DEPUIS 2009, NOTRE SECTEUR VIT DES CHANGEMENTS EXTRAORDINAIRES...
ELYES CHERIF, PRÉSIDENT DU GROUPEMENT DES PROFESSIONNELS DU PÉTROLE
Comme Président du Groupement des Professionnels du Pétrole (GPP), M. Elyes Chérif se prononce sur les grands sujets qui ne cessent d’agiter le secteur des hydrocarbures, ces dernières années. Comme la floraison des sociétés de distribution pétrolière et des stations-services, les besoins de régulation au développement anarchique, les difficultés de la SAR, l’arrivée des traders...
On a constaté qu’il y a deux associations, le GPP avec les multinationales et l’ASPP avec les locaux. Ne pensez-vous pas que ça fait un peu désordre ?
D’une manière générale, je ne parlerai certainement pas de désordre, mais plutôt d’un ordre, parfois instable. En 1998, le Sénégal a libéralisé le marché des hydrocarbures créant, de fait, les conditions de naissance et d’éclosion de nouvelles sociétés. Ainsi, les anciennes entreprises présentes, regroupées autour du GPP, appelées «Majors», ont vu l’arrivée de nouvelles entités, surnommées les «indépendants». Des appellations qui ne m’agréent guère, mais qui résument le monde des hydrocarbures au Sénégal. Je préfère dire les «anciens» et les «nouveaux» acteurs du secteur. Et encore, il y a eu des sociétés nouvelles qui ont pris une dimension telle qu’elles jouent dans la cour des grands, comme Elton ou Star Oil qui ont atteint un niveau répondant plus ou moins aux standards internationaux. Il y a aussi Puma Energy ou Oryx qui ont des statures panafricaines. Ceci m’amène à poser la question de savoir quel est l’intérêt d’avoir deux entités distinctes alors qu’elles pourraient idéalement se retrouver au sein d’un seul groupe où on oublierait les termes de Major et de «Minor». Elles pourraient ainsi parler d’une même voix.
Toutefois, il se poserait peut-être un problème de respect des standards en matière de sécurité, de respect des procédures et de mode opératoire généralement. Pour nous, membres du GPP, il s’agit de schémas et règles dont l’efficacité n’est plus à démontrer, bâties au fil des décennies et tirées d’une solide expérience et partagées au sein des multinationales auxquelles nous appartenons respectivement même si celles-ci n’ont pas nécessairement les mêmes visions, ni les mêmes politiques de développement. Ces schémas et règles priorisent les normes de sécurité, de sûreté et de respect de l’environnement. Certains nouveaux, en commençant à opérer, construisent des stations qui, souvent, ne semblent pas répondre aux mêmes normes. Mais, il est certain qu’ils finiront par acquérir le savoir-faire requis par la profession. La coexistence des deux groupes opérant dans un même secteur, d’ici qu’une meilleure configuration soit définie et appliquée, aura en attendant, l’avantage d’amener le second à atteindre le niveau du premier, notamment en termes de respect des modes opératoires qui ont fait leurs preuves. A ce moment, la fusion serait beaucoup plus simple sur ce volet.
Mais depuis Septembre 2012, les prix du carburant à la pompe n’ont pas changé, malgré les variations du cours du pétrole. Dans ces conditions, peut- on vraiment parler de libéralisation ?
On peut bien parler de libéralisation du secteur des hydrocarbures au Sénégal et elle était effectivement destinée, entre autres objectifs, à influer positivement sur les prix du carburant. Mais, la traduction concrète de cet objectif, c’est un autre problème. En effet, libéraliser le secteur ne veut pas dire libéraliser le prix. Théoriquement, le prix ne doit pas changer d’une région à une autre. Il faut garder l’uniformité du prix à la pompe sur le territoire sénégalais pour permettre à tous d’avoir la même accessibilité au produit. La structure du prix à la pompe est composée de plusieurs éléments, comme le coût d’achat du produit, certains frais d’approche, le transport, les taxes... Nous sommes en train de discuter avec le gouvernement, pour voir comment travailler cette structure des prix afin de maintenir, voire baisser le prix au consommateur final, tout en dégageant un peu plus de marge aux opérateurs (distributeurs, gérants de stations, etc.). Quand on dit «prix figé», c’est aussi «marge figée» et celle-ci depuis 2008. Ceci fait qu’avec toutes les charges d’exploitation actuelles (frais d’entretien, électricité, main- d’œuvre,...) les sociétés de distribution ont du mal à avancer, étant donné que cette marge est vraiment faible. La revalorisation de la marge permettrait ainsi, aux distributeurs de réaliser d’autres investissements, de développer et de moderniser leur activité, ce qui entraînerait la création d’emplois stables.
Comment expliquez-vous le nombre très élevé de sociétés pétrolières sur un petit marché comme le Sénégal et la prolifération de stations d’essence ?
Tout cela découle de la loi sur la libéralisation du secteur de 1998. Pour résumer, ce n’est pas bon sans encadrement. Il faut que l’Etat soit sensibilisé sur ce développement anarchique des stations- service. Le marché évolue à peu près de 3 à 4% par an, même s’il y a eu une régression en 2012, lors des élections. Ce phénomène continu peut décourager certains investisseurs soucieux du respect des normes fondamentales au secteur. Que va devenir le secteur dans 5 ou 10 ans si rien n’est fait ? Nous sommes en train d’y travailler et de sensibiliser les autorités sur le danger, car nous pensons que notre rôle, en tant qu’acteur économique, ne se limite pas à opérer.
La SAR a toujours des difficultés, pour vous, quel est l’avenir de la raffinerie ?
Mon point de vue est que je vois mal une raffinerie fermer, dans un pays. On sait très bien qu’il est rare de trouver des raffineries rentables en Afrique. La SAR est une raffinerie, créée il y a longtemps, qui est en mesure de garantir un minimum de sécurité en matière de production au pays et qui emploie un nombre important de personnes. Nous sommes conscients que la SAR rencontre des difficultés ; néanmoins, des solutions, certes assez coûteuses, existent pour la restructurer. Avec un plan de développement étalé sur 5 ou 10 ans, et en trouvant l’astuce qui permettra d’optimiser les coûts afin de rendre cette raffinerie viable, la SAR pourrait et devrait rester fonctionnelle. Ceci permettrait aussi une meilleure régulation du secteur, même si le maintien de la SAR n’irait pas dans l’intérêt de tous les opérateurs. Comme on le sait, qui dit raffinerie fermée, dit importation de produit...
Quel message par rapport à l’avenir proche du secteur ?-
Il faut dire qu’entre 2009 et aujourd’hui, tout s’est emballé, le secteur vit un changement tout sauf ordinaire. Partons de la libéralisation de 1998 jusqu’à l’arrivée des traders, en passant par le «boom» des stations-services avec l’arrivée des nouveaux, le stockage unique, la construction d’un nouveau dépôt, la fusion des dépôts de X avec Y... Ces cinq dernières années, il y a eu un bouleversement formidable dans ce secteur. Aujourd’hui, on parle de concurrence déloyale, de position dominante, de stockage de sécurité, des indépendants, etc. Maintenant, on va aller vers un assainissement naturel du marché. A mon humble avis, dans les deux ans, tout cela va se calmer... J’espère sans dégâts ...
L’Etat va prendre ses responsabilités pour réguler tout cela, comme il l’a déjà fait avec la Caisse de péréquation ou avec les transporteurs. La tâche du gouvernement actuel est énorme, mais je demeure convaincu que les choses vont trouver leur équilibre. En ce qui concerne les sociétés de distribution de produits pétroliers, il est clair que ce sera beaucoup plus difficile qu’avant, compte tenu de ce changement d’environnement. Certaines, nouvelles comme anciennes, peuvent disparaître, d’autres fusionner, mais le leitmotiv sera l’optimisation des coûts d’opération pour survivre ... C’est la loi du marché !