ils sont pires que le mortel virus en ce sens "qu'il vous tue pendant que vous respirez la santé". Prenant son propre exemple, il renseigne qu'avant l'installation des nouveaux compteurs, la dernière facture qu'il avait reçue était d'un montant de 17 270 F Cfa. "Vous imaginez en 60 jours, je passe de cette somme à 170 280 F Cfa. C'est à dire qu'en deux mois, on a multiplié le montant net à payer par dix. Qui peut justifier cela. Si on m'explique comment cela s'est passé alors je paie sans discuter. En réalité, personne ne peut l'expliquer", tranche-t-il.
Même son de cloche pour Ousseynou Gaye. Tailleur, très sollicité en cette période de préparation de l'Aid El Kébir, l'usager mécontent abandonne machine, ciseaux et autres tissus pour mettre un grain de sel dans une sauce déjà trop salée. A l'image du vieux Ngom, il trouve que la Senelec veut se faire de l'argent sur le dos des Sénégalais les moins nantis.
De son avis, pour faire ce genre de test, la société aurait dû aller dans les quartiers huppés de Dakar où les populations sont plus à même de payer des factures dont les montants défient toute logique. "Même si tu éteints tout ce qu'il y a comme appareil dans l'atelier, le compteur continue à tourner et à clignoter", observe-t-il.
Embouchant la même trompette, Modou Ndiaye se propose d'aller chercher les dernières factures que les agents de la Senelec "ont eu le culot de lui transmettre". Sa dernière facture avant l'installation des nouveaux compteurs affichait 22 000 F Cfa net à payer. "Deux mois après, on vient me remettre une facture de 150 000 F Cfa, si la différence vous semble compréhensible, moi je trouve que c'est tout simplement écœurant. Même si je ne travaillais que pour payer les factures, j'en serais incapable avec de tels montants", martèle-t-il.
Début de rébellion
Autant de considérations et d'observations qui ont conduit les populations à se rebeller et à déclarer les agents de la Senelec persona non grata dans la localité.
"Au début, nous avions discuté avec les responsables et leur avions exposé notre désolation et notre amertume quant à l'installation de ces nouveaux compteurs dans notre quartier. La Senelec nous avait rassurés en mettant de côté les factures dont nous dénoncions les montants. Mais depuis quelques jours, la Senelec est revenue sur ses engagements en procédant à la coupure de certains domiciles dont le mien", explique Abdoulaye Ngom, visiblement très affecté par la mesure.
Expliquant pourquoi les agents de la Senelec ont été escortés par des policiers, il renseigne que ceux-ci ont juste pris peur quand après avoir coupé certaines maisons des jeunes les ont menacés. Et, pour les quelques maisons qui ont été délestées de courant, nos interlocuteurs expliquent que les agents de la Senelec sont venus leur dire qu'il y a quelque chose qu'il fallait vérifier dans les compteurs.
Mais, poursuivent-ils, c'était pour mettre dans les tablettes des compteurs des codes à même d'arrêter la distribution de l'électricité quelques heures après. "Moi, je suis contre la violence et je ne demande à personne de recourir à la force, mais on nous tue, mais on ne nous déshonore pas", martèle-t-il.
Expliquant avoir été avec l'imam à la tête d'une délégation qui a rencontré en 2014 Maïmouna Ndoye Seck, alors ministre de l'Energie, Abdoulaye Ngom, qui pense que tout ce qui se passe est de la responsabilité de l'ancien Dg de la Senelec, Pape Dieng, n'en demeure pas moins confiant avec l'arrivée de Mouhamadou Makhtar Cissé à la direction générale de la société.
"Nous allons rencontrer le nouveau directeur, il paraît que c'est quelqu'un de très sérieux. Nous comptons réellement sur lui pour définitivement évacuer cette question qui nous préoccupe depuis plusieurs mois déjà", note Abdoulaye Ngom qui rappelle la violente manifestation que les jeunes avaient organisée l'année dernière pour s'insurger contre "ces compteurs Ébola".
Makhatar Cissé fait renaître l'espoir
Du côté de la Senelec, Madame Dieng, chef de l'agence de la Senelec de la Patte d'oie d'où dépendent les habitants de Grand Médine, étant absente du Sénégal pour les besoins du pèlerinage à la Mecque, les autres agents ont préféré donner leur langue au chat, se refusant à tout commentaire.
Seulement, en aparté, certains se trouvent un courage leur permettant de se ranger du côté des populations. "Nous sommes tous Sénégalais et je pense que les compteurs que nous avons installés là-bas posent réellement problème, nous même avons du mal à les maîtriser", observe un agent de maintenance qui requiert l'anonymat.
En attendant que la rencontre avec le nouveau Dg de la Senelec se tienne, les populations de Grand Médine, sous la houlette d'Abdoulaye Ngom, se préparent. Hier mardi, elles se sont retrouvées autour du chef de quartier pour définir une nouvelle stratégie devant permettre, selon leurs dires, de parer à toute éventualité. Pour dire que s'il n'y a pas d'électricité dans certaines maisons, il y en a plein dans l'air.