DEMAIN, LE JARAAF…
Le souvenir laisse encore des traces vagues. C’était au lendemain du doublé Coupe-championnat réussi par le Jaraaf en 1970. Une saison sans défaite. On garde en mémoire un dépliant réalisé pour ce qui devait être une soirée de gala organisée destinée à fêter ce triomphe. Les détails ne sont plus frais, mais il y a des choses sur lesquelles le cortex vous trahit rarement. On a en mémoire cette page où s’étalait la photo d’une superbe «Miss Jaraaf», accompagnée de cet acrostiche :
Jolie
Aimée
Respectée
Adorée
Adulée
Formidable
Quarante-trois ans plus tard, la jeune fille qui étalait sa jeunesse épanouie continue peut-être de dorer ses beaux restes au soleil, vivant pleinement son troisième âge. Le club soupirant qui la célébrait en ces années salsa et rythm n’ blues, patte d’éléphant et chemise cintrée, afro et tête de nègre, semblait aussi parti pour vivre une histoire fabuleuse. Ce pimpant jeune homme en vert-grenat-blanc n’a pas fini clochard. Il n’est pas devenu Sdf et continue de jouir d’une respectabilité certaine.
Mais our quelqu’un qui est né avec une cuiller d’or dans la bouche, le berceau entouré de dirigeants d’une stature immense, ayant dans ses gênes la grandeur du Foyer France Sénégal et l’élégance des Espoirs de Dakar, l’existence aurait pu être plus flamboyante et l’avenir moins hypothétique.
Quelle que soit la grandeur de son nom, le Jaraaf, qui tient son Assemblée générale ce dimanche, n’est rien qu’un club ordinaire. Sans lustre, ni apparat. Vivant de débrouille et de petits coups, traversant les jours au petit bonheur pour des lendemains incertains. Consacré professionnel, il est plus amateur que jamais. Moins dépenaillé que d’autres sans doute, mais point de ceux qu’on adule.
C’est autour de ce grand corps malade que les passions électoralistes se bousculent ce weekend.
La Ja a fini dans la déchéance, après une longue glissade vers l’enfer. C’était le rival des belles heures pour le Jaraaf. L’errance des «Bleu-Blanc» fut longue, cauchemardesque, pénible. Une sorte de crève-cœur pour les nostalgiques de ses grandes heures qui se sont étalées sur des décennies.
Autre légende en péril, l’Us Goréenne, dont le processus de délabrement et de décomposition est entré dans une phase critique.
La tenue de l’assemblée générale de ce dimanche est importante pour le Jaraaf, en ce qu’elle doit conforter une légalité. Mais l’avenir des clubs sénégalais ne se joue plus tant pas dans les processus électoraux d’un autre âge. La vérité future ne sort plus de ces ambiances enfumées, où les pratiques les plus fumeuses servent de lit aux coups les plus fumants.
D’un club à un autre, à quoi servent des présidents dont le poids en bulletins de vote pèse plus lourd que le portefeuille financier et relationnel, quand il s’agira de payer des salaires aux joueurs et à l’encadrement technique, quand il faudra trouver un terrain où s’entraîner ou faire voyager son équipe vers Ziguinchor ?
Il faut rompre avec ces pratiques qui portent à gérer les clubs comme les tefanke qui peuplent actuellement les rues de Dakar dans la perspective de la Tabaski à venir. Engraisser le bétail, bourrer les bêtes de ripas pour les vendre dès que leurs yeux commencent à devenir luisants, rejoint la logique qui guide les clubs d’aujourd’hui.
Tefanke ou dirigeants, la réflexion est souvent de courte vue, rivée à la saison à boucler et à ce que pourra rapporter le marché du bétail.
S’accrocher à l’idée selon laquelle «un grand club ne meurt jamais» est une illusion que déconstruit l’évolution actuelle. Les «grands dirigeants» appartiennent aussi à la légende. L’heure est aux bons managers. La légitimité est un honneur, mais pas toujours une efficacité. Si les deux paramètres se confondent, on n’est pas loin de l’oiseau rare. Et c’est tant mieux. Car il faut tenir d’un passé pour pouvoir écrire la grande Histoire. Sinon, tout le monde peut être acteur de la petite histoire qui reste la somme des errements, des bêtises et des vérités tronquées d’aujourd’hui, dont l’immense fausseté transparaît dans les échecs et les trahisons de demain.
Changer de tête ne signifie pas perdre la tête. Le Jaraaf tourne la page Wagane Diouf et, comme au relais, c’est dans la transmission du bâton que se construisent les courses victorieuses.
Chaque club a son substrat social. Son cœur de vie. Son bouillon de culture. Ses fanatiques et ses hystériques. Ses Pa Ja, ses Pa Jaraaf, etc. Ce ne sont pas eux qui construisent l’avenir. Ils y participent. Ce sont des maçons à qui il faut des architectes. A ces derniers, il faut des aménagistes.
Réfléchir sur l’avenir et s’inscrire dans l’histoire conditionne le salut des clubs comme le Jaraaf. C’est à quoi cet Ag doit servir. Avec les hommes qu’il faut. Le football ne peut plus se concevoir et s’organiser hors du sillage emprunté par ces entités qui émergent de «nulle part» et commencent à écrire l’avenir. Diambars en est un, dont aucun des succès n’est usurpé. D’autres suivent, qui vont bientôt fossiliser le passé.
On aimait répéter ces mots :
Jolie
Aimée
Respectée
Adorée
Adulée
Formidable
Dimanche soir, au sortir de l’Ag du Jaraaf, on verra quelles lignes de cet acrostiche vont demeurer.