DES ARGUMENTS ET DES AVIS
PROCES DE KARIM WADE

Poursuivi pour enrichissement illicite supposé portant sur la somme de 117 milliards de francs CFA, alors qu’il occupait des fonctions étatiques, Karim Wade est inculpé, puis placé sous mandat dépôt depuis la mi-avril 2013. Son procès ouvert le 31 juillet dernier, bute sur ‘’l’exception d’incompétence’’ de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), soulevée par la défense. Ce procès intéresse fortement les Sénégalais. La plupart ont pris d’assaut le palais de justice pour suivre de près les débats. Et pour les avocats intervenant dans ce dossier, comme des journalistes assurant la couverture médiatique, c’est un est un dossier ‘’exceptionnel’’ dans leurs carrières respectives. Un reportage de www. seneplus.com au palais de justice de Dakar.
Nous sommes au palais de justice Lat Dior de Dakar, situé en plein cœur de la capitale. Il est 7 heures passé de quelques minutes. La ville timidement arrosée rend le temps clément par cette matinée du 6 août. Devant l’entrée principale de ce gigantesque édifice qu’est le palais de justice, une longue file d’attente s’est formée. Sous le regard vigilant des gendarmes. Des hommes et des femmes, des jeunes et moins jeunes. Tous sont tous ici dans le même dessein : suivre l’historique procès de Karim Wade qui fera date dans l’histoire de la République.
Debout depuis un long moment, la fatigue se lit sur des visages. Quelques femmes ont dû s’asseoir à même le sol. Du coté de la deuxième porte d’entrée, à quelques encablures de l’ambassade du Japon, c’est presque le même spectacle.
Tout au tour de l’édifice, les forces de l’ordre sont en poste. Ils veillent au grain. Prêts à rétablir l’ordre. Attentifs aux moindres mouvements des piétons et des automobiles. Tantôt, ils imposent au passant l’itinéraire à suivre. Tantôt, ils interrogent les conducteurs de voitures sur leur destination précise. Les barricades sont d’ailleurs érigées autour du tribunal afin d’orienter tout déplacement.
8h 30. Fin de l’attente pour les visiteurs du palais de justice. La principale porte d’entrée est ouverte. L’autorisation d’accès est donnée. Il s’ensuit alors une bousculade pour y accéder. Il faut se battre pour être parmi les premiers venus afin de se trouver une bonne place dans la salle 4. C’est dans cette salle que se déroule l’audience de Karim. Une fois la porte franchie, certains n’hésitent pas courir de toutes leur force. Alors même que, ce n’est pas la fin du protocole.
En effet, le dispositif sécuritaire est tel que nul n’accède directement au grand hall du palais de justice s’il n’est fouillé avec minutie. C’est une opération systématique. Ainsi, sous la véranda, les visiteurs sont accueillis par un groupe de gendarmes : fouille au corps, passage au portique, etc. Rien n’est laissé au hasard.
Cette étape franchie, on arrive dans le spacieux hall de forme circulaire, suffisamment aéré au milieu duquel se trouve une large mezzanine de la même forme. Dans le hall également, les barricades y sont érigées de part et d’autre, séparant le hall en quartiers. Ici aussi les forces de l’ordre sont omniprésentes. Elles doivent de nouveau indiquer les itinéraires à suivre aux uns et aux autres.
LA SALLE D’AUDIENCE LA PLUS COURUE
Les différentes salles d’audiences sont numérotées de 1 à 8. Et naturellement, la salle la plus courue par cette matinée du 6 aout, demeure la salle N°4. A l’entrée de la salle, dernière étape du contrôle. Une autre équipe de gendarmes est à l’œuvre : appareils photo, ordinateurs, dictaphones sont interdits.
Suffisamment aérée, la salle est bien éclairée, rafraichie par l’air conditionné. Elle commence à se remplir dès 9 heures. Des militants, sympathisants du PDS (parti de l’ex-président Abdoulaye Wade) ou de simples curieux sont au rendez-vous. Des anciens ministres du régime Wade comme Serigne Mbacké Ndiaye, Farba Senghor, arrivent peu avant les débats, ils échangent des civilités en attendant l’ouverture de l’audience de leur ‘’frère’’.
A 10 heures la salle est déjà pleine à craquer. Les gendarmes sont aux aguets et peu tolérants par rapport à certains comportement. Quelques minutes après, Karim Wade se signale dans le boxe des accusés. Tout de blanc vêtu, une écharpe de la même couleur au noué au cou. Il est accompagné de quelques gardes dont les yeux ne cessent de tourner dans tous les sens. Karim Wade semble détendu et serein, distribuant des sourires au public. A sa vue, une salve d’applaudissements emplit la salle. Quelques minutes avant, c’est la même réaction qui s’est produite lorsque sa mère Viviane Wade a fait son entrée.
Karim Wade, ancien ministre d’Etat en charge de la Coopération internationale, de l'Aménagement du Territoire, des Transports aériens et des Infrastructures, puis de l’Energie est poursuivi pour enrichissement illicite portant sur la somme de 117 milliards de francs CFA. Il est emprisonné depuis avril 2013 avec des co-accusés. En perspective de ce procès, une juridiction spéciale, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), créée puis ‘’enterrée ‘par le président Abdou Diouf pendant son exercice, a été réactivée par le président Macky Sall. Toutefois, cette juridiction ne fait pas l’unanimité. C’est sur son ‘’incompétence’’ que les avocats de Karim se sont évertués à démontrer de la première à la quatrième audience.
Pour eux, Karim doit bénéficier du ‘’d’immunité juridictionnels’’ étant donné ses fonctions antérieures et le moment de la commission des infractions. En conséquence, les avocats demandent que ce soit la haute cour de justice qui juge leur client. Il faut noter qu’avec cette option, la procédure est longue et devrait être enclenchée par l’assemblée nationale. Avec des conséquences politiques possibles, expliquent certains. Tout compte fait, à cette demande, Me Souley Macodou Fall du barreau de Versailles dit niet. La juridiction n’est pas importante. Ce qui compte, c’est que Karim prouve son innocence quelle que soit la juridiction: ‘’La défense développe un argument qui ne tient pas la route. Cela relève d’un réflexe de défense puérile que de dire : «ne me tuer pas avec le couteau rouge, tuez-moi avec le couteau blanc »’’, a martelé Me Souley Macodou Fall, défendant l’Etat du Sénégal dans ce dossier, interrogé par www.seneplus.com.
Quant à Me Papa Layti Ndiaye, avocat de la défense toujours interrogé par www.seneplus.com, l’immunité et comme le privilège de juridiction, c’est un droit que la constitution accorde à un ancien ministre. Ce n’est pas une faveur exceptionnelle que l’on demande pour Karim.‘’Vous avez le droit d’être jugé par une juridiction déterminée sur un fait déterminé. Quand vous avez un droit, peut-on vous demandez pourquoi vous ne renoncez pas à votre droit’’? s’interroge-t-il. Le délibéré de cette exception d’incompétence est fixé pour le 18 août.
Tour à tour, la défense et la partie civile ont rivalisé d’arguments. Les uns plus percutants. Mais les citoyens ont aussi leur mot à dire sur ce dossier.
KARIM N’EST PAS ''UN CRIMINEL EXTRAORDINAIRE''
Sur ce procès, les Sénégalais ont chacun leur opinion quel que soit leur bord politique. Pour certains Karim est tout simplement un prisonnier politique comme se définit le prévenu lui-même. Par conséquent, il doit être libéré par la justice sénégalaise. Pour d’autres, la justice doit aller au bout parce qu’il n’est pas question qu’une famille accapare les richesses du pays. Allusion claire faite à la famille Wade.
Pour M. Coulibaly, un homme d’une cinquantaine d’année, vêtu d’un caftan marron, la détention de Karim relève de l’arbitraire. ‘’
‘’Tout gouvernement doit veiller s’appuyer sur la loi et non sur l’arbitraire ‘nous a-t-il confié dans le hall du palais de justice, relevant le durée illégale de détention de Karim (16 mois), selon lui ainsi que les restrictions qui lui sont imposées. ‘’Ça fait 3 mois qu’il n’a pas de visite. Il a été isolé comme si c’était un criminel extraordinaire. Donc tout ca, c’est de l’arbitraire’’, argue-t- froidement, sans passion, ni sentiment de colère. M. Coulibaly se montre dubitatif par rapport aux faits reprochés à Karim.
‘’L’administration est conçue de telle sorte qu’on ne peut pas rouler des milliards comme ça sans qu’il y ait dans la chaine quelqu’un tire une sonnette d’alarme. L’administration a ses contrôleurs, ses agents qui sont là pour y veiller. Donc Un individu ne peut pas accumuler des milliards comme ça fut-il ministre’’
Pour sa part, Oumar Cissé, cet homme grand taille, est sans concession. ‘’La justice doit aller jusqu’au bout. On ne doit pas laisser notre argent comme ça. C’est l’argent du pays. Ce n’est pas ‘argent d’Abdoulaye Wade’’. Ousmane, cet agent de sécurité, très peu bavard sur le sujet, en service devant le palais de justice.
Diatta, lui est technicien de surface. Il s’acquitte de sa tache avec entrain, balayant le long du mur du palais de justice. Le jeune homme est clairement identifié par son uniforme de service. Interrogé par www.seneplus.com, il hésite avant de s’engager. Pour lui, oui la justice dans cette affaire, mais les preuves d’abord. Karim aurait dû être libre depuis tout ce temps passé en prison. De son point de vue, il aurait fallu mettre en avant les preuves tangibles, qu’il fasse l’objet de condamnation, avant d’être incarcéré.
UN PROCES EXCEPTIONNEL
Pour Me Papa Layti Ndiaye, avocat de la défense interrogé par www.seneplus.com, c’est un droit que la constitution accorde à un ancien ministre. Ce n’est pas une faveur que l’on demande pour Karim. A son avis, c’est tout comme si l’on demandait à Karim de renoncer à son droit. ‘’Quand vous avez un droit, peut-on vous demandez pourquoi vous ne renoncez pas à votre droit. Vous avez le droit d’être jugé par une juridiction déterminée sur un fait déterminé, écoutez vous vous prévalez de ce droit-là. Il n’ya pas autre chose hein. Les lois de compétence, ce n’est pas nous qui les créons, c’est le législateur. Il n’y a pas une fixation sur telle ou telle juridiction la loi prévoit ça.’, s’interroge-t-il Mais la partie civile ne semble pas accorder beaucoup d’importance à la juridiction mais à l’infraction commise.
Pour sûr, ce procès a quelque chose d’exceptionnel pour les uns et les autres.‘’C’est une grande première pour nous tous. Aucun des avocats, aucun des bâtonniers constitués dans ce dossier ne l’ont eu antérieurement. Moi, j’ai quelques années de barreau. Je ne me suis pas déplacé pour rien. Je suis au barreau de Versailles. Mais je suis Sénégalais et je défends une cause noble’’, a souligné Me Souley Macodou Fall, constitué pour défendre l’Etat du Sénégal dans ce dossier.
.Exceptionnel, ce procès l’est aussi pour son confrère Me Leyti Ndiaye de la partie civile : ‘’C’est un procès exceptionnel. Plus qu’exceptionnel. Moi, ça fait 29 ans que je suis avocat, mais c’est pour la première fois que je vois la CREI se réunir’’. Pour les médias également, c’est un procès particulier. ‘’Comme jeune journaliste, c’est un événement important que nous ne devions pas rater. Raison pour laquelle nous avons cessé toutes nos autres activités pour nous consacrer à ce procès qui, sans doute, est déjà dans l’histoire politique et judicaire du Sénégal, a soutenu le journaliste Sambou Biagui.
Un journaliste de la sous région basé à Dakar, à la veille de l’ouverture du procès se montrait très enthousiaste à l’idée de couvrir ce procès. Il avait dans la foulée déclaré qu’il ferait tout pour que sa rédaction le mette sur ce procès. Une faveur qu’il a évidemment obtenue. La couverture de cette affaire revêt un caractère si important pour lui qu’il nous a confié qu’il l’inscrira dans son CV.