"DES MANQUEMENTS SONT NOTÉS DANS LA PROTECTION DES ENFANTS MENDIANTS OU TALIBÉS"
MOUHAMADOU MOUSTAPHA SÈYE, DIRECTEUR DES DROITS HUMAINS
Le directeur des Droits humains, Mouhamadou Moustapha Sèye, relève, dans cet entretien, les insuffisances en matière de protection des enfants mendiants et des talibés. Evoquant la nouvelle stratégie de « Protection de l’enfant » lancée par le Sénégal, il souligne qu’elle ne se limite pas à la lutte contre les violences.
Pouvez-vous nous faire l’état des lieux de la nouvelle stratégie nationale de « Protection de l’enfant»?
La problématique de la protection de l’enfant s’est toujours posée avec acuité. Depuis des années, des efforts considérables ont été consentis pour améliorer davantage la protection des droits de cette couche vulnérable. Mais, à l’arrivée, on se rencontre que, malgré tous ces efforts, les résultats escomptés n’ont pas été atteints.
Raison pour laquelle l’Etat du Sénégal a décidé de lancer, en 2013, une nouvelle stratégie dite de « Protection de l’enfant » qui a comme ambition d’envisager, d’une manière globale, tous les aspects de la protection, corriger les lacunes notées dans cette lutte, afin que, dans une perspective très ambitieuse, mettre fin au traitement dégradant dont sont victimes les enfants.
Cette nouvelle stratégie, dotée d’un fonds de 9 milliards de FCfa, se fixe pour objectif principal de coordonner des synergies conformément à la volonté du chef de l’Etat de réussir le pari de la protection de ces êtres vulnérables.
Peut-on parler d’évolution de la promotion des droits humains au Sénégal ?
Il faut dire que le Sénégal, dès le lendemain de son indépendance, a pris une option résolue en faveur de la protection des enfants. Il est d’ailleurs l’un des rares pays en Afrique à avoir appliqué ce qu’on appelle « les règles de Beijing ». Lesquelles s’occupent de la procédure en justice juvénile. Faudrait-il le rappeler, la procédure appliquée aux enfants du point de vue pénal n’est pas la même de celle des adultes.
Donc, du point de vue législatif, la protection des enfants ne pose aucun problème dans la mesure où tous les aspects juridiques de cette assistance sont pris en compte par le législateur.
Toutefois, des manquements sont notés en ce qui concerne les enfants mendiants ou talibés. C’est vrai que sous l’angle du droit international, on analyse cette situation comme étant un mauvais traitement à l’encontre des enfants. Cependant, la dimension de la protection ne s’arrête pas seulement à la lutte contre les violences.
Le viol, les coups et blessures, l’exploitation de la mendicité, entre autres, sont des formes de violence souvent exercés en vers les enfants. Il faut noter qu’en termes de réalisation des droits en faveur des enfants, des progrès sont enregistrés.
En parlant des droits des enfants, on ne peut pas occulter le droit à la santé, à l’éducation, à la liberté d’expression, d’opinion, à l’information, etc. C’est un ensemble de droits sur lesquels des efforts sont réalisés par l’Etat, mais force est de reconnaitre qu’il reste beaucoup à faire.
A votre avis, quels sont les champs à explorer pour mieux améliorer les dispositifs juridiques ?
Du point de vue juridique, beaucoup de dispositions sont prévues dans les nouveaux Code pénal et Code de procédure pénale déjà déposés à l’appréciation de l’Assemblée nationale. Nous avons, dans ces Codes, essayé d’harmoniser davantage les dispositions du droit interne avec les conventions internationales.
Ainsi, le nouveau Code pénal va légiférer sur la vente d’enfants, la justice juvénile, à travers une amélioration du cadre juridique avec l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions. Aussi, la lutte sera axée sur les cas d’excision et de mutilations génitales féminines où l’Etat compte s’employer sur la stratégie nationale de protection.
En dépit des progrès incontestables réalisés durant cette décennie, nous allons nous orienter vers l’amélioration de l’accès à l’éducation de ces couches vulnérables. Il y a également le droit à la santé avec cette Couverture maladie universelle.
Pour ce faire, nous allons essayer de voir les limites dans le but de corriger les erreurs, afin que le Sénégal continue de progresser dans la voie de la protection des enfants.
Où en est le Sénégal en matière de respect des conventions internationales et des chartes ?
Le Sénégal est un bon élève. Cela est incontestable. D’ailleurs, j’ai eu l’honneur de présenter, au mois d’octobre passé, le rapport du Sénégal devant l’examen périodique universel. En matière de baromètre des droits de l’Homme, c’est l’instance la plus haute et la plus respectée pour apprécier une situation allant dans ce sens dans un pays.
Le Sénégal a été accueilli favorablement par la communauté internationale au cours de la présentation de ce rapport. La communauté internationale nous a félicités de notre politique en matière de droit de l’homme.
Néanmoins, elle nous a exhortés à persévérer dans cette voie faite de respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, pour que notre pays soit toujours cité en exemple de par le monde. L’engagement du président Macky Sall était de lutter contre l’impunité et de rendre justice aux victimes.
Aujourd’hui, ce pari a été tenu. Mieux, tous les agents qui ont été impliqués dans des bavures policières ont tous été traduits en justice, certains mis aux arrêts, et les procédures continuent. Les victimes aussi ont été indemnisées.
S’agissant des bavures policières ou des cas de torture, ils en existent dans tous les pays du monde. Seulement, lorsque ces cas existent, il faut que l’Etat prenne ses responsabilités conformément à ses engagements internationaux.
Quand on souscrit à une convention, la première obligation, c’est de la respecter ; la deuxième, la promouvoir. Cette volonté politique de respecter les droits de l’Homme au Sénégal est à magnifier, et on s’en réjouit.
Quelles dispositions seront prises pour l’application des recommandations ?
Le Sénégal a la chance de disposer d’un Conseil consultatif national des droits de l’Homme. Cette instance qui regroupe tous les ministères a pour mission principale d’élaborer des rapports périodiques et de faire le suivi des recommandations faites à l’encontre de notre pays suite à son passage devant l’examen périodique universel.
Certes, tout n’est pas parfait, mais des efforts sont en train d’être faits, avec l’assistance technique du bureau du Haut- commissariat des Nations unies à Dakar, pour la mise en œuvre de ces recommandations.
Au-delà de l’atteinte des Omd, l’Organisation des nations unies a reconnu que le Sénégal s’investit beau- coup dans la promotion des femmes. Toutefois, leur participation à la prise de décisions, l’éducation pour toutes les filles, entre autres, continuent d’alimenter les débats.
Comment prendre en compte certaines de nos réalités dans ces recommandations ?
Lorsqu’un pays signe ou prend part à une convention internationale, il ne doit pas se réfugier derrière des réalités ou autres conceptions pour se soustraire à ses obligations internationales. Juridiquement, ces réalités ne sont pas opérationnelles. C’est pourquoi les juristes disent qu’en matière de droits de l’Homme, c’est le positivisme juridique.
Aucun pays n’a le droit de se prévaloir de son état de pauvreté ou de ses réalités sociales pour ne pas donner effet à des conventions internationales qu’il a volontairement signées.