DE LONDRES À REUBEUSS
KARIM WADE
Il est sous le feu des projecteurs et son procès marathon qui livre son verdict ce matin le place au cœur de toutes les discussions dans les chaumières sénégalaises. Karim Wade, inconnu en 2000, s'est révélé au grand public à travers une fulgurance déconcertante. Profil.
Il est l'héritier de son père de président jusque dans sa légendaire formation politique le Pds. Investi candidat du Parti démocratique sénégalais à la prochaine présidentielle de 2017, ce week-end, à l'issue de primaires qu'il a remportées haut la main, Karim Wade devra subir le contraste de sa vie.
Le paradoxe d'un homme qui savoure son ascension politique au fond d'une cellule de la célèbre prison de Rebeuss où il se trouve depuis bientôt deux ans. Accusé de détournement de deniers publics et de s'être enrichi de manière illicite, Karim Wade, jugé par la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), était le grand inconnu des Sénégalais lorsqu'arrivait son père Abdoulaye Wade en 2000.
C'est en 2002 qu'il décide de s'installer au Sénégal, laissant derrière lui à Londres le poste de directeur associé avec de consistants avantages, au sein d'UBS Warburg. Au Sénégal, il intègre très vite l'entourage de son père et se voit nommé conseiller personnel du président de la République, chargé de la mise en œuvre de grands projets dont l'Aéroport Dakar Blaise Diagne et la mise en place d'une zone économique spéciale intégrée dans la capitale.
Il occupe de plus en plus de place et grandit dans la confiance de son père qui ne peut plus se passer de cet homme de main.
Anoci ou la révélation au grand public
Du statut de conseiller spécial de son père, Karim a commencé son envol lorsqu'il s'est vu hisser à la présidence de l'Agence nationale pour l'Organisation de la conférence islamique (Anoci) en 2004. Du haut de son mètre 90, l'homme au crâne aussi dégarni que celui de son père a en charge les multiples chantiers qui devraient mener le Sénégal vers l'émergence.
L'Organisation de la conférence islamique qui devait se dérouler 4 années plus tard à Dakar devait réunir les responsables de 57 pays musulmans. Aussi bien pour Karim que pour son père, ce tournant de l'histoire devait être saisie au rebond pour s'éloigner davantage des partenaires historiques, notamment la France et les Etats-Unis, afin de pouvoir se rapprocher des investisseurs arabes du Golfe, pensent plusieurs observateurs. Karim négocie les contrats, multiplie les voyages et apparaît comme le principal interlocuteur des pays arabes (Moyen orient).
Il devient international et est connu de tous. Ses appétits politiques ne tardent pas à se faire remarquer avec la création en 2006, avec Abdoulaye Baldé, d'une association dénommée "Génération du concret". L'idée est d'amener les populations à adhérer et à soutenir les grands chantiers qui sortent de terre dans tout Dakar. Génération du concret devient un mouvement politique et draine des masses.
Karim contre Macky, une revanche sur l'histoire
En octobre 2007, Macky Sall alors président de l'Assemblée nationale convoque Karim pour qu'il s'explique sur sa gestion des fonds de l'Anoci. Une convocation motivée par un retard des travaux et une obscurité entourant la gestion des fonds dont on faisait état d'un dépassement de plus de 8 milliards.
Il se disait à l'époque que le fils d'Abdoulaye Wade avait une boulimie dans le domaine des affaires. Ce qui lui avait valu d'ailleurs le surnom de "Monsieur 15%". Abdoulaye Wade, pris dans une colère noire, oppose son veto à cette convocation et Macky Sall entre en disgrâce, lui qui a eu le "toupet" de commettre un crime de lèse-majesté.
Le scandale de l'ANOCI, la dégringolade politique
Lorsqu'arrive le sommet de l'Oci les 13 et 14 mars 2008, toutes les infrastructures promises n'ont pas été livrées. Néanmoins, la rencontre s'est bien déroulée même si le débat sur sa gestion nébuleuse fait rage. Malgré les milliards injectés, à la fin de l'année 2008, la France prêtera à l'Etat du Sénégal 125 millions d'euros, ce qui constitue l'équivalence d'une année d'aide publique au développement.
En mars 2009, Karim fait partie des naufragés des élections locales qui ont vu le Pds perdre dans plusieurs localités du pays. Le fils du président Wade, qui s'était politiquement engagé, perdra jusque dans son bureau de vote. Loin de le sanctionner, son père fait de lui son ministre d'Etat en 2009.
Puis, le 5 octobre 2010, il est nommé ministre de l'Energie par son père de président. Après le décès de sa première femme, une Française, Karim soigne son image et se positionne de plus en plus comme potentiel héritier de son père. Taxé de "jeune français" ne parlant pas wolof parce qu'ayant vécu pendant longtemps en Europe, il veut s'affirmer en tant que Sénégalais.
Il s'habille en grand boubou, porte des bonnets et enfile des écharpes, il dit aimer le Mbalax bref, il se "sénégalise". Pendant ce temps, la situation sociale emprunte une pente matérialisée par des coupures intempestives d'électricité, la cherté vertigineuse du coût de la vie et une jeunesse sans espoir s'engouffrant dans des embarcations de fortune.
Le clap de fin...
En 2012, Abdoulaye Wade perd les élections et tous les yeux se rivent sur son fils Karim qui doit rendre compte de sa gestion. Surtout que les Sénégalais venaient d'élire un certain Macky Sall, celui-là même qui avait été puni pour avoir demandé des explications à Wade-fils.
La Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei) est ressuscitée pour traquer Karim dont la fortune est évaluée à 700 milliards de F CFA. Le 15 mars 2013, il est mis en demeure à l'issue d'une audition de la commission d'instruction de la CREI qui lui donne un délai d'un (1) mois pour justifier sa fortune.
Il sera inculpé d'enrichissement illicite et emprisonné avec 7 autres personnes le mercredi 18 avril 2013 à la Maison d'arrêt de Rebeuss. Son procès connaîtra plusieurs soubresauts : c'est le cas du président du tribunal qui expulse un avocat de la défense, le même président qui impose un prévenu sur des brancards, un assesseur qui claque la porte en pleine audience, des témoins absents, une fortune qui passe de 700 à 117 milliards etc....
Aujourd'hui, jour de vérité pour Karim Wade, le Sénégal retient son souffle.
ANOCI, Plan Takkal, Scandale Qatari …
Il était une fois Karim Wade et les milliards
Des milliards, Karim Wade en a géré durant le règne de son père-président Abdoulaye Wade. Mais qu’en a-t-il fait ? Un parfum de scandale s’est fait sentir partout où il est passé au point d’en faire aujourd’hui une cible publique. Retour sur quelques affaires qui ont éclaboussé l’opinion.
Les dernières années de règne du président Abdoulaye Wade ont projeté son fils Karim au devant de la scène. Très vite, ce dernier s’est retrouvé au cœur de la sphère étatique avec des centaines de milliards à gérer. De portefeuille en portefeuille, Karim Wade bénéficie d’une confiance presque aveugle d’un père accusé de vouloir en faire son successeur à la tête de la magistrature suprême.
L’Organisation de la conférence islamique en mars 2008 a été un test grandeur nature avec la création d’une Agence nationale dénommée ANOCI et confiée à Wade fils. Au total, plus de 205 milliards seraient dépensés dans cette affaire qualifiée de gouffre financier.
Si l’ANOCI affirmait au lendemain de cette conférence avoir dépensé 72 milliards dans la réalisation des travaux pour accueillir l’événement, beaucoup de voix se sont élevées pour démentir ces allégations. Le journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly écrivait, dans un livre intitulé "Contes et mécomptes de l’ANOCI", que l’Agence aurait utilisé pour l’organisation de l’événement la somme totale de 205 milliards 211 millions de dépenses effectives et réelles.
Des dépenses avec une composante appelée "Aménagement des bureaux du siège de l’ANOCI". Ce volet a mobilisé 750 millions de F CFA à lui seul. De l’argent utilisé pour l’aménagement des bureaux de Karim Wade. Mais aussi l’équipement des bureaux de ses collaborateurs.
Estimées à 101 milliards, les réalisations des chantiers ouverts à la veille de l’OCI dépasseraient de loin ce chiffre et l’argent serait en grande partie pompé du trésor public, diton. La bâche sous laquelle le président Wade recevait les hôtes aurait coûté 600 millions de F CFA à l’Agence des aéroports du Sénégal (ADS). Le pire, c’est qu’une récente publication dans la presse apprenait que la bâche faisait l’objet d’une plainte déposée au parquet pour vol.
Du plan Takkal aux 13 milliards du Qatar
Autre affaire, autres reproches. Le plan Takkal créé pour améliorer la fourniture en électricité des ménages et entreprises est estimé à 650 milliards de F CFA. Sur le sujet aussi, il a été reproché au fils du président Abdoulaye Wade des passations de marché absentes du champ des marchés publics.
Cette absence d’enregistrement du code des marchés publics de l’acquisition de combustible tout comme les opérations et la maintenance d’installations destinées à produire de l’énergie électrique, a été à l’origine de curieux actes. Elle a engendré la modification de l’article 3 du code des marchés publics par un décret, sans en avertir l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP).
Karim disposera désormais des coudées franches et se permettra même de passer en l’espace de 6 mois des marchés de gré à gré d’achat de produits pétroliers pour un montant de 115 milliards F CFA. Pour réaliser une centrale à charbon à Sendou d’un coût estimé à 300 milliards de F CFA, un gré à gré similaire est passé par là, avec le choix du géant sud coréen KEPCO.
L’autre scandale financier dans lequel le fils du président Abdoulaye Wade a été impliqué est lié aux 13 milliards en provenance du Qatar. Et c’est Saïf Al Islam, le fils de l’ex-guide libyen Mouammar Kadhafi, qui donne l’information. Me Wade aurait reçu 13 milliards de francs Cfa du Qatar. La contrepartie étant de réclamer le départ de Kadhafi. En somme, Karim Wade a été mêlé à plusieurs scandales financiers et aujourd’hui, c’est à la justice de décider de son sort.