DEVINE QUI VIENT GAGNER CE WEEKEND
On a désormais affaire à des monstres. Elles ne dominent plus, elles règnent ; elles ne gagnent plus, elles massacrent. Le football européen devient un jeu impitoyable où l’incertitude n’est plus qu’une faible illusion. Les terres du Vieux continent appartiennent à de grands seigneurs qui, dans les frontières qui sont les leurs, marchent épée au clair, taillent dans le vif et n’ont point pitié pour la plèbe.
Le weekend, quand tombent les résultats des championnats, on croirait lire un tableau de matches de handball à la mi-temps, avec des scores qui tendent vers 10.
La semaine dernière, les bandes-annonces chauffaient Psg-Lyon pour en faire le rendez-vous de toutes les passions. Au coup de sifflet final, les Parisiens avaient porté leur œuvre de destruction massive à 4-0. Regardez vers l’Allemagne : après 39 matches sans défaite (toutes compétitions confondues), la question est de savoir qui fera tomber le Bayern.
Dans les grands championnats européens, les lignes de fracture commencent à laisser des béances énormes. L’élite n’est plus cette masse étendue, mais toujours inter reliée, où les niveaux intermédiaires venaient souvent s’amuser dans la cour des grands. Quand un tel miracle survient, cela ne signifie nullement que les paramètres de domination se sont déréglés. Il arrive simplement, par oubli coupable, que les Ferrari tombent en panne d’essence.
De plus en plus, les différences au tableau d’affichage traduisent les écarts de richesse. On vit sans doute les dernières années de la puissance sportive, pour aller vers le règne de la puissance économique. La bataille de l’équité semble perdue. Les garde-fous dressés pour éviter les dominations outrancières qui s’exercent dans un cercle restreint échappent aux astreintes du «fair-play financier» que prône Platini.
Aujourd’hui que le football tend à devenir une affaire de classes, entre une opulente bourgeoisie et un prolétariat sans perspective révolutionnaire, la ritournelle risque de lasser. Comme quand Gary Lineker soutenait que «le football est un jeu qui se pratique à onze et qu’à la fin ce sont toujours les Allemands qui gagnent», le suspense tend à déserter le haut niveau.
Seuls les vieux cœurs qui s’accrochent encore aux amours qu’ils ont entretenus avec le Stade de Reims des Kopa et Golovacki, le Saint-Etienne des Lopez, Piazza, Larqué, Bathenay (au temps où les poteaux étaient encore carrés), voire avec l’école nantaise maternée par Arribas, Suaudeau, puis Denoueix, si ce n’est le Moenchengladbach des Netzer, Simonsen, Vogts, seuls ces cœurs «amortis» attendent aujourd’hui les weekends avec anxiété.
Une telle nucléarisation de l’élite supérieure européenne n’est pas un fait nouveau. Par contre, les paramètres de l’infime concentration ont changé. Quand l’Ajax des années 1970 dominait les Pays-Bas, la grandeur de Feyenoord Rotterdam impactait sur l’Europe. A la même époque, le Bayern avait pour alter ego Moenchenglabach. En France, les Nantes, Saint-Etienne, Marseille, etc., marchaient à la queue leu, leu.
C’est l’époque où une bonne équipe était cadencée par un grand entraîneur, avec entre ses mains des talents aptes à courir au rythme de ses idées. Le football s’inventait et pour d’aucuns, la dernière grande inspiration créatrice remonte au Milan Ac d’Arrigo Sacchi, dans les années 1990.
Aujourd’hui, les indices de grandeur se mesurent à la surface financière. Une équipe ne se construit plus, elle se monte. Dans un ultralibéralisme forcené, les mercatos font en un jeu d’écriture et de transferts interbancaires, ce que des forçats de la formation s’appliquaient à réaliser sur des années. Les coaches gèrent désormais des ensembles qui ne leur appartiennent plus, mais dont ils s’accommodent en essayant d’adapter leurs idées aux aptitudes et aux capacités placées entre leurs mains.
Sauf déflagration nucléaire, la génération play-station calibre ses samedis et dimanches avec la tranquille assurance que Messi va ridiculiser quelques nigauds, Ronaldo les époustoufler, Rooney les entuber, Ibrahimovic les zlataner et Ribéry leur tailler des croupières.
L’Empire dort tranquille, en attendant les poussées de fièvre de la Ligue des champions. Pour le reste, on s’enfonce dans l’ennui. Même les «Clasicos» et les derbies ont du mal à tenir leurs promesses. Le Bayern a ridiculisé Dortmund, il y a quelques jours. Dimanche, c’est le Psg qui atomisait Lyon. Le prochain Real-Barça sera planétaire, mais que n’a-t-on déjà vu dans cette histoire qui s’écrit et se répète dans les mêmes expressions linéaires ?
L’ennui n’est pas dans le spectacle. Le ballon va plus vite, l’expression technique s’adapte à la vitesse du jeu et les batailles tactiques se réduisent à un mariage entre l’algèbre et la géométrique, avec un jonglage des chiffres en système (4-4-2, 3-5-2, etc.), pour gérer une surface, créer des espaces et tracer la ligne qui mène au but. La lassitude vient du fait qu’on connaît l’ordinaire du weekend, sauf quand les grosses têtes se retrouvent entre elles.
Tiens… le Barça a perdu à Bilbao dimanche ! Messi commence aussi à faiblir. Normal. On retrouve juste les effets d’une loi de haut niveau, qui fait que les grandes dictatures sur le football européen tournent en moyenne autour de quatre ans. En dehors du Real Madrid des Di Stefano, c’est une norme qui a accompagné l’Ajax, le Bayern, Liverpool, etc.