DEALS ET MAGOUILLES ENTRE POLICIERS ET NARCOTRAFIQUANTS : LE JUTEUX BUSINESS
A l’Office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis), les liaisons professionnelles sont devenues éventuellement personnelles et passionnelles. Selon une source policière, qui dissèque ce «scandale» assimilé à une «onde de choc», d’autres fonctionnaires de police sont aussi mis en cause dans ce business. Depuis le milieu des années 2000, les trafiquants internationaux de cocaïne ont choisi le Sénégal comme principale porte d’entrée de la poudre sud américaine vers l’Europe.
Limogé lors du dernier Conseil des ministres, le commissaire Keïta aurait-il été trop bavard ? Ou le ministre de l’Intérieur aurait-il pris fait et cause pour le Directeur général de la police nationale (Dgpn) dont il a parrainé la nomination ? L’ex «grand flic» de l’Ocrtis agissait-il seul ? Ses collègues étaient-ils au courant ? Au fil de ses investigations et des rencontres, il a mis en évidence des «liens louches» entre le grand banditisme et des policiers, et officiers. A ses yeux, il s’avère que la haute hiérarchie de la police a dysfonctionné dans les grandes largeurs en entretenant le business de la drogue grâce à sa «protection».
Le rapport du patron déchu de l’Ocrtis qui mouille des officiers de la police est un traumatisme. Dans ses discussions avec le ministre de l’Intérieur, il lui a informé que l’ex Directeur général de la police, l’Inspecteur général Codé Mbengue recevait des parts de l’argent de ce trafic. «J’ai le sentiment de n’avoir fait que mon devoir. Je me rappelle vous avoir expliqué qu’en m’adressant directement à vous, ma démarche était justifiée par des informations selon lesquelles le Directeur général de la police d’alors, l’Inspecteur général Codé Mbengue recevait des parts de l’argent de ce trafic», dit-il au ministre de l’Intérieur.
«Codé Mbengue recevait des parts de l’argent du trafic» de drogue
Il s’agit d’un système huilé de trafic de stupéfiants organisé par la hiérarchie policière de l’Ocrtis qui recycle les saisies de drogue dans le marché national et international. Dès sa prise de fonction, le commissaire Keïta est tombé sur un système bien établi. Ecœuré, il dit : «Dès après mon installation le 7 décembre 2012 à la tête de la direction de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, j’ai été accueilli par les gesticulations d’un personnel exprimant sa ferme résolution de me ranger comme un vieux meuble, dans un trou de bureau où il m’était réservé de n’avoir à exercer que des fonctions de direction réduites à leur expression la plus simplifiée.»
Quel serait l’objectif visé par ses manœuvres ? «Je n’aurais été alors qu’une marionnette à la merci de personnes qui visiblement avaient toutes les raisons de vouloir que rien ne changeât dans la manière de fonctionner du service. J’ai réagi avec toute la fermeté requise en même temps que je décidais de me donner les moyens de découvrir ce que cachaient les propos et les faits des uns et des autres», dit-il. Autrement dit, des agents de l’Ocrtis auraient voulu le mettre en coupe réglée, il a réagi de façon énergique pour exercer ses pleins pouvoirs dans ce stratégique département qu’il considère comme un univers dans lequel il est «brutalement projeté» dont les réalités interpellent «à la fois la conscience, la raison et le bon sens».
Flics ou voyous ?
Il s’est confronté à «un front de résistance». Il serait constitué autour du lieutenant Babacar Mbengue, chef de la Section opérationnelle, dont «l’audace ne pouvait trouver d’explication que dans le fait qu’il était depuis longtemps le seul maître à ce bord où rien n’était plus normal». Il lie «l’audace» de cet officier et sa «posture maladroite» à une «situation de désordre et de dislocation du commandement qu’a connue» l’Ocrtis. Ebahi, il témoigne : «Cet officier était parvenu à s’arroger des pouvoirs énormes qu’il exerçait sur toutes les catégories de personnels, sur les moyens et sur les activités du service. Ce sont ces pouvoirs qu’il avait décidé de conserver en s’appuyant sur quelques gradés qui, manifestement, avaient peur de le contrarier pour des raisons de collusion dans de sales affaires d’argent et de drogue», ajoute-t-il.
Cheikhena Keïta a constaté que «des pratiques nébuleuses ont fini par pourrir l’atmosphère» de l’Ocrtis à cause des éléments qui s’adonnent «à des activités de corruption et de trafic de drogue».
Il a réagi «avec toute la fermeté requise en même temps que je décidais de me donner les moyens de découvrir ce que cachaient les propos et les faits des uns et des autres». «L’aspect le plus troublant est l’implication de fonctionnaires de police dans le trafic de drogue», explicite M. Keïta.
Sidérant, le constat du commissaire Keïta éclabousse l’écrasante majorité du personnel de l’Ocrtis qui pioche dans l’environnement des narcotrafiquants. Un monde ripoux et sioux. Il détaille : «La quasi-totalité des fonctionnaires se sont laissé entraîner dans des combines dont la finalité est de tirer profit du commerce de la drogue en soutirant de l’argent à des trafiquants surpris en pleine activité ou dont on est parvenu à découvrir les caches.»
Au fil de ses investigations, il a découvert que les prédateurs nigérians parvenaient à se servir de l’Ocrtis pour intercepter des expéditions de drogue en «faisant interpeler les passeurs au niveau de l’Aéroport de Dakar». «La marchandise saisie est ensuite remise aux pourvoyeurs d’informations qui paient le service accompli suivant un mode de rémunération réglé avec le chef de police mis à contribution pour l’exécution des plans d’interception de passeurs», détaille-t-il.
Le modus operandi frise la perfection : «Les colis soutirés des saisies sont toujours remplacés par des copies dont la réalisation est assurée par les commanditaires eux-mêmes. Rien que pour cette seule raison, on peut affirmer sans risque de se tromper que l’Office central pour la répression du trafic Illicite de stupéfiants était en passe de devenir un maillon de la chaîne du trafic international de drogue.» Il conclut : «Le niveau de connivence dans la gestion de telles activités est si élevé que chacun d’eux arrive à se mouvoir sans empiéter sur le ‘’territoire’’ d’un autre.
Cette parfaite maîtrise du terrain leur permet en même temps de couvrir les activités d’autres trafiquants dont le traitement de faveur est chèrement rémunéré. Dès lors, ce sont les récalcitrants, les revendeurs et autres seconds couteaux qui sont arrêtés et livrés à la justice pour masquer la triste réalité de ces agissements.»