DEVOIR DE MÉMOIRE, DEVOIR DE VÉRITÉ
Après plusieurs années de mutisme complet, le Président Abdou Diouf a enfin décidé de se lâcher. Son cru est acide, assurément. Les cibles ne sont pas neutres encore moins fortuites. Le Président Diouf, dans son livrable, a tout simplement décidé de solder ses comptes, particulièrement avec certains de ses anciens compagnons et camarades du Parti socialiste (PS).
Le choix d’écrire ses mémoires et les publier pendant qu’il est encore vivant, prouve à suffisance que le Président Diouf ne rechigne à la confrontation, même à distance. Et pourquoi pas directement, puisqu’il compte bien, passer ses vieux jours entre le Sénégal et la France. Le reste ne relève que du débat d’opportunité.
Le Secrétaire général de la Francophonie a t-il choisi le bon timing pour diffuser ce qui apparaît déjà comme un brûlot, en tout cas un révélateur de l’histoire ? Encore une fois, c’est un simple débat d’opportunité !
Il n’y a pas, ou plus de hasard, dit-on. À moins que, comme reconnaissent de plus en plus, les scientifiques, ce soit la fin du hasard et que tout, de l’insecte à l’étoile, s’inscrive dans un ordre souvent insoupçonné.
L’extraordinaire enchaînement des évènements dans un monde globalisé, marqué par une formidable explosion de la communication instantanée, fait que naissent chaque instant de nouveaux espaces et modes d’expression. Ils rendent la parole plus libre, les publics plus exigeants. Et les concepts de reddition des comptes et de transparence dans la gestion des affaires de la cité, associés à celui de la démocratie sociale, élargissent le cercle de ces exigences.
Puisque l’histoire se conjugue désormais au présent, la temporalité des évènements est forcément réduite. L’inexorable déroulement du film de ces évènements ressemble plutôt à un léger différé qu’à une volonté de dépoussiérer l’histoire. Les mémoires ne sont plus que des œuvres littéraires, des exercices de style dans lesquels le ludique l’emporte sur les faits. Les livres mémoires sont des témoignages d’actualité destinés à recontextualiser les faits, leurs conséquences, leur prolongement dans le temps. Ils réactualisent la responsabilité au nom et au service de l’éthique et du devoir de mémoire. Ils balisent l’avenir, après avoir éclairé le passé.
C’est à travers cette fonction prométhéenne que les leçons du passé sont tirées. Et celles de l’avenir cernées et encadrées.
Au nom de quelle pudeur devrait-on passer par pertes et profits les perfidies de Djibo Ka, les voltes faces d’un Iba Der Thiam, les scandaleux agissements de Jean Collin, la gestion patrimoniale du pouvoir par Abdou Diouf, entre autres ?
C’est là où réside l’intérêt des mémoires du Président Diouf, au-delà du débat d’opportunité. Que le timing ait été mal choisi, parce que le Sommet de la Francophonie pointe à l’horizon ! Que le devoir de réserve en sa qualité de secrétaire général de la Francophonie n’ait pas été respecté par l’écrivain-président ! Que les règles non écrites de sociabilité, de décence n’aient pas été honorées ! Enfin que la mémoire sélective du Président l’ait conduit à travestir, omettre, occulter, obérer des faits ! Soit. Mais comme pour le livre d’Abdoul Aziz Ndaw sur les scandales de l’armée et de la gendarmerie, les mémoires d’Abdou Diouf ont leur raison d’être. Ils brisent l’omerta et la stratégique mutique d’un homme qui a marqué l’histoire du Sénégal pendant quarante ans. La publication des mémoires de Abdou Diouf est une dette que l’ancien Président devait payer à un pays qui lui a tout donné. C’est un devoir de vérité, tout simplement.
Il est dommage qu’à cause de son caractère anecdotique, l’épisode concernant Djibo Kâ, victime de la fameuse gifle de Niasse au cours d’une réunion du bureau politique du PS, ait semblé ravir la vedette à d’autres faits plus graves, qui eussent mérité plus d’intérêt.
En effet, l’assassinat de Me Babacar Sèye, la mort mystérieuse du commissaire Sadibou Ndiaye et d’autres scandales politico-financiers auraient sans doute dû avoir droit à plus d’éclairages et d’espaces dans le débat. Il y a malheureusement risque que ces faits graves soient réduits à l’état de commensaux au lieu de constituer les points nodaux du débat.
Sur ce pugilat du bureau politique, Djibo Kâ n’a probablement pas dis la vérité. De mémoire, nous nous souvenons du soir où notre PDG au journal Le Soleil, Bara Diouf, revenait de cette mémorable après-midi. Assis entre Niasse et Djibo, il a vu le coup de poing du premier fusait avec une vitesse inouïe pour atterrir sur le visage du second écroulé. Nous étions en réunion de rédaction, quand Bara nous a rapporté, effaré, ce douloureux épisode, furieux devant cette irrespectueuse démonstration.
Un autre ancien conseiller technique socialiste, a accueilli ce soir Djibo Kâ pour le consoler après cette violente altercation. Il sait dans quel état il a trouvé l’ancien ministre de la Communication, pourtant Dioufiste convaincu.
Ce pugilat n’honore pas Moustapha Niasse. La violence n’est que le dernier recours de l’incompétence. Mais la vérité est qu’il a agressé physiquement le pauvre Djibo, qui a payé pour avoir débité une insanité insupportable aux yeux de Niasse. Il faut vite oublier cette anecdote et se focaliser sur les révélations de Diouf qui en appelleront certainement d’autres.